La vraie famille

un film de Fabien Gorgeart

© Cédric Sartore

Nombreux sont les documentaires qui traitent des enfants placés
en foyer, de leur famille d’accueil parfois maltraitante ou
négligente, au mieux aimante et triste de devoir rendre l’enfant qui
leur a été confié, sans compter les parents biologiques qui ne sont
pas toujours rassurants pour leur enfant qu’ils récupèrent. Sombre
souvent est le tableau mais c’est la loi qui s’applique. Par le biais de
la fiction, ce sujet est ici transcendé et la complexité des situations
explorée, l’émotion est au rendez-vous grâce à la propension que le
cinéma a de rendre sensible les sentiments des personnages,
portés par des comédiens exceptionnels, les enfants également,
magnifiques de naturel.

L’homme de théâtre qu’est Fabien Gorgeart s’en ressent dans sa
mise en scène, ses plans séquences où s’épanouit le jeu de ses
comédiens exécutant une partition sur le fil, face à des enfants plus
vrais que nature. Avec leurs deux enfants, Anna (Mélanie Thierry) et
Driss (Lyes Salem) campent les parents intérimaires du petit Simon
qui leur a été confié, avec l’énergie du désespoir et la joie de vivre
communicative pour créer une bulle familiale heureuse. Fabien
Gorgeart n’a jamais pu oublier ce temps où l’enfant que gardaient
ses parents a dû s’en aller pour retrouver sa famille biologique. Cela
fait des années qu’il voulait réaliser un film sur ce sujet. C’est à
travers le prisme des souvenirs que La vraie famille se déploie, à
l’aulne du départ annoncé du petit garçon. Dès lors que l’on sait qu’il
va être rendu à son père, toutes les scènes de jeux et de joie n’en
sont que plus chargées d’émotion et de regrets de ce qui a été et ne
sera plus. « Trois films où il est question du lien qu’il faut couper ont
constitué mes sentinelles : The Kid de Charlie Chaplin, Kramer contre
Kramer de Robert Benton et E.T. de Steven Spielberg, qui raconte
littéralement l’histoire d’un enfant placé, si j’ose dire ! » – film vu à la
même période où ce petit frère allait quitter définitivement la
maison. Le suspense est ménagé après une scène d’ouverture dans
une piscine soutenue par une musique et des mouvements de
caméra qui donnent le ton : la fiction est plus grande que la réalité.
La vraie famille est celle-là, la famille où le bonheur circule, avec une
figure paternelle, elle aussi plus attachante que nature, portée par
un comédien que l’on aimerait voir plus souvent incarner des
premiers rôles, Lyes Salem.

La loi est cruelle mais elle est la loi, et le film est très sensible en ce
qu’il n’est pas manichéen, la famille biologique n’est pas défaillante,
ce qui rendrait plus insupportable encore le départ de Simon et la
juge comme la conseillère familiale sont bienveillantes. Le père qui
veut récupérer son fils est plein d’amour pour son enfant, il ne
présente aucune addiction ou perversion qui ferait douter de sa
légitimité à prendre le relais d’Anna pour élever son enfant. Felix
Moati est parfait en père maladroit, qui doute, mais qui est plein de
bonne volonté pour que tout se passe au mieux. Mais pour Anna que
Simon appelle « maman » depuis qu’il est en âge de parler et qui a
désormais 6 ans, rien de ce que fait son père n’est assez bien pour
imaginer céder son rôle de mère aimante. Elle est un bloc de douleur
retenue, prête à être dans l’illégalité pour permettre des vacances
dans la neige à Simon et le garder près d’elle quelques jours de plus.
L’étau qui se resserre sur fond d’ambiance de Noël avec ses lumières
et ses guirlandes, sans compter une messe de minuit qui renvoie
également à la question de l’enfant placé qu’est Jésus, confère au
film une dimension de mélodrame et de conte. Avec son film, Fabien
Gorgeart joue avec les fantômes de son enfance comme s’il voulait
recréer les scènes pour se les réapproprier et ainsi rattraper ce
temps où il ignorait que le bonheur de sa famille serait brisé.

Par Elsa Nagel