Le Caravage du 20e siècle

La Cinémathèque française nous ouvre les portes du cinéma de
Sergio Leone.
Excitant et magnifique

Un téléphone qui sonne en vain dans une pièce. Un sifflement
familier qui résonne dans le lointain. Dès l’entrée, la rétrospective
que consacre la cinémathèque française à Sergio Leone donne le
ton, celui d’une voix et d’une musique qui ne nous ont jamais quitté,
qui trottent toujours et encore dans nos têtes et nous ramènent à
des évènements culturels familiers qui ont construit à tout jamais
notre imaginaire de petit garçon puis d’adulte. Car, que l’on ait
trente, quarante, cinquante, soixante ou soixante-dix ans, Sergio
Leone, ses films, ses dialogues et la musique d’Ennio Morricone sont
ancrés en nous. A tout jamais.

Sergio Leone, c’est l’histoire d’un petit gars qui a grandi dans le
milieu du cinéma, d’un héritier apprenant son métier au contact des
plus grands (Vittorio de Sica, William Wyler) et devenu un affranchi
lorsqu’il décide après un premier film (le colosse de Rhodes, 1964) de
révolutionner le cinéma en transposant le Yojimbo de Kurosawa au
Far-West. Ce sera Pour une poignée de dollars. Alors comme tous les
visiteurs, on trépigne d’entrer dans ses westerns spaghettis et
surtout de briser la vitrine renfermant la Winchester de l’homme
sans nom du Bon, la Brute et le Truand et de tirer sur la corde d’un
Tuco condamné à mort.

Les sources d’inspiration de Sergio Leone furent multiples : peinture
(Di Chirico pour les paysages dépouillés de ses westerns, Goya et
son tres de Mayo dans la scène d’Il était une fois la révolution, Renoir,
Rembrandt ou Vermeer), littérature avec Homère que Leone
considérait comme « le plus grand auteur de westerns » selon Ennio
Morricone, Cervantès ou Shakespeare et bien entendu le cinéma
(Chaplin, John Ford). Elles formèrent une œuvre inédite,
révolutionnaire. « Leone est le chapitre fondateur d’un cinéma
transnational, globalisé, mais aussi enraciné dans la tradition italienne et
pas seulement »
rappelle ainsi Emiliano Morreale dans le catalogue
qui accompagne l’expo et se lit comme un roman.

Et c’est là qu’on comprend cette filiation avec le Caravage. Rapport
différent au temps, très gros plans sur ces bottes ou ces barbes,
choix des figurants, ces anonymes aux trognes immortelles qu’il
allait chercher comme le Caravage dans les bas-fonds de la capitale
romaine. La fidélité historique ne l’intéresse que si elle contribue à la
magie de ses tableaux en mouvement.

Et puis, il y a la musique d’Ennio Morricone, ce clair-obscur de la
pellicule, composée avant de tourner les films et que Leone passait
aux acteurs pour les mettre en condition. « Sergio avait conseillé à
Clint Eastwood de ne jamais oublier d’exprimer intérieurement des
insultes et des invectives à ses interlocuteurs dans les scènes non
dialoguées. Ça donnait une énergie insolente et caustique aux scènes,
même si le face-à-face était muet. Les musiques avaient pour but de
renforcer tout ça »
rappelle Ennio Morricone dans ses mémoires.

Nos chaussures martèlent le parquet, un vent chaud souffle dans le
noir. On regarde nos pieds. Non, il n’y a pas d’éperons. On lève la tête
et on observe notre reflet dans ce miroir surmonté d’une pomme. Ce
dernier s’estompe et apparaît alors celui d’un Robert de Niro vieilli,
en lutte avec ses souvenirs dans le cultissime Il était une fois
l’Amérique
dont on apprend que la première version du scénario fut
signée Norman Mailer. On admire les décors et les costumes mais
dans nos têtes, les souvenirs magnifiques que chacun conserve de
Sergio Leone ne nous quittent plus. La musique d’une Poignée de
dollars
mit plusieurs jours à s’estomper.

Par Laurent Pfaadt

Il était une fois Sergio Leone, Cinémathèque française,

Sergio Leone © Sanaa Rachiq

jusqu’au 27 janvier 2019

La programmation cinématographique est à retrouver sur www.cinematheque.fr

A lire le catalogue de l’exposition : Gian Luca Farinelli
et Sir Christopher Frayling, La révolution Sergio Leone,
éditions de la Table Ronde, 512 p.

Ennio Morricone,
Ma musique, ma vie, entretiens avec Alessandro De Rosa,
éditions Séguier, 624 p.