Le doge était flamand

Pierre-Paul Rubens,
St François d’Assise recevant les stigmates,
Musée des Beaux-arts de Gand

Le Palazzo Ducale présentait
une magnifique exposition
consacrée aux maîtres
flamands

Aux 16e et 17e siècles, les
ports de Venise et d’Anvers
constituaient des plaques
tournantes du commerce
européen. Et les nombreux
échanges économiques se
doublèrent, comme à chaque
fois, d’échanges culturels.
S’appuyant sur un certain
nombre de collections
notamment celles de la Maison
Rubens à Anvers et du musée des Beaux-arts de Gand, le Palais
des Doges de Venise montra combien, à travers ces chefs
d’œuvres, les influences artistiques de la peinture italienne de ces
deux siècles notamment celle de Venise marquèrent
profondément l’art baroque flamand.

Ainsi, bien plus qu’un alignement de chefs d’œuvres et ils sont
nombreux – certains comme le Portrait de Johannes Malderus de
Van Dyck furent ainsi dévoilés pour la première fois – l’exposition
s’attacha surtout à explorer cette interaction. Outre l’utilisation
de sujets antiques et religieux ou la codification et le
développement de thématiques picturales comme celle de la
flagellation du Christ, les toiles, dessins et gravures présentés
dessinèrent ici une seule et même peinture baroque européenne.
Malgré l’existence de traditions picturales propres à chaque
région, ces dernières furent en permanence alimentées par les
expériences artistiques de ces peintres venus dans la péninsule
s’abreuver du Titien, de Véronèse, du Caravage ou du Tintoret.
Nombreux furent ainsi les peintres flamands à parfaire leurs
formations en Italie ou à mettre leurs talents au service de tel
prince ou de tel monarque. Ainsi Maerten de Vos et Frank
Pourbus séjournèrent à de nombreuses reprises en Italie. Van
Dyck y passa six années où il s’imprégna des étoffes de Véronèse
et se couvrit d’une gloire qu’il mit ensuite au service de Charles Ier
d’Angleterre.

L’exemple le plus emblématique de cette perméabilité des arts
italien et flamand fut indiscutablement celui de Pierre-Paul
Rubens qui trôna, avec ses douze œuvres, en majesté dans cette
exposition. Son incroyable Etude pour le buste de l’empereur Galba
rappelle celle de la figure pour la bataille d’Anghiar du grand Vinci
et ses ocres du Saint François d’Assise recevant les stigmates du
musée des Beaux-arts de Gand – l’une des pièces maîtresses de
l’exposition – ont été puisés sans aucun doute dans ceux du Titien.
Sa flagellation tire quant à elle son inspiration de celle dessinée
par Michel-Ange et peinte par Del Piombo dans la basilique Saint
Pierre et qu’il contempla à n’en point douter. Mais à la différence
de nombreux peintres flamands dont l’influence italienne saute
immédiatement aux yeux comme par exemple le caravagisme
d’Adam de Coster, Rubens, quant à lui, ne se laisse décrypter que
difficilement. Son art ressemble à une lente sédimentation faîte
d’influences, de modèles, de postures, de styles, de coloris
lentement absorbés, digérés constituant ainsi, pour reprendre le
terme de sa biographe française, Marie-Anne Lescourret (Rubens,
Flammarion, 2004), un véritable « syncrétisme » pictural.

Tout cela nous ferait presque oublier les peintres italiens de
l’exposition qui ne furent pas là pour servir de faire-valoir à leurs
homologues flamands, en particulier Titien que Rubens et Van
Dyck admirèrent, notamment le Portrait d’une Dame et sa fille,
vendu en 2005 à Londres et enfin restauré. Et les moins connus ne
furent certainement pas les moins beaux comme cette magnifique
Marie-Madeleine en méditation attribuée à Massimo Stanzione que
l’on surnomma à juste titre le Guido Reni napolitain. On ressort
ainsi ébloui de tant de beautés dans ce jeu de cache-cache et de
lumière fascinant. Mais que les visiteurs se rassurent, ils n’en ont
pas fini avec les mystères du Palazzo Ducale puisque le doge les
conviera très bientôt à un autre bal masqué, musical pour
l’occasion. Tout un programme donc …

Par Laurent Pfaadt

Exposition à retrouver également dans son merveilleux catalogue :

From Titian to Rubens, Masterpieces from Antwerp and other Flemish Collections (anglais), Snoeck, 240 p.

Prochaine exposition au Palazzo Ducale :

OPERA, The stars of melodrama,
du 9 avril au 30 août 2020,
Palazzo Ducale – Appartamento del Doge