La Résistance s’écrit au féminin

Le magnifique livre de Rebecca Donner rappelle le rôle prépondérant que jouèrent les femmes dans les réseaux de Résistance.

La mémoire de celles qui ont combattu le nazisme renaît enfin de ses cendres. Mais pour cela, il a fallu attendre plus de soixante-dix ans. La production éditoriale de ces dernières années tente ainsi de réparer cette injustice si l’on en croit les récentes publications (essais, romans, bande-dessinées) qui leur sont consacrées.


Dernière arrivée, Mildred, l’histoire absolument magnifique de l’aïeule de Rebecca Donner, journaliste et écrivaine canadienne. All the frequent troubles pour our days, du nom d’un poème de Goethe, baptisé simplement Mildred en français et couronné de multiples prix, arrive enfin en France. Il devrait rencontrer le même succès qu’aux Etats-Unis tant ce petit bijou de narrative non-fiction est prenant. Le livre raconte l’histoire de Mildred Harnack, universitaire américaine (elle est née dans le Midwest) qui infiltra le Troisième Reich pour le compte des services secrets soviétiques avant d’être trahie. Arrêtée par la Gestapo, elle fut guillotinée le 16 février 1943.

Mais Mildred n’est pas qu’une simple biographie. C’est un collage, presque à la manière des surréalistes, un collage fait de rapports de police, de services secrets que l’autrice est allée puiser dans les archives, de documents personnels, familiaux comme ces lettres bouleversantes d’Arvid von Harnack, le grand amour de Mildred, de cartes postales et de photos. Bâti comme un réseau de résistance, le livre suit plusieurs fils : celui de Don, douze ans et courrier de Mildred, « l’enfant au cartable bleu », que Mildred aimait remplir de livres, celui de l’amour entre Arvid et Mildred ou celui de l’Orchestre rouge que dirigea Arvid et Harro Schutze-Boysen dont la femme, Libertas trahit Mildred « par égoïsme ». Et tous convergent vers Mildred dont la figure hanta et hantera longtemps survivants et lecteurs. Arvid von Harnack fut pendu quelques mois avant Mildred dont la condamnation fut commuée en exécution par Hitler lui-même. Jusqu’à la fin, elle conserva la lettre d’adieu d’Arvid : « Tu es dans mon cœur. Tu y seras toujours. » Jusqu’à la fin, elle conserva le volume des poèmes de Goethe que lui récitait Arvid et qui donne son titre au livre.

En ce mois de février 1943, la guillotine était encore humide du sang de Mildred lorsque s’avancèrent Sophie Scholl et son frère Hans. Le public connaît un peu mieux les chefs du réseau de résistance catholique allemand de la Rose blanche grâce au film de Marc Rothemund (2005). Le jeune public lui, peut à son tour redécouvrir cette femme dans la très belle bande-dessinée de Jean-François Vivier, Beniamino Delvecchio et Francesco Rizzato. Fer de lance de ce mouvement de résistance, Sophie Scholl, étudiante de 21 ans à l’université de Munich distribua tracts appelant à lutter contre la guerre, surtout après la défaite de Stalingrad, et le nazisme tandis qu’elle inscrivait sur les murs de l’université des slogans hostiles à ce dernier. La BD montre ainsi parfaitement les actions de Sophie et de son frère Hans, l’angoisse du danger encouru ainsi que leur courage.

A l’autre bout de l’Europe, dans une Varsovie occupée, écrasée se dressa Maria-Sabina Devrim durant l’insurrection de 1944. Accompagnant L’insurgée de Varsovie de Jean-Pierre Pécau et Dragan Paunovic, les auteurs de cette BD pleine de fougue, le lecteur plonge dans la furie des combats qui opposèrent Antoni Chruściel, Marek Edelman et Maria-Sabina Devrim et une Wehrmacht aidée des SS et des unités de police (Gestapo, Kripo) dans ce combat de David contre Goliath.

En France, les femmes furent également nombreuses à s’investir dans les réseaux de Résistance même si « les résistantes ont été peu récompensées » estime Dominique Missika, auteure d’un ouvrage de référence sur les résistantes (voir interview). Derrière les Berty Albrecht, Lucie Aubrac, Geneviève de Gaulle-Anthonioz et Marie-Madeleine Fourcade, une pléiade d’amazones s’activèrent contre les nazis. Parmi elles Laure Moulin, sœur du mythique Jean et sujet du livre remarquable de Thomas Rabino. Sortant cette figure de l’éclipse mémorielle qu’elle a entretenue, l’auteur nous rappelle qu’elle fut, à l’instar d’un Daniel Cordier, l’une de ces petites mains qui permirent au grand héros de remplir sa tâche pour le général de Gaulle. Cette ancienne professeure d’anglais se fit également l’ardente défenseuse à la fois de la mémoire de son frère – elle enquêta pour découvrir le nom du traître de Caluire – mais également, d’une certaine manière, de celle de ces femmes entrées en résistance.

Le roman, lui, n’est pas en reste puisque plusieurs publications récentes ou à venir célèbrent le courage d’héroïnes de la Résistance. Robert Harris, auteur de l’inoubliable Fatherland et de romans adaptés par Roman Polanski revient avec V2 à ses premiers amours en compagnie de Kay Caton-Walsh, officier de la Women’s Auxiliary Air Force, cette force auxiliaire féminine dépendant de la RAF. Notre héroïne est ainsi recrutée par le SOE, les services secrets britanniques, puis expédiée en Belgique pour tenter de détruire le site de production des fameux V2, ces missiles censés inverser en faveur du Reich, le cours de la guerre. Grâce à son extraordinaire talent de conteur, Robert Harris nous parachute littéralement en pleine Europe occupée au côté de Kay dans un palpitant mélange d’action et d’espionnage. A savourer au coin du feu un bon cognac à la main.

En janvier paraîtra un roman tout à fait singulier, Le mystère de la femme sans tête (Seuil) de la journaliste Myriam Leroy, auteur d’Ariane (Points, 2019). Ce livre nous emmène sur les traces d’une jeune femme communiste lettone, Marina Chafroff, décapitée par les nazis après un meurtre et une tentative de meurtre sur deux officiers nazis en plein Bruxelles. En remontant l’énigme de cette femme, l’auteure relate ainsi l’histoire méconnue de la première femme condamnée à mort et exécutée par les nazis en Belgique occupée tout en abordant l’un de ses thèmes favoris, les violences faîtes aux femmes.

« Dès l’instant où vous aurez foi en vous-même, vous saurez comment vivre » écrivit Johann Wolfgang Goethe. Avec Mildred, Sophie, Maria, Laure et les autres, jamais cette phrase du grand poète allemand n’eut autant de sens.

Par Laurent Pfaadt

A lire :

Rebecca Donner, Mildred, éditions Héloïse d’Ormesson, 528 p.

Jean-François Vivier, Beniamino Delvecchio, Francesco Rizzato, La Rose Blanche, Des étudiants contre Hitler, Plein vent, 48 p.

Jean-Pierre Pécau, Dragan Paunovic, L’insurgée de Varsovie, coll. Histoire et destins, éditions Delcourt, 60 p.

Dominique Missika, Résistantes 1940-1944, Gallimard, 2021

Thomas Rabino, Laure Moulin, Résistante et sœur de héros, Perrin, 330 p.

Robert Harris, V2, Belfond, 368 p.

Myriam Leroy, Le mystère de la femme sans tête, Seuil, 288 p. (à paraître le 6 janvier 2023)