En cet été 1941, Vassili Grossman, écrivain apprécié par le régime se trouve sur le front. Les Allemands, depuis le 22 juin, ont renversé une Armée rouge en pleine débâcle et massacré russes et juifs dont la propre mère de Grossman à Berditchev. Journaliste pour l’Etoile rouge, le journal de l’armée, il écrit alors, à partir de son expérience un récit de guerre d’abord publié en feuilleton à l’été 1942 et qui va devenir le Peuple est immortel, premier roman soviétique sur la guerre. Il raconte ainsi l’encerclement par la Wehrmacht d’une brigade en Biélorussie. Le roman pourtant sélectionné pour le prix Staline en 1943 n’obtient pas ce dernier en raison de l’hostilité du dictateur pour un écrivain qui avait fait l’éloge de Lénine et de son internationalisme. Ce n’est qu’après la guerre, en 1946, que le public français allait découvrir ce roman mais dans une version censurée.
Poursuivant son entreprise de republication des œuvres de Vassili Grossman, les éditions Calmann-Levy donnent ainsi à voir un roman de guerre qui séduira les néophytes de l’œuvre du grand écrivain tout en offrant une porte d’entrée de l’univers de Grossman. Aux plus avertis, il constituera l’antichambre littéraire du génie à venir, la mue de papier d’un écrivain prêt à franchir le Rubicon soviétique lorsqu’il pointe notamment avec une incroyable insolence littéraire l’incurie du régime qui s’est effondré devant l’invasion allemande. Mais surtout, le Peuple est immortel doit être compris comme « un appel à demeurer unis face à la menace de destruction » selon Luna Jurgenson qui signe la préface. A travers sa glorification des nationalités qui composent l’URSS, sa prose emprunte d’un mysticisme religieux qui, en soit, est d’une audace incroyable avec sa dimension eschatologique, et la puissance de la description des hommes face à leurs destins annonçant les chefs d’œuvre à venir de Grossman, Le Peuple est immortel mérite assurément toutes les attentions.
Par Laurent Pfaadt
Vassili Grossman, Le peuple est immortel, traduit du russe par Claire Delaunay et Luba Jurgenson
Chez Calmann Levy, 352 p.