le Rêveur d’apocalypses

Il ne se doutait certainement pas, même dans ses rêves les plus fous qu’il deviendrait, à son tour, un personnage de bande-dessinée. Et pourtant, des rêves fous, il en a eu : attaque nucléaire, voyage dans le temps, troisième guerre mondiale, manipulation mondiale, etc…De véritables rêves d’apocalypses mis au service de lecteurs de plus en plus nombreux et qui continuent, aujourd’hui encore, plus de 70 ans après leur création en 1946, à suivre les aventures de Blake et Mortimer, ses héros intrépides qu’il offrit au patrimoine mondial de l’humanité.

Le temps de ce très beau livre, le professeur et le capitaine lui ont cédé leurs places sur les planches de Philippe Wurm, auteur à qui l’on doit notamment les séries Maigret et les Rochester et dont le trait rappelle celui de son illustre maître, et qui s’est adjoint pour l’occasion les services d’un François Rivière qu’on ne présente décidément plus.

Traçant une biographie appuyée sur des faits authentiques et sur quelques libertés, les deux auteurs déroulent sous nos yeux, la vie d’Edgar P. Jacobs, de sa jeunesse à la gloire, de sa vocation de baryton au théâtre de la Monnaie à son dernier refuge, le Bois des Pauvres en passant par les grands albums : le mystère de la grande pyramide, la marque jaune ou le piège diabolique. La bande-dessinée parcourt ainsi les rues de Bruxelles où l’on croise d’autres grands acteurs de la ligne claire, Hergé en tête bien évidemment avec qui Jacobs travailla mais également Jacques Martin ou Raymond Leblanc. Sans oublier, Jacques Melkebeke, l’ami, le frère avec qui, adolescent, il se laissa enfermer dans le musée du Cinquantenaire, matrice littéraire de ses aventures à venir. Le livre est toujours palpitant, souvent hilarant notamment dans la relation de Jacobs aux femmes comme dans cette scène avec des prostitués.

Ce roman graphique est à la fois une ode à cet âge d’or de la BD mais surtout une formidable plongée dans la création avec ces personnages qui inspirèrent Jacobs comme par exemple le professeur Jean Capart devenu l’égyptologue Grossgrabenstein et qui servit également de modèle à Hergé pour le professeur Bergamote dans les Sept boules de cristal, album sur lequel travailla Jacobs. En évoquant Jacobs, Rivière et Wurm nous ramènent à nos jeunes années et à nos rêves de civilisations perdues, de vaisseaux spatiaux et d’aventures à travers le temps mais surtout à notre propre liberté d’imaginer, à défaut d’apocalypses, un autre monde.

Par Laurent Pfaadt

François Rivière, Philippe Wurm, Edgar P. Jacobs, le Rêveur d’apocalypses
Glénat, 144 p.