La Florence du XXIe siècle

Mosquée
©Department of Culture and Tourism — Abu Dhabi

La capitale des
Emirats Arabes Unis
a fait de la culture un
axe majeur de son
rayonnement
international

Il regarde le monde à
la fois désabusé et surpris de ses
changements. Ces yeux ne sont pas ceux d’un chef d’Etat ou d’un
Sheikh mais ceux du Christ sur cette étude de Rembrandt que vient
d’acquérir le Louvre d’Abu Dhabi. Désabusé devant l’évolution du
monde et surpris qu’ici, dans la capitale des Emirats Arabes Unis,
subsiste, telle une oasis de tolérance dans un océan de fanatismes et
de guerres, une atmosphère de concorde et de respect.

De tolérance, il en d’ailleurs question ici. A quelques kilomètres de
l’une des plus resplendissantes et imposantes mosquées du monde,
la mosquée Sheikh Zayed qui peut contenir jusqu’à 40 000 fidèles se
dresse une cathédrale chrétienne. Un ministre de la tolérance en la
personne du Sheikh Nahyan Mabarak Al Nahyan, ancien chancelier
de l’université des Emirats Arabes Unis, est spécialement attentif à
cette question et a placé 2019 sous l’égide de cette dernière. Enfin le
festival des arts qui se tient chaque année depuis seize ans entre
février et mars dans la capitale et associe différentes esthétiques, en
est l’hymne le plus éclatant. Avec l’inclusion comme maître-mot.
«Nous avons besoin d’une génération qui puisse penser autrement,
concevoir d’autres alternatives aux problèmes que nous rencontrons.
Quand elle envisagera la paix, elle élaborera de nouvelles solutions si son
cœur et son esprit sont ouverts»
affirme ainsi la fondatrice du festival, H.E. Huda I. Alkhamis-Kanoo.

L’Emirat a choisi la culture comme une arme d’instruction massive.
Ici, elle rayonne. Ici, elle est partout. Tels les princes de la
Renaissance, le fondateur des Emirats Arabes Unis, le Sheikh Zayed
ben Sultan Al Nahyan ainsi que son fils, l’actuel émir Khalifa ben
Zayed Al Nahyan ont compris que la culture était non seulement un
outil diplomatique majeur mais qu’elle permettrait d’installer leur
pays à une place particulière, à part, dans ce monde aux contours si
changeants. Cette culture profiterait non seulement à leur peuple
mais également à tous ceux qui, dans les ténèbres de
l’obscurantisme, cherchent toujours une lumière.

Abu Dhabi c’est un musée à ciel ouvert. La famille régnante a ainsi
convoqué les plus grands architectes de la planète pour marquer de
leurs empreintes de verre et de béton cette terre encore désertique
il y a un demi-siècle : Jean Nouvel y a construit le Louvre Abu Dhabi,
formidable vaisseau posé sur l’eau et s’inspirant de l’architecture
islamique traditionnelle qui sera bientôt suivi par un Guggenheim
signé Frank Gehry et un Zayed National Museum sorti tout droit de
l’esprit de Norman Foster. Et puis il y a le fabuleux pont Zayed qui
épouse les formes des dunes du désert de la non moins géniale et
regrettée Zaha Hadid à qui l’on doit également le Performing Art
and Conference Center. La liste est inépuisable. « C’est magnifique de
voir qu’il y ait encore ici, à notre époque, des gens qui ont l’envie et la
volonté d’investir avec une ouverture d’esprit assumée, le champ de la
culture »
assure un artiste occidental présent lors du festival.

Cependant si Abu Dhabi a pleinement pris conscience du rôle qui est
le sien en tant que phare culturel du 21e siècle, elle n’oublie pas son
passé y compris préislamique. Etre fière de son passé permet de
mieux appréhender l’avenir semble nous dire l’émirat autour d’un
café arabe ou d’une discussion avec ces femmes chamelières ou
réalisant l’Al-Sadu, ce tissage traditionnel. Sensibiliser les jeunes
générations à la richesse d’un patrimoine national et à l’écologie
comme dans le paradis de l’oasis Al Aïn, classée au Patrimoine
mondial de l’UNESCO depuis 2011 constituent autant d’éléments
qui inscrivent les habitants de l’émirat dans une volonté d’ouverture
et de partage et de faire d’eux des citoyens du monde à part entière.

De retour dans le Louvre, le visiteur s’arrête devant une vitrine qui
montre le travail de l’or au sein de civilisations qui n’ont jamais
échangé entre elles. Et pourtant, les similitudes sautent aux yeux. Ici,
comme ailleurs, les civilisations se rencontrent et échangent. A
l’image de ce pays, de cette ville, ce musée semble vouloir nous
délivrer cet ardent message : « venez partager avec nous les trésors de l’humanité et contribuer, ensemble, à définir celle qui s’ouvre devant
nous. »

Par Laurent Pfaadt