Le 13e homme

Cinquante cinq-ans après sa conquête, la lune fascine toujours autant comme en témoigne séries, films et livres

Le 21 juillet 1969, à la tête de la mission Apollo XI, Neil Armstrong posait le pied sur la lune. Avec Buzz Aldrin et Michael Collins, il fut l’une des vingt-sept personnes ayant survolé le seul satellite de la terre et le premier des douze à avoir foulé le sol lunaire. Il fut surtout celui qui redonna aux États-Unis sa fierté bafouée par une URSS et son champion, Iouri Gagarine.


Deux hommes pour un rêve. Deux hommes pour une lutte. C’est ce que rappelle Frédéric Martinez dans sa brillante biographie croisée. Deux enfants de condition modeste, amoureux des livres qui trouvèrent dans les étoiles la matérialisation de leurs rêves de papier.

Tandis qu’Armstrong, ce piètre conducteur se battait en Corée, Iouri Gagarine se morfondait dans une fonderie et manqua de peu la radiation dans son école de pilotes. Tous deux forgèrent malgré tout leurs légendes. D’une plume particulièrement vivante et explosive comme une Saturn V, Frédéric Martinez nous conte l’histoire de ces deux hommes, de part et d’autre du rideau de fer. Deux hommes qui se ressemblaient. Deux rêveurs jamais rassasiés.

Fin des années 50, l’URSS surprend le monde en plaçant le spoutnik, le premier satellite, dans l’espace avant d’y envoyer à bord du Vostok, Iouri Gagarine, le premier homme, le 12 avril 1961. L’Amérique humiliée sur l’échiquier géopolitique d’un Eisenhower qui n’a pas cru à la conquête spatiale s’en remit alors, sous l’impulsion d’un JFK, à l’un de ses anciens ennemis, Werner von Braun, le concepteur des V2 nazies, un homme qui « a la tête dans les étoiles et les pieds dans une mare de sang » notamment celui des déportés du camp de Dora qui fabriquèrent les V2 et pense que les Soviétiques « ont fait le coup pour impressionner les Noirs » écrit Frédéric Martinez en citant l’ancien nazi. Le génie peut aussi être infâme mais il va cependant faire de Neil Armstrong et des membres de la mission Apollo XI, les héros d’une Amérique à l’honneur retrouvé. Quant à Iouri Gagarine, un autre mentor veille sur lui : Sergueï Korolev, l’homme de la fusée R-7, l’ingénieur qui « n’a pas le droit d’exister officiellement » écrit Gregor Péan qui réhabilite – comme Frederic Martinez – dans son très beau roman consacré à Gagarine, ce personnage oublié. Addictif, le roman suit les destinées croisées du premier homme dans l’espace mais également de Marina Socovna, une espionne soviétique avant que les deux chemins, les deux trames narratives ne se croisent.

Tous les deux paieront le prix de leur rêve, infligé par le destin. Armstrong avec la mort de sa petite Karen-Anne emportée par une tumeur cérébrale et l’échec de son mariage avec Janet. Gagarine en devenant une statue du régime à jamais figée sur terre. Arrive 1966 où leur rêve commun se scinde : l’un descend en enfer quand l’autre s’apprête à atteindre son paradis.

Gagarine ne vit jamais son alter ego poser le pied sur la lune car il décéda le 27 mars 1968 après le crash de son avion. Le destin n’a pas voulu lui jouer ce mauvais tour et lui, le premier à avoir approché au plus près Dieu, lui l’athée, était retourné dans ce ciel qui l’attendait pour reprendre le titre du roman de Gregor Péan. D’ailleurs, il s’en est fallu de peu que l’URSS ne pose en premier le pied sur la lune comme le rappelle l’extraordinaire série d’Apple TV, For all Mankind qui diffuse ces derniers temps sa quatrième et dernière saison.

Après des années de sommeil, les Etats-Unis relancèrent la course à la lune avec la mission Artémis II qui prévoit d’envoyer un homme ou une femme sur la lune en 2025. Une mission parfaitement détaillée dans le livre paru aux éditions Glénat et préfacé par Milan Maksimovic, directeur de recherche au CNRS et astrophysicien à l’Observatoire de Paris, dans ce qui est peut-être l’ouvrage de référence sur la lune. Fourmillant de détails et s’appuyant sur de très belles photos, il analyse la lune sous toutes ses coutures ou plutôt sous tous ses reliefs avec ses montagnes, ses déserts, les différentes missions et leur technologie. Particulièrement intéressante est la cartographie des différents alunissages. Bien évidemment Iouri Gagarine et Neil Armstrong occupent des places de choix dans cette course à la lune devenue à nouveau l’un des terrains de jeu de la recomposition géopolitique post 11 septembre 2001. Une course où de vieilles puissances tentent d’y maintenir leur influence, quitte à s’allier sous la bannière de l’Union Européenne quand d’autres nées au siècle précédent (Inde et surtout Chine) y affirment leur puissance grandissante ou construisent leur place de demain comme les Emirats Arabes Unis ou l’Arabie Saoudite.

Et si le 13e homme était une femme ? Car l’hypothèse confinée pendant longtemps à la science fiction notamment dans la superbe saga de Mary Robinette Kowal, n’est plus farfelue, loin de là. Et cette femme pourrait être chinoise en la personne de Zhou Chengyu, commandante du programme spatial chinois qui, dans cette nouvelle guerre froide où la Chine a remplacé l’URSS, pourrait réussir là où Gagarine a, d’une certaine manière, échoué. A l’instar de son ami et rival communiste, la Chine souhaite aujourd’hui prendre une longueur d’avance dans ce qui reste pour le moment une course technologique notamment dans l’exploration de la face cachée de la lune en intégrant à leur mission un satellite de communication servant d’intermédiaire entre la terre et le vaisseau posé à la surface. Mais derrière tout cela couve en réalité ce rêve jamais assouvi d’envoyer à nouveau un être humain sur notre satellite.

Autant dire qu’il risque d’y avoir du monde dans la lune…

Par Laurent Pfaadt

Frederic Martinez, Neil Amstrong, Youri Gagarine, deux vies, un rêve,
Passes composés, 240 p.

La Lune, préface de Milan Maksimovic
Glénat, 224 p.

Gregor Péan, Le ciel t’attend
Robert Laffont, 208 p.

Mary Robinette Kowal, Vers les étoiles, 528 p. Vers Mars, 512 p. Sur la Lune, 736 p.
traduit de l’anglais par Patrick Imbert, Denoël

Mon article : http:// http://www.hebdoscope.fr/wp/blog/me-to-the-stars/

Et bien évidemment, Objectif Lune et On a marché sur la Lune de Tintin, Casterman

A voir :

For all Mankind, Apple TV, 4 saisons

First Man, le premier homme sur la Lune, de Damien Chazelle avec Ryan Gosling et Claire Foy, 2018

Robert Stone, La conquête de la Lune, 3 DVD, Arte Editions