Le phénix de l’humanité

L’universitaire britannique Paul Cartledge signe un ouvrage passionnant sur l’histoire de la démocratie.

On l’a si souvent donné pour morte. Et pourtant, elle renaquit, à chaque fois, de ses cendres. Cela tombe bien car, à l’instar du phénix, cette créature mythologique, le mot démocratie apparut pour la première fois sous la plume du grand historien grec Hérodote. Et comme le rappelle Paul Cartledge dans son ouvrage passionnant, cette histoire-monde de la démocratie, c’est véritablement la Grèce Antique qui fut le berceau de cette autre créature mythique que nous vénérons encore.


Là-bas, à partir de la fin du VIe siècle avant notre ère débuta la codification d’une forme nouvelle de gouvernance qui prit vers 425 av. J-C le nom de demokratia, contraction de « demos », le peuple et de « kratos », le pouvoir. Cet élan se matérialisa avec quelques grands pères fondateurs notamment Clisthène qui organisèrent la prise en main des affaires de la cité – d’abord athénienne – par le peuple. S’en suivit un âge d’or avec des hommes tels que Périclès ou Démosthène qui portèrent la démocratie à un firmament rarement égalé. Mais tel Icare, ce phénix s’y est parfois brûlé les ailes et dans ce livre qui tient à la fois du récit historique et d’une histoire des idées politiques, Paul Cartledge, convoquant les sources – de Thucydide à Polybe en passant par Platon et Aristote – montre que tous ceux qui ont tenté d’affaiblir la démocratie l’ont finalement appris à leurs dépens. Ainsi l’opposition de Sparte « à l’avènement de la démocratie fut un des facteurs les plus puissants du ralentissement de son expansion à travers le monde grec » rappelle l’auteur.

Mille fois fut annoncée la fin de la démocratie. Roi macédonien ou empereur romain, tous crurent avoir dompté la créature. D’ailleurs, l’auteur n’est pas tendre avec Rome qui fit de la démocratie le paravent d’un régime autoritaire symbolisé notamment par l’édit de l’empereur Caracalla en 212 qui conférait la citoyenneté à tous les citoyens de l’Empire. Ce dernier fut avant tout pour Paul Cartledge « le signe le plus évident que la citoyenneté romaine était devenue totalement insignifiante ».

Le phénix mit alors plusieurs siècles à renaître de cendres jamais éteintes. C’est dans l’Angleterre du XVIIe siècle et la France de la Révolution que la démocratie réapparut. Mais celle-ci, nous rappelle l’auteur, ne fut pas le fac-similé de sa lointaine aïeule athénienne, la faute notamment à la méconnaissance des penseurs politiques de la Grèce antique par les Locke, Rousseau et Tocqueville qui privilégièrent les historiens romains. Ouvrant sa focale, l’auteur sort également d’une vision trop européo-centrée pour nous montrer que l’idée de démocratie ne naquit pas en Grèce mais exista au même moment dans d’autres civilisations, notamment indiennes grâce à la convocation salutaire du prix Nobel d’économie, Amartya Sen.

Cet ouvrage qui allie rythme et érudition s’achève sur l’alerte d’un historien qui a, comme toujours, le regard posé sur le temps long pour nous prévenir des dangers contemporains qui guettent nos démocraties. Celles-ci ne sont certes pas parfaites et ne ressemblent plus à l’idéal athénien, mais elles demeurent selon le mot resté célèbre d’un autre phénix, politique celui-ci, « le pire des systèmes, à l’exclusion de tous les autres. »

Par Laurent Pfaadt

Paul Cartledge, Demokratia, une histoire de la démocratie
Chez Passés composés, 384 p.