L’Archipel du Goulache

Rien que le titre et sa couverture rouge éclatante valent le coup. Internationale du goût, marmitage communiste, tous les jeux de mots sont bons pour qualifier ce livre passionnant qui vous fait voyager à travers la cuisine des diverses contrées de l’ex-empire soviétique, de l’Arctique au Caucase et de Moscou à l’Asie centrale.


Florian Pinel, ingénieur informaticien devenu chef à mi-temps est parti avec son compère Jean Valnoir Simoulin, sur les traces des recettes de l’ex-empire soviétique et propose une réinterprétation de ces dernières. Récit de voyages autant que guide gastronomique, réalisé non sans une pointe d’humour « au péril de notre santé intestinale », les deux auteurs nous convient à déguster de la perche, du steak de cheval à Almaty au Kazakhstan, du renne, de la nouvelle cuisine moscovite, des raviolis qu’ils soient pelmenis (russes) ou varenikis (ukrainiens) et du kebab caucasien. La partie dédiée au Caucase est particulièrement intéressante. Si elle fait la part belle à l’Azerbaïdjan, terre de baklava et à la Géorgie et son fromage, Florent Pinel n’en oublie pas le lavash arménien, ce pain plat inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. L’ouvrage de Nathalie Baravian sur La cuisine arménienne (Actes Sud, 2007) offrira un formidable complément à ces aventures. Dans la préface de ce dernier, l’écrivain égyptien Alaa Al-Aswany, rappelait d’ailleurs que « ce livre n’est pas seulement un livre de recettes : à travers les plats délicieux qu’il nous présente, il nous rend plus proches de l’âme arménienne. » On pourrait dire la même chose du livre de Florent Pinel et de Jean Valnoir Simoulin. A travers leurs plats, leurs façons de les concevoir, les ingrédients choisis, le lecteur pénètre l’âme des peuples qui composèrent l’URSS, leurs savoirs-faires, leurs coutumes, leurs rapports aux autres. La gastronomie devient ainsi dans ces pages une littérature du sensible.

Au-delà des recettes présentées et qui sont presque toujours complétées par des notices fort utiles, le lecteur est surtout embarqué dans l’histoire de cet empire qui a agrégé mille et une histoires car si Staline a annexé les provinces et les hommes, il en a fait de même avec les frigidaires !  Dans ces pages se racontent donc les histoires du goulag pour y montrer l’importance du thé, de la seconde guerre mondiale et de l’éclatement de l’URSS en nous emmenant dans ces conflits « gelés » comme le Haut-Karabakh pour y déguster une truite à la grenade (le fruit bien évidemment), l’Abkhazie ou la Transnistrie où Florent Pinel rebaptise des paupiettes de porc en cornichons de Tiraspol. Jusqu’au Moyen-Age pour nous expliquer que le plov ouzbek à base de riz n’est rien de moins que l’ancêtre de la paella espagnole et du biryani indien ! 

Chacun trouvera donc un intérêt à ce livre : cuisinier, voyageur, historien en herbe ou simple curieux. On en oublierait presque l’essentiel : manger. Il est donc grand temps de passer à table, non pas devant les sbires du KGB mais devant un bon qurutob tadjik ou une soupe pomore des rives de la Mer Blanche.

Par Laurent Pfaadt

Florian Pinel, Jean Valnoir Simoulin, L’Archipel du Goulache
Aux Editions Noir sur Blanc, 264 p.

A lire également :

Nathalie Baravian, La cuisine arménienne, Actes Sud, 2007.