La mort lui va si bien

MoriartyNouvelle aventure autour de
Sherlock Holmes signée Anthony Horowitz.

On les avait laissés pour mort en Suisse au fond des chutes du Reichenbach. Les deux ennemis parmi les plus connus de la littérature mondiale, Sherlock Holmes et le professeur James Moriarty disparaissaient ensemble dans ce tombeau littéraire que fut les chutes du Reichenbach avant que Sherlock Holmes ne renaisse trois ans plus tard dans la Maison vide où l’on apprenait que notre détective préféré avait simulé sa mort y compris à son plus fidèle ami, le docteur Watson.

Si l’on connait la suite, cela n’empêche pas d’apprécier ce nouvel opus de la saga holmesienne signé Anthony Horowitz, autorisé par les descendants de Conan Doyle à poursuivre l’œuvre du maître et déjà auteur de la très réussie Maison de soie (Calmann-Lévy, 2011). Moriarty débute donc en Suisse, au pied des chutes du Reichenbach. Là-bas, au milieu de ce torrent furieux, deux hommes, un inspecteur de Scotland Yard, Athelney Jones et un détective américain, Frederick Chase mènent l’enquête.

Dans ce copycat littéraire où les personnages ressemblent à ne s’y méprendre et avec – il faut le dire – beaucoup de talent à leurs illustres aînés, les surprises et les revirements ne manquent pas. Avec sa mécanique intellectuelle, sorte de mini Rolex de Sherlock Holmes, Athelney Jones est tout à fait convaincant tandis que son acolyte outre-Atlantique lui, est plus cartésien ou plutôt devrait-on dire plus watsonien.

Moriarty ne serait qu’un pastiche fort amusant certes mais très vite lassant s’il n’y avait pas derrière toute cette histoire, une véritable enquête qui mène nos deux héros sur la piste d’un étrange personnage, Clarence Devereux, nouveau Machiavel du crime qui a repris à son compte le sombre héritage de Moriarty. Se plaçant dans l’ombre tutélaire du seul homme à avoir fait vaciller Sherlock Holmes, Devereux sème la terreur partout où il passe, n’hésitant pas à attaquer Scotland Yard à coup de bombes.

Horowitz trempe avec malice et pour le bonheur des lecteurs sa plume dans le nectar de Conan Doyle pour revisiter le mythe. Il y mêle la boue, le sang et les excréments de cette Londres de la fin du XIXe siècle, où les enfants font la manche pour donner leur argent à leur mère prostituée et où les cadavres de la pègre passent inaperçus à force d’être nombreux. On est bien loin de Baker Street et tant mieux car tout nous y ramène y compris son locataire principal qui, croyez moi, n’a pas dit son dernier mot. Véritable voyage au bout de la mort, Moriarty avance de surprise en surprise dans une enquête rondement bien menée.

On se demande d’ailleurs pourquoi Conan Doyle n’a jamais intitulé l’une de ses nouvelles Moriarty, tellement ce personnage est brillant, dense et complexe. C’est chose faîte avec le roman d’Anthony Horowitz qui rend ainsi un hommage appuyé et vibrant à l’un des grands noms de la littérature mondiale.

Anthony Horowitz, Moriarty, Calmann-Lévy, 2014

Laurent Pfaadt