Le président est-il devenu fou ?

Le livre de Patrick Weil, universitaire spécialiste de l’immigration et ancien membre du Haut Conseil à l’Intégration, est une aventure à plusieurs titres. D’abord une aventure éditoriale assez incroyable. Mais surtout une aventure psychologique dans le cerveau de ceux qui nous gouvernent et ont le pouvoir d’infléchir le sort du monde et son histoire.

L’aventure éditoriale d’abord. Celle du manuscrit d’un diplomate, William Bullitt, proche collaborateur du président américain Woodrow Wilson qui exerça une influence majeure sur le traité de Versailles en instaurant des idées telles que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ou la société des nations, ancêtre des Nations-Unies. Des idées qui structurent toujours en partie notre géopolitique. Pourtant, à la surprise générale, le président Wilson, de retour aux Etats-Unis, va saborder le projet qu’il a conçu. Pourquoi ? Sentant que quelque chose ne tourne pas rond, Bullitt contacte alors le psychiatre le plus important de son temps, Sigmund Freud, afin écrire avec lui le portrait psychologique du président américain. L’explosif manuscrit connaîtra de nombreuses vicissitudes durant l’entre-deux guerres et pendant le second conflit mondial lorsque Bullitt occupa les postes stratégiques d’ambassadeur en URSS puis à Paris. Mais c’était sans compter Patrick Weil, devenu visiting professor à Yale, qui tomba sur ce manuscrit censuré qui parut en 1967 en France.

Son livre, nourri de sources inédites, est effrayant car il évoque les questions de la santé psychologique de ceux qui nous gouvernent et de l’objectivité que doit manifester un homme capable d’infléchir le cours de l’histoire. Ici, celle conduisant à la seconde guerre mondiale liée en partie aux conséquences de la non-ratification du traité de Versailles par le Sénat américain en 1920, non-ratification voulue par Wilson.

Ce dernier, coupé de la réalité, s’est bel et bien isolé dans un complotisme et une schizophrénie induite d’après Freud, par une homosexualité refoulée. Plus effrayant encore, l’ouvrage montre que les fous ne se trouvent pas seulement du côté des régimes totalitaires mais également à la tête de nos démocraties. Livre fascinant car mettant en lumière la face cachée d’un vainqueur devenu un mythe, il pointe également la nécessité de la séparation des pouvoirs dans une démocratie afin d’éviter qu’un homme placé au sommet de l’Etat ne précipite, sous l’emprise de ses névroses, son pays et le monde dans l’abîme. A ce titre, le livre de Patrick Weil est moins un essai historique qu’un avertissement terriblement actuel.

Par Laurent Pfaadt

Patrick Weil, Le président est-il devenu fou ? Le diplomate, le psychanalyste et le chef de l’Etat
Chez Grasset, 480 p.