La fin d’un monde

RomeUn ouvrage fort intéressant revient sur les derniers jours de l’Empire romain d’Occident

Nombreux ont été les ouvrages, ces dernières années, à avoir tenté de percer le mystère de la fin de l’une des civilisations les plus brillantes que l’humanité ait jamais connue. Les uns invoquèrent tour à tour l’influence majeure du christianisme, d’autres la crise économique et d’autres encore la politique d’intégration. Qu’en fut-il rééllement ?

C’est à ce travail minutieux exigeant le sérieux de l’exégèse des textes et l’objectivité nécessaire dénuée de toute mystification, de toute diabolisation que s’est attelé dans ce livre fouillé Michel de Jaeghere, directeur du Figaro histoire. Tout à tour, il a examiné les diverses dimensions qui ont conduit à la fin inéluctable de cet empire qui fit de la Méditerranée une mer intérieure. Et si le titre est un peu trompeur – les derniers jours – l’auteur a étudié son sujet sur le temps long rappelé par une chronologie dès le début de l’ouvrage qui débute en 364 à l’avènement de l’empereur Valentinien Ier qui nomma son frère Valens, empereur d’Orient.

Alors oui, Michel de Jaeghere ne fait pas l’impasse sur le facteur religieux, ce qu’il appelle le glaive et la croix, sur les aspects économiques ou démographiques, ni sur l’histoire militaire qui rythme cette histoire tourmentée et permet surtout au lecteur de se plonger avec délice dans les grandes batailles du Bas-Empire, de la Rivière Froide (dernière victoire globale de l’empire romain) aux Champs Catalauniques en passant par Andrinople que l’auteur, grâce à une narration rythmée – qui n’enlève rien au sérieux de son travail – parvient à rendre vivante. Car c’est bel et bien en 378, lors de cette fameuse bataille où l’empereur Valens perdit la vie que commença la fin de l’empire romain. Andrinople constitua ce que d’autres ont appelé le début de la fin car Michel de Jaghere écrit que « du mythe de l’invincibilité romaine, il ne reste à peu près rien. Rome est entrée en agonie : elle va durer cent ans ». Le siècle qui suit voit la lente prise de pouvoir des Barbares et l’auteur peint une formidable galerie de portraits de ces hommes, Ricimer, Stilicon, Aetius, Attila et d’autres qui auraient pu, en fonction des vicissitudes de l’histoire, se retrouver des deux côtés du champ de bataille.

Cette formidable mise en perspective permet de comprendre la lente mutation, la disparation progressive de l’empire romain. Les barbares vont ainsi se romaniser après avoir été admis à l’intérieur de l’Empire selon un phénomène classique d’intégration propre à toutes les sociétés mais surtout, et cela est souvent moins dit, que la société romaine va se barbariser y compris dans son saint des saints, l’armée, clef de voûte du système romain. Lentement, mais surement, une révolution silencieuse est en marche. Elle toucha bien évidemment les affaires religieuses où le christianisme n’évinça que progressivement le paganisme en devenant « le nouveau conformisme » selon l’auteur.

Si comme l’affirma Paul Valéry, « les civilisations sont mortelles », Michel de Jaeghere précise toutefois que Rome continua à survivre sans son empire car les rois barbares se sont vus comme les successeurs des empereurs, reproduisant certaines pratiques du pouvoir tandis que de l’autre côté du Bosphore, l’empire romain survécut jusqu’en 1453 en devenant l’empire byzantin. En tout cas, cet ouvrage extrêmement pédagogique et qui se lit avec frénésie déploie avec pertinence sur ses quelques six cent pages la démonstration qu’un empire dirigé par un enfant ne s’est pas effondré un jour de septembre 476 mais que, à la manière de ce que nous vivons aujourd’hui, les sociétés évoluent et se transforment et celle de Sénèque, de Marc-Aurèle et d’Aetius, aussi brillante fut-elle, n’échappa pas à cette règle immuable.

Michel de Jaeghere, les derniers jours, la fin de l’Empire romain d’Occident, Les Belles Lettres, 2014.

Laurent Pfaadt