L’aventure du bijou d’art

Vicky Kanellopoulos, (AUS/NOR)
– Serie « Vulvo » – Broches –
Argent sterling, argent sterling oxydé, feuille d’or, plastique, acier

La Galerie Art’Course
réunit du 5 au 29 juin
les créations de 40
bijoutiers et orfèvres
plasticiens venus de
18 pays pour
« Lié.e.s»,
une exposition
d’envergure
internationale dédiée
au bijou contemporain
qui fait souffler un
vent d’art frais sur
Strasbourg tout en
s’inscrivant dans un
champ résolument
politique.

Il peut arriver que l’art encore bien méconnu du bijou contemporain
ouvre tout  un monde régénéré en ample matière à récits.
Comment ? En suspendant par un saut de conscience l’accélération de celui que nous avons en partage. Cette accélération folle qui en
contracte les dimensions, réduisant nos vies minuscules à
l’applatissement d’un perpétuel téléprésentisme sans présence à
l’heure des dommages collatéraux, environnementaux, des effets
secondaires et des dénis de réalité persistants…

C’est bien l’ambition de Sébastien Carré, le commissaire de cette
exposition-monde baptisée « Lié.e.s » qui consacre le rôle de
« Strasbourg-capitale » tout en rajeunissant l’art millénaire du bijou : « La voix de l’artiste ajoute à la société. Son rôle est de transmettre
un message de nature à faire évoluer celle-ci. Nous sommes un
paysage pour les cellules qui vivent en nous. Nous proposons des
climats interactifs pour interpeller cet excès de virtualité qui
déréalise notre rapport à la nature et fait écran entre l’univers et
nous. Nous avons perdu nos connexions avec la nature comme avec
notre propre nature.  Par un bijou, nous achetons quelque chose qui
véhicule  un sens : quel meilleur message que de porter cet objet
porteur de sens sur nous ? C’est une manière de transmettre nos
pensées et de faire évoluer la société par un acte de
déconsommation devenu nécessaire. »

Dans cet univers intelligent où s’imbriquent l’animal, le végétal,
l’humain, le minéral et le synthétique et qui répond à chacune des
manifestations de notre présence d’esprit, l’oeuvre d’immersion de
Sébastien Carré établit une symbiose délicate entre la nature des
matériaux  utilisés (pierre, textiles, métaux, matières végétales ou
synthétiques) et le corps toujours à réinventer, envers et contre
l’épreuve de la maladie ou l’emprise d’une abstraction « numérique »,
dévoreuse d’être et d’expérience intérieure…

Oser le mot « politique »…

Sébastien Carré plonge ses racines dans le village de Vetheuil, en
région parisienne – celui où l’a précédé Claude Monnet avant de
faire école à Giverny – et déploie ses ailes à Barcelone et
Strasbourg…

Dans son enfance, sa grand-mère lui apprend à tricoter et à broder –
et sa mère à crocheter. Arrivé au carrefour des possibles, Sébastien
choisit Strasbourg, où l’art est à la fête, pour se former en section «
Bijou » à la prestigieuse Ecole des Arts décoratifs (2009-2014) –
avant de se retrouver confronté à la question cruciale : « Comment
débuter dans la carrière de bijoutier contemporain ? »

D’abord, il est assistant d’enseignement à l’école devenue la HEAR,
histoire de sentir l’émergence des jeunes pousses de la création
contemporaine : « Je voulais travailler le volume, j’adore travailler le
métal. Je suis resté à Strasbourg, la ville au plus près de tous les pays
où il y a un public pour le bijou contemporain et au confluent de tout
ce qui se passe… »

C’est par la grâce d’un échange à Barcelone qu’il tire le fil d’or de sa
vie – son travail est consacré par une triple moisson de prix (Jeune
création d’Atelier d’Art de France avec un stand au Salon Révélation
au Grand Palais 2015, Prix du Jury et Prix du Public de The Legacy
Award à Barcelone en 2015, Gioieilli in Fermento en Italie en 2016,
Prix pour les Arts de l’Académie rhénane en 2016). En octobre 2018,
il expose à nouveau dans l’effervescente Barcelone postindustrielle,
avec Materio-Talk qu’il organise à l’Institut français.

Par ciel bas et affaissemment de l’horizon commun, la conscience de
l’épuisement d’une planète surexploitée peut mener à de féconds
engagements : « Il faut oser le mot « politique » : quand on est artiste
et qu’on dispose d’une voix, qu’est-ce qu’on pourrait dire ? Nous
entrecroisons dans cette exposition une demi-douzaine de
thématiques comme le pouvoir, la paix, les migrations, la
désertification… Le terme bijou vient du grec « kosmo » qui signifie
idée. Nous avons perdu le sens du bijou à partir de la Révolution
française pour donner à la femme le rôle de celle qui porte les
bijoux… Nous conférons de la valeur à des matières qui ne seraient
pas considérées comme précieuses. L’échelle du bijou permet de
discerner les enjeux.  Après un appel à candidatures, lancé en juin
2018 et relayé sur de nombreux sites web internationaux de
référence dans le domaine du bijou d’art contemporain comme
Klimt02 ou Art Jewelry Forum, j’ai trouvé quarante créateurs qui
utilisent le média du bijou.Ils ont réfléchi à partir de trois images
marquantes de l’histoire : le pendentif attaché au bras robotisé de la
Station spatiale internationale le 3 août 2005 (Stephen K. Robinson),
la chaîne humaine reliant les pays baltes le 23 août 1989 (la Voie
balte) et le fermoir représentant la poignée de main entre le
président François Mitterand et le chancelier Helmut Kohl pendant
la commémoration des 70 ans de la Grande Guerre. Tous ces talents,
qu’ils soient émergents ou confirmés, cherchent à inclure le bijou
dans le champ de l’art contemporain en rompant avec les conventions du bijou classique. L’échelle du bijou permet de
discerner des enjeux vitaux…»

Une « rupture » par laquelle l’art ne cesse de se régénérer par la
grâce d’engagements singuliers tutoyant l’universel, toujours fugace
et fragile comme l’horizon commun qui s’affaisse. Le bijou comme
pensée et comme pesée de la conscience du monde ?

Exposition « Lié.e.s » du 5 au 29 juin

Galerie Art’Course

25 rue de la course à Strasbourg

www.galerieartcourse.com

contact@galerieartcourse.com

tél. 03 69 74 73 73

Par Michel Loetscher