Le Mohican

un film de Frédéric Farrucci

Alexis Manenti prête son corps massif et bien ancré dans sa terre à son personnage de berger corse menacé puis poursuivi par la mafia. Il propose un jeu intense, tout en retenu. Frédéric Farrucci a eu la bonne idée de confier ce rôle à ce comédien vu entre autres dans Les Misérables de Ladj Ly et Le Ravissement d’Iris Kaltenbäck. Pour ce film, la réalisatrice s’était nourri des origines serbes d’Alexis Manenti. Ici, c’est son côté corse qui a été source d’inspiration pour incarner le berger à l’origine du Mohican.


Frédéric Farrucci avait réalisé en Corse, en 2017, deux documentaires, l’un sur un vétérinaire, Marc Memmi, qui joue son propre rôle dans Le Mohican et l’autre sur un berger, Joseph Terrazzoni. Ce berger est le dernier en Corse à posséder de la terre sur le littoral où il élève des chèvres corses pour leur lait, quand les autres bergers sont désormais dans la montagne et élèvent des alpines plus productives. Or, le bord de mer est une manne pour les agents immobiliers. Si dans la réalité, ce berger a pu conserver sa terre, une menace pèse que le réalisateur a exploitée. Joseph (Alexis Manenti) se retrouve un jour à dire « Non », non il ne veut pas vendre sa terre … puis quelques jours plus tard, la pression se fait plus forte et, accidentellement, il tue l’homme venu l’intimider. Joseph prend le maquis, la traque commence et se poursuit du sud de l’île vers le nord.

En ce dernier matin avant que la vie de Joseph ne bascule, il sort ses chèvres et avec son bâton de berger, il mène son troupeau dans la lumière du soleil qui se lève, vision biblique d’un monde encore innocent. Puis, le film emprunte au cinéma de genre et Frédéric Farrucci de faire de ce paysage corse splendide un décor de Western avec des mafieux jumeaux et des gros plans à la Sergio Léone dans une séquence où les bandits affrontent des vieux bergers à barbe blanche chez qui Joseph s’est réfugié. Ce ne sont pas des effets de style pour le style, le film est maîtrisé de bout en bout au service d’un suspens quant au sort réservé à Joseph sur une île où tout le monde connaît tout le monde et où la police et la mafia entretiennent des rapports ambigus. Heureusement, la solidarité, l’amitié, la fraternité, le sens de la famille ne sont pas des mots galvaudés. Pierre qui aide Joseph, son ami berger comme lui, incarne ces valeurs, joué par Paul Garatte (ancien berger devenu acteur dans de nombreux films corses) qui impressionne par sa présence.

Joseph est une « anomalie dans le paysage », il est le dernier des Mohicans, l’homme qui résiste, l’homme à abattre. Le Mohican est un film d’action et raconte beaucoup de la réalité corse, tandis que son héros est un taiseux. Quand il s’enfuit de chez lui, après le meurtre accidentel, il traverse villas avec piscine, chantiers en construction et c’est la bétonisation partout jusqu’à la plage. Comment raconter cette réalité d’une urbanisation sur tout le littoral ? Comment raconter la mobilisation d’une jeunesse opposée à l’avenir de son île tel qu’il se présente ? Par le biais des réseaux sociaux omniprésents, depuis le post de la fuite de Joseph sur la plage jusqu’à l’appel à la manifestation pour la libération du vétérinaire qui le soignera à un moment de sa fuite. Ainsi se crée la légende du Mohican dont on parle à la radio, à la télé et même en chanson. Le paysage lui-même le rappelle à la mémoire collective avec son portrait tagué. Le Mohican a du souffle et nous tient de bout en bout en haleine, de tout cœur avec lui.

Par Elsa Nagel