L’archange de la Baltique

Un coffret rend hommage au violoniste et chef d’orchestre letton Gidon Kremer

Que dire de Gidon Kemer si ce n’est qu’il est, comme l’a affirmé en
1975 Herbert von Karajan « le plus grand violoniste du monde » à une
époque où vivaient Yehudi Menuhin ou Leonid Kagan. Ce mot de l’un
des plus grands chefs d’orchestre du 20e siècle que l’on retrouve
dans ce merveilleux coffret à la tête des Berliner Philharmoniker,
pour un superbe concerto de Brahms où Kremer fait rayonner le
faux Gudagnini de son grand-père, traduit l’importance de Gidon
Kremer non pas dans l’histoire du violon mais dans l’histoire de la
musique tout court, en digne successeur des Joseph Joachim et
Henri Vieuxtemps.

Lauréat du concours Tchaïkovski en 1970 et ayant suivi les cours du
grand Oïstrakh, Gidon Kremer s’imposa très vite sur les scènes
européennes, notamment en Allemagne et en Autriche. Ce coffret
qui réunit ses enregistrements chez Erato, Teldec et EMI Classics
fait bien évidemment la part belle aux grandes œuvres du répertoire
concertant (Beethoven, Brahms, Schumann ou Sibelius) en
compagnie des plus grands orchestres et chefs (Riccardo Muti,
Christoph Eschenbach, Sir Simone Rattle, Nikolaus Harnoncourt
avec un magnifique Beethoven où Kremer impose son incroyable
cadence). Le génie de Kremer se mesure, s’apprécie à chaque CD, à
chaque morceau. L’auditeur est ainsi frappé par sa capacité à
interpréter avec la même maestria une musique de film de Nino
Rota, une sonate de Schumann et les étranges et dissonants
concertos d’Alfred Schnittke.

A ce titre, ce coffret montre à quel point Kremer a très tôt été un
ardent promoteur de la musique contemporaine. Interprète de
Philip Glass, d’Arvo Pärt dont il est l’un des proches, d’Astor
Piazzolla, de Peteris Vasks , de Giya Kancheli ou de Sofia
Gubaidulina, le violoniste letton a surtout entretenu une relation
particulière avec le compositeur russe Alfred Schnittke qui lui dédia
son quatrième concerto. Cette musique où l’on peut « ressentir la
respiration, la vulnérabilité et la vie intérieure profondément tordue d’un
artiste à l’individualité forte » a très vite fasciné Kremer.

Et pour encourager cette musique parfois difficile d’accès au regard
des « tubes » beethovéniens ou mozartiens, Gidon Kremer créa, il y a
vingt-cinq ans – et ce coffret est aussi l’occasion d’un anniversaire –
la Kremerata Baltica, formation de chambre qu’il dirige encore
aujourd’hui sur les scènes du monde entier et réunissant des
musiciens baltes. L’auditeur sera particulièrement attentif à Distant
Light (Tala Gaisma) de Peteris Vasks, concerto pour violon et
orchestre de chambre que Kremer écrivit à la demande du
compositeur

Les diverses œuvres réunies sont aussi l’occasion d’entendre les compagnons de route de Gidon Kremer depuis près d’un demi-siècle : les pianistes Martha Argerich avec qui donna le magnifique récital de Berlin en 2006, Vadim Sakharov et Oleg Maisenberg particulièrement magique dans une très belle interprétation de la deuxième sonate pour violon et piano de Bartok et enfin l’altiste Yuri Bashmet avec qui il partage la passion de Schnittke, notamment dans le Concerto for Three. Façon de dire qu’avec Kremer la musique reste toujours une histoire de passion.

Par Laurent Pfaadt

Gidon Kremer, The Warner Collection, Complete Teldec, Emi Classics et Erato Recordings, 21 CD
Chez Warner Classics