La lyre russe

Marina © ITAR-TASS
Marina © ITAR-TASS

L’œuvre intégrale de la poétesse Marina Tsvetaeva enfin traduite

 

Marine Tsvetaeva (1892-1941) fut l’un des grands noms de la poésie russe du XXe siècle avec Boris Pasternak, Anna Akhmatova ou Ossip Mandelstam. Comme eux, elle fut persécutée par le régime stalinien. Mais sa poésie traversa les âges et les continents. Aujourd’hui, grâce au travail de titan entrepris par Véronique Lossky, traductrice attitrée de Tsvetaeva, les lecteurs français ont enfin la possibilité d’apprécier dans sa globalité l’œuvre incomparable et magnifique de cette figure majeure des lettres russes et surtout de découvrir de nombreux poèmes inédits.

Celle qui aimait recouvrir les murs de son appartement moscovite de ses vers explore à travers une œuvre plus que conséquente, les thèmes de l’amour, de l’enfance et de l’histoire millénaire russe. Divisée en deux périodes – les poèmes de Russie et les poèmes de maturité – son œuvre est marquée par la césure de 1921 où l’amour de Marina Tsvetaeva pour son mari, Sergueï Efron, engagé dans l’armée blanche fidèle au tsar, prend la forme d’un long chant d’attente à destination de cet époux absent qui se bat pour défendre cette histoire russe tirée du fond des âges comme en témoigne notamment le fameux poème, les nuits sans bien-aimé (1918). Quant à l’ode à cette Russie qui sera défaite par les bolcheviks, ce sera le grandiose Camp des cygnes : « Qu’avez-vous fait ? Supporté le martyre ; Puis épuisés, nous sommes couchés pour dormir. Les descendants, songeurs écriront dans les dictionnaires le mot « Devoir » avant le « Don »

On comprend alors mieux pourquoi, Marina Tsvetaeva choisit l’exil en 1921 à Berlin puis en Tchécoslovaquie, pays pour lequel elle conserva toute sa vie une affection toute particulière comme en témoigne ses Poèmes à la Tchécoslovaquie écrits en 1938 alors que le pays est écrasé par la botte nazie : « Tous gris de douleur, les flots de la Vltava pleurent ; Trois cent ans d’esclavage ; Vingt ans de liberté » avant de s’établir à Paris entre 1925 et 1939. Vivant en marge des milieux littéraires, elle continue à écrire. C’est alors l’époque notamment des poèmes Ma Maison (1931), Un jardin (1934) ou Lecteurs de journaux (1935).

Devant la montée des périls en Europe, elle décide de revenir en URSS à la veille de la guerre en 1939. Arrêtée, son mari est fusillé et sa fille déportée. Sans ressources et sans espoir, Marine Tsvetaeva se suicide le 31 août 1941. L’un de ses derniers poèmes, J’ai mis la table pour six, se termine par ces vers : « Et tout ce qui cherchait à se répandre, le sel des yeux, le sang des plaies coule de la nappe jusqu’au parquet »

Ces poèmes demeurent aujourd’hui le reflet de cette existence bouleversée, de cette âme pétrie d’amour, de cet esprit qui se confondit avec l’époque tragique de ce début de XXe siècle. Ces poèmes que les russophones pourront également réciter dans leur langue maternelle resteront à jamais les larmes contemporaines de cette fameuse mélancolie russe pleurée par celle que le prix Nobel de littérature, Joseph Brodsky, aimait à dire qu’ « il n’a pas retenti de voix plus passionnée que la sienne ».

Marina Tsvetaeva, Poésie lyrique (1912-1941), éditions des Syrtes, 2015.

Laurent Pfaadt