Le condottiere du piano

© Southbank Center
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Maurizio Pollini en récital à la Philharmonie

Les grands monstres sacrés du piano se font rares. Après la disparition d’Aldo Ciccolini, il ne reste plus que Martha Argerich, Nelson Freire, Daniel Barenboim ou Maria Joao Pires pour nous offrir ces moments musicaux d’exception et cette plongée dans l’âge d’or du piano au XXe siècle où jouer du piano allait bien au-delà de la simple interprétation.

Maurizio Pollini, ce prince rouge du piano, fait partie de ces artistes qui ont transcendé leur art musicalement et humainement. On se souvient de ces moments d’anthologie avec son ami Claudio Abbado mais surtout de l’expérience que les deux milanais menèrent pour apporter la musique au plus grand nombre, dans les usines, les universités, etc. Aujourd’hui, l’homme a vieilli mais dans ses yeux subsistent toujours cette humilité profonde et dans ses mains est resté intact ce don exceptionnel qu’il a travaillé notamment avec Michelangeli.

Le récital qu’il donna dans la toute nouvelle Philharmonie de Paris fut un nouveau moment de partage entre un public conquis au sein duquel hommes politiques et professionnels de la musique s’étaient donné rendez-vous pour rendre hommage et admirer une fois de plus le pianiste de légende qu’il est.

Celui qui a remporté avec brio le concours Chopin en 1960 ne pouvait pas faire l’impasse sur l’œuvre du maître même s’il s’est évertué tout au long de sa vie à sortir de ce carcan. Pollini dont le grand Rubinstein avait dit « qu’il était meilleur que nous tous » lors de la finale du concours Chopin interpréta merveilleusement les Préludes. Son toucher rond et tout en velours délivra sur ce Steinway and Sons spécialement construit pour lui par le facteur Fabbrini, des sons d’une beauté rare en particulier lors du quinzième prélude « goutte d’eau » qu’il joua à la manière d’un Caravage répandant son clair-obscur ou durant le seizième, cet Hadès comme l’a surnommé Hans von Bülow en raison de sa difficulté, où la frénésie domine le clavier.

Cette sensibilité propre à Pollini ne pouvait que trouver un terrain favorable chez Claude Debussy et ses Préludes du deuxième livre. La délicatesse du pianiste milanais restitua à merveille à la fois le caractère onirique et cauchemardesque de la musique de Claude Debussy, oscillant entre berceuse et fracas, entre douceur et violence. Car la musique de Debussy raconte toujours une histoire et, avec Pollini dans le rôle du conteur, celle-ci ne pouvait être que passionnante et passionnée.

La transition entre Claude Debussy et Pierre Boulez, deux compositeurs qui bouleversèrent à jamais la musique, son interprétation et sa conception, était enfin toute trouvée puisque la soirée s’acheva avec la fameuse sonate pour piano n°2 dont on fête cette année le 90e anniversaire de son créateur. Déroutante autant que fascinante, elle permit une fois de plus à Maurizio Pollini de démontrer tout son génie dans un style musical qu’il affectionne également et qu’il eut l’occasion d’interpréter notamment en compagnie de Luigi Nono, autre participant à l’Internationale Ferienkurse für Neue Musik de Darmstadt. Reconnu encore aujourd’hui comme l’un des interprètes majeurs de cette sonate pour piano n°2 qu’il joue depuis près d’un demi-siècle et qu’il contribua à inscrire comme l’un des classiques du répertoire, Maurizio Pollini a démontré avec force l’étendue de sa virtuosité notamment dans ce finale qui conduit le soliste à, d’une certaine manière et allégoriquement, franchir le mur du son. En tout cas, avec un tel interprète au clavier, le compositeur ne pouvait rêver meilleur cadeau d’anniversaire.

Laurent Pfaadt