La vie de Nathan Polonsky

On en voudrait presque à l’auteur de nous avoir menti
littérairement, de nous avoir fait croire à une destinée toute tracée,
à une success story. Conscient, en raison du bandeau rouge barrant
le livre, de la tragédie à venir, on a donc avancé, angoissé, en avalant
les pages, et partagé entre la catastrophe annoncée et un éventuel
miracle. Car jusqu’au déferlement de la peste maccarthyste, on
s’accroche à cette illusion, celle que Nathan Polonsky, artiste social
réaliste, vétéran de la seconde guerre mondiale, puisse échapper à
cette chasse aux sorcières. Pourtant, insidieusement, presque
invisiblement, les mâchoires du fanatisme, de la suspicion, se
refermèrent sur lui. Lui-même ne s’en rendit compte que
tardivement. Et quand il en prit conscience, il était déjà trop tard.

Voilà en substance ce qui attend le lecteur de cette fresque qui
progresse comme un cancer. Tout le talent de Jocelyne Rotily est là.
Dans cette incroyable connaissance du New York artistique de
l’après-guerre avec ses galeries d’art, ses artistes outsider, des
appartements grands comme des palais sur la Ve avenue où l’on joue
avec la célébrité aux salles de boxe moites où on la guette. Dans le
rêve américain de Nathan Polonsky, celui d’une ascension artistique
et académique sans limites, d’une histoire d’amour idyllique et de
convictions mises au service de son art. « Tout roulait sur des
roulettes » écrit ainsi Jocelyne Rotily.

Comme un cancer donc. Dans cette Amérique qui recommence à
vivre où tout redevient possible, la prose vivante et si persuasive de
Jocelyne Rotily nous laisse cependant deviner, comme dans cette
virée dans le Tennessee ou dans ce voisin un peu trop présent, que
quelque chose cloche. Puis le cancer du macarthysme surgit et
contamine toute la société. Commence alors la douleur, la violence
qui se répand, attaque tout et tout le monde dont notre héros.
Polonsky tenta de se battre. En vain. Car face à un Etat déchainé, il
ne fit pas le poids Cette haine l’obligea à subir la déchéance, la haine
et finira par le forcer à l’exil. A travers cette fresque palpitante,
bourrée de clins d’œil, Jocelyne Rotily nous dit ainsi que la frontière
entre démocratie et régime totalitaire est parfois fort ténue, comme
l’a montré les récents évènements du Capitole.

Par Laurent Pfaadt

Jocelyne Rotily, La vie de Nathan Polonsky,
Le Passeur, 496 p.