Patrick Manoukian, alias Ian Manook, est l’un de nos auteurs de polars les plus talentueux. Délaissant les plaines mongoles et les glaciers islandais, il s’est lancé voilà deux ans dans l’écriture d’une saga qui puise largement dans son histoire familiale arménienne même s’il tient à préciser que « ce n’est pas un témoignage sur ma famille. Je prends l’histoire de ma famille pour en faire quelque chose d’universel. »
Après L’oiseau bleu d’Erzeroum (Albin Michel, 2021) qui se focalise sur le génocide de 1915, Ian Manook nous entraîne cette fois-ci avec Le chant d’Haïganouch dans la Russie soviétique en compagnie d’Agop et d’Haïganouch, séparée de sa grande sœur Araxie lors du génocide.
Agop, le meilleur ami du mari d’Araxie, a émigré en France. Fini les milices anti-ottomanes, il a rejoint le PCF. Mais l’appel de la mère patrie est plus fort que tout. Ce chant sera celui d’une sirène nommée Staline qui, comme dans l’Odyssée, finira par le dévorer. Sur les bords du lac Baïkal, un autre chant résonne, celui d’Haïganouch, poétesse aveugle qui va devoir elle-aussi affronter de nouvelles épreuves, en particulier la répression stalinienne dans une autre odyssée, sibérienne celle-ci. Némésis a cédé sa place à Ananké, la mère du Destin.
Sous couvert du roman, Ian Manook propose une profonde réflexion sur le déracinement et les dilemmes de la diaspora arménienne où leurs membres sont à la fois enviés et détestés. Il s’interroge également sur ce fossé qui ne se comble jamais entre ceux qui sont partis et ceux qui restent.
Dans ce récit mélancolique comme un air de duduk, le lecteur retrouvera assurément l’incroyable talent de conteur de Ian Manook avec, en plus, cette émotion propre aux histoires personnelles. L’alchimie romanesque fonctionne parfaitement. Cela donne un livre très agréable à lire avec des personnages rencontrés dans L’oiseau bleu d’Erzeroum qui gagnent en épaisseur.
Ian Manook souhaitait avec cette histoire « transmettre des sentiments universels à travers des destins individuels ». Il y parvient de la plus belle des manières. Et à l’heure où le peuple arménien subit une nouvelle agression, lire Le chant d’Haïganouch est également, d’une certaine manière, un combat contre l’oubli. Un chant qui souffle sur des pages de braises et de glace. Un chant de souffrances et de courage qui, traversant les générations, dépasse le simple livre d’un écrivain de polars et coure sur les pentes du mont Ararat et sur les ruines de Stepanakert.
Par Laurent Pfaadt
Ian Manook, Le Chant d’Haïganouch
Chez Albin Michel, 384 p.