Le météore de la peinture

Egon Schiele, Autoportrait veste orange, 1913 © Albertina, Wien

Le musée de l’Albertina rendait
un hommage appuyé à Egon
Schiele

Il est de ces artistes dont la vie fut
certes brève mais dont l’œuvre
est appelée à demeurer
intemporelle. Leur jeunesse
construisit un mythe et leurs
œuvres transcendèrent les
époques, les modes et défièrent
une morale souvent subjective.
Ainsi en fut-il d’Egon Schiele qui
peut, à juste titre, être considéré
comme l’un des plus grands
dessinateurs du 20e siècle mais
également l’un de plus subversifs.

En attendant le centenaire de sa mort en 2018 et mettant à profit
son incroyable fond, le grand musée viennois de l’Albertina,
consacre ainsi une grande exposition à l’œuvre sur papier du
peintre en réunissant près de 160 dessins sur les quelques 3000
dessins, aquarelles et gouaches que Schiele a laissé.

Puisant dans une existence tumultueuse qui lui fit connaître le
deuil paternel, l’hôpital psychiatrique ou la prison, Egon Schiele
élabora très vite, dès ses premières années d’activité, un art
unique qui dissèque la condition humaine en mettant les corps et
les âmes à nue. Dans cette Vienne du début du 20e siècle, Schiele
partage avec Freud cette même conviction que toute nature
humaine est d’abord sexuelle. Et il allait porter cette réflexion
picturale à un niveau rarement atteint. Nu à la chevelure noire
(1910) en est l’exemple parfait. Avec sa puissance érotique, le
dessin est construit sous la forme d’un miroir entre le visage de la
jeune femme et son sexe. Mais au-delà du simple dessin, il agit
également sur l’inconscient de celui qui le regarde : ai-je le droit
de contempler cette femme sortie de l’adolescence ? Dans le
même temps, la jeune femme semble consciente de son pouvoir
de séduction. Nabokov n’aurait pu en dire mieux.

Tout l’art de Schiele est ainsi résumé dans ce dessin. Convoquer le
spectateur et le mettre devant ses responsabilités conscientes ou
inconscientes. Plus encore, lui renvoyer sa complicité dans la
situation qu’il contemple. Ainsi, lorsqu’il peint les enfants de la
classe ouvrière, il n’omet pas la crasse qui macule leurs visages, ni
l’usure de leurs vêtements.

Pour parvenir à cette puissance expressionniste, Egon Schiele se
détacha de la Sécession et de la figure tutélaire de Klimt qui avait
guidé ses premiers pas et inventa son propre style, surtout à
partir de 1910 et de la fondation du NeueKunstgruppe.
L’exposition montre bien tout le travail de l’artiste sur les rouges,
les orangés, les bleus qui dessinent des corps décharnés,
faméliques, ou sur ces yeux qui prennent à partie le spectateur
même lorsqu’ils sont inexistants comme dans l’Autoportrait
grimaçant
(1910). Il y a aussi ces blancs qui créent des halos de
lumière opaques autour de ses sujets (Femme nue, 1910). On
mesure alors combien les œuvres du peintre témoignent d’une
modernité stupéfiante en annonçant le pop art ou la bande-
dessinée. L’expressivité est ici décuplée et se combine à une forme
de mysticisme revendiqué par un peintre proche de la théosophie
de Rudolf Steiner.

Cet outsider de la peinture ne pouvait rester ignoré. Dès 1912, il
acquit une notoriété qui ne se démentira plus. Naissent alors
quelques chefs d’œuvre gardés bien au chaud à l’Albertina ou
venus du Léopold Museum voisin comme l’autoportrait au manteau
orange
(1913), à la veste jaune (1914) ou la célèbre Femme assise à
la jambe gauche repliée
(1917). A cette date, il ne lui restait plus
qu’une année à vivre mais le mythe était déjà né. Cette exposition
montre qu’il est toujours vivant.

Egon Schiele,
Albertina Museum, jusqu’au 18 juin 2017

Laurent Pfaadt