La symphonie assiégée

LeningradLa symphonie de Chostakovitch sert de cadre au siège de Leningrad

Dès le début de l’opération Barbarossa, le 22 juin 1941, les troupes de la Wehrmacht progressèrent rapidement sur le territoire de l’URSS jusqu’à atteindre la périphérie de Leningrad. La prise de la ville devint alors un objectif stratégique. Dès septembre 1941 et pendant près de 900 jours, les Allemands tentèrent de ravir aux Soviétiques la ville de la Révolution d’Octobre et la coupèrent du reste du monde. Leurs habitants, prisonniers, moururent par milliers du froid, de la famine et des maladies. Afin de célébrer la résistance de la ville martyre, le compositeur Dimitri Chostakovitch composa sa septième symphonie durant ces mois de souffrance,

C’est ce que nous raconte Bryan Monyahan, rédacteur en chef au Sunday Times, dans ce livre enlevé. A travers la composition et la répétition de cette œuvre qui appartient aujourd’hui au patrimoine musical de l’humanité, l’auteur nous relate la vie de ses habitants et les combats acharnés qui décidèrent du sort de Leningrad.

Lorsque le siège débute, Chostakovitch est encore à Leningrad. C’est là qu’il commence à composer son œuvre titanesque. Quittant la ville pour Samara, l’ouvrage effectue de nombreux va-et-vient entre le domicile du compositeur en exil et la salle de la Philharmonia à Leningrad où se trouvent les musiciens, les héros de l’ouvrage. Car, malgré le froid intense, les bombes qui tombent et la nourriture qui se raréfie, les musiciens continuent à jouer. Au départ, ils sont tous là, à leur poste, menés par l’un des personnages centraux du livre, le chef d’orchestre Carl Eliasberg, directeur de l’orchestre symphonique de la Radio de Leningrad. Mais progressivement, la mort prend possession de la symphonie. Le découpage chronologique du livre permet à la dramaturgie de monter en puissance. Les conditions de vie deviennent de plus en plus difficiles, les hommes ressemblent à des spectres et les musiciens meurent les uns après les autres. A la manière d’un Terence Mallick, Bryan Monyahan alterne répétitions de Beethoven ou Glinka et violents combats.

La vie est plus forte en définitive, voilà la grande leçon du livre. La symphonie achevée, elle est jouée dans tout le pays puis, durant une nuit de juillet 1942, tel l’or de Suisse, la partition est transportée en avion dans la ville. Le 9 août 1942, un tir de contre-batterie réduit au silence des Allemands qui s’apprêtaient à lancer une nouvelle offensive. Et les premières notes retentissent dans les haut-parleurs braqués vers l’ennemi. « L’orchestre était digne de jouer cette musique et la musique était digne d’eux, car elle exprimait tout ce qu’ils avaient surmonté » raconte la poétesse Olga Bergholtz qui assista au concert.

En ce mois d’août 1942, la septième symphonie ne changea pas le cours de la seconde guerre mondiale mais elle montra à l’envahisseur qu’il ne prendrait jamais cette ville et redonna espoir et dignité à ces hommes et ces femmes morts sous les balles des SS ou dans les plaines et les rues gelées d’URSS. Plus qu’aucune arme, la musique devint ce jour-là ce « trait de lumière dans les ténèbres ».

Bryan Monyahan, le concert héroïque, JC Lattes, 2015

Laurent Pfaadt