Le banquier du Reich

Qui est Hjalmar Schacht, le fameux banquier du Reich, l’homme qui a permis de financer la guerre d’Adolf Hitler jusqu’à l’absurde, jusqu’à la folie ? Pour le savoir, rien de mieux que d’entrer dans cette superbe bande-dessinée, belle réussite tant scénaristiquement qu’esthétiquement et signée Cyrille Ternon, auteur entre autres de La Conjuration des vengeurs (Glénat) et ses deux scénaristes, Pierre Boisserie et Philippe Guillaume.


Assez astucieusement, la BD avance sur deux fronts en se servant d’un fil rouge, celui d’un agent du Mossad interpellant Schacht dans un avion reliant Calcutta à Rome. L’Israélien souhaite avoir des informations sur Rolf Lübke qui fut le secrétaire de Schacht lorsque ce dernier était président à vie de la Reichsbank. Tout en se demandant ce qu’est devenu Lübke, personnage fictif marié avec une femme juive et dont les enfants sont également juifs, les auteurs déploient par flashbacks la vie de Hjalmar Schacht.

Economiste de renom, Schacht fut nommé en 1923 à la tête d’une Reichsbank qui tentait de faire face aux conditions exorbitantes des Alliés et d’un traité de Versailles imposé à l’Allemagne en 1919. Schacht élabora des solutions économiques viables mais subit l’intransigeance et le mépris d’une France bien décidée à faire payer l’Allemagne. La crise de 1929 et l’arrivée des nazis au pouvoir en 1933 qu’il critiqua ruinèrent ses efforts. En s’aventurant avec brio dans l’intimité de leur personnage, les auteurs montrent que l’ambition et la vanité de Schacht poussèrent ce dernier à soutenir un Hitler bien décidé à orienter l’économie allemande vers un réarmement, prélude à la guerre. Schacht, devenu ministre d’Etat, s’opposa cependant à cette stratégie et se vit bientôt démis de ses fonctions.

Les scènes historiques, en particulier les entrevues avec Hitler, sont parfaitement réussies car nourries de recherches iconographiques qui crédibilisent l’histoire. Il y a même parfois un petit côté Blake et Mortimer dans le traitement des villes et des automobiles. Les auteurs réussissent également à allier sérieux historique et pédagogie lorsqu’il s’agit d’expliciter les mécanismes économiques. Le scénario, lui, ne pâtit d’aucune faiblesse. Dès que le récit biographique semble s’étirer, il bascule dans la quête de Rolf Lübke. Pour connaître la fin de cette énigme, le lecteur doit alors patienter jusqu’aux dernières pages. Entre-temps, Schacht tenta de comploter contre Hitler avant de comparaître devant le tribunal de Nuremberg qui l’acquitta, non loin d’un Goering qui le détestait cordialement.

Le banquier du Reich est une indéniable réussite. En mêlant avec talent, récit fictionnel et sérieux historique, rythme narratif et qualité du dessin, il permet de rendre intelligible à la fois un personnage complexe et la réalité économique de l’Allemagne durant la première moitié du 20e siècle. Le tout en assurant un incroyable plaisir de lecture.

Par Laurent Pfaadt

Cyrille Ternon, Pierre Boisserie, Philippe Guillaume,
Le banquier du Reich
coffret 2 tomes, Glénat