La pomme dans le noir

D’après le roman « Le bâtisseur de ruines » de la brésilienne Claire Lispector traduit par Violante Do Canto

Lui, Martin, il arrive de la ville pour se reconstruire. Il a un crime sur la conscience.

Elles sont deux femmes sur cet immense domaine, la propriétaire, Victoria, et la jeune fille, Ermelinda.

L’une, autoritaire, l’autre un peu paumée, désarmée, semble-t-il, devant la vie. Et puis il y a un homme de tâche, le jardinier.

L’arrivée de Martin va bousculer leur vie, apparemment paisible bien qu’en chacune un monde de désirs bouillonne mais se tait.

Des images nous viennent en tête, celle du volcan  ou bien celle du film « Théorème » quand l’inconnu surgit  comme élément déclencheur d’une prise de conscience.

Il est toujours difficile de mettre en scène un roman. Marie-Christine Soma n’a pas eu peur de s’y attaquer, galvanisée par le très grand intérêt qu’elle a porté à ce texte dès qu’elle en a eu connaissance et qui lui a donné envie de l’adapter pour le théâtre.

Le décor est très simple mais pertinent, rien d’étonnant puisque la metteure en scène fut d’abord éclairagiste, d’où son sens de l’espace et des configurations nécessaires à rendre  les actions et les déambulations des personnages de façon juste. Il s’agit donc d’une grande cloison de bois occupant le fond de scène dans laquelle sont aménagées quelques ouvertures et des claires-voies qui permettent d’épier les allées et venues des uns et des autres, accentuant le mystère que chacun représente pour l’autre. Côté jardin, un coin table, plutôt convivial, côté cour c’est la remise à bois, le domaine du jardinier qui y range ses outils, l’endroit qui a été attribué à Martin. Sur le devant du plateau une longue plate bande est en construction. Martin y apporte des brouettées de terre, lui, l’ingénieur, devient un manoeuvre, une façon de racheter ses fautes, de se reconstruire.

La distribution est d’une grande justesse. Dominique Raymond  sait passer d’un registre de femme autoritaire et méfiante dont la carapace semble solide à celui d’une femme fragile, désemparée qui « lâche prise » comme on dit et se met à déballer sa vie privée, avouant ses manques et ses désirs secrets à ce garçon qu’elle a jusqu’ici maltraité et auquel elle sent bien qu’elle s’attache alors qu’il est trop tard et qu’il ne veut rien d’elle. Elle sait être  dans cette scène vraiment bouleversante.

Mélodie Richard est cette jeune fille toute en retenue dont la vie intérieure intense surgit parfois malgré elle et vient à se dévoiler de façon intempestive, la rendant,  tour à tour, capricieuse et émouvante.

Dans cette mise en scène c’est le jeu des acteurs qui avant tout emporte notre adhésion car il laisse transparaître avec justesse  le mystère qui habite chacun et qui constitue l’intrigue. C’est ainsi que, Pierre-François Garel qui est Martin et Carlo Brandt qui  incarne plusieurs personnages font montre d’une grande intériorité dans leur prestation.

Si nous avons quelques réserves à propos de ce spectacle, elles concernent la durée de la pièce. Les longs récitatifs qui la composent peuvent paraître pesants d’autant qu’ils sont souvent dits de façon relativement confidentielle donc pas toujours  clairement audibles.

Cette mise en scène a obtenu un vrai succès auprès du public du TNS.

Marie-Françoise Grislin

TNS octobre 2018