Le destin frappant le mur

Bernstein
conduisant la
neuvième
symphonie de
Beethoven au
moment de la
chute du mur de
Berlin. Quand
histoire et
musique se
rejoignent.

Ce jour-là fut un
moment de joie. Ce
jour-là, les Allemands de l’Est retrouvaient enfin, après trente-huit
ans de séparation, leurs frères de l’Ouest. « Tous les humains
deviennent frères »
proclame la neuvième symphonie de
Beethoven. Quelques semaines plus tard, le 25 décembre 1989 au
Schauspielhaus de Berlin, la musique du génie de Bonn célébra
cette liberté tant espérée. Le trentième anniversaire de la chute
du mur de Berlin offre ainsi une formidable occasion de rééditer
ce concert incroyable. Alors que l’auditeur avait, jusque-là, dû se
contenter du son, certes merveilleux, il lui est aujourd’hui possible
de voir ce concert et d’entrer un peu plus dans ce moment
historique.

C’est un Américain, le plus européen des Américains, Leonard
Bernstein, qui fut, pour l’occasion, chargé de conduire non pas une
phalange musicale, mais cette réconciliation. Plus qu’une
symphonie, plus qu’une ode à la liberté, son interprétation
constitua un hymne à cette Europe divisée qui voyait enfin se
réconcilier ses fils bien-aimés. Il y mit toute sa force et sa passion
comme en témoigne les extraordinaires images du concert, lui qui
fit battre comme personne le cœur humain avec ses symphonies
de Mahler, lui, le représentant d’une Amérique victorieuse de la
guerre froide devenu ce jour-là, le chantre d’une Europe où il n’y
avait plus ni capitalistes ni communistes.

Cette version de la neuvième est probablement l’une des plus
belles jamais données car elle porte en elle le poids de l’histoire,
celle de l’Europe, celle de l’humanité avec ses espoirs et ses
tragédies. A la douceur des bois répond le tocsin de cuivres menés
par cet orchestre de la radio bavaroise où figuraient également
des musiciens venus des orchestres des anciennes puissances
occupantes. A la dernière note jouée, le silence se fit. Puis une
clameur monta. Dans le public, on s’étreignit. « Tous les humains
deviennent frères »
. Nul doute que ce jour-là, Beethoven versa
quelques larmes, satisfait d’avoir enfin été écouté.

Par Laurent Pfaadt

Ode an die Freiheit, Beethoven, Symphonie n° 9, divers orchestres,
dir. Leonard Bernstein,
CD + DVD, Deutsche Grammophon.