Le vieux lion rugit encore

Winston Churchill © Getty images

Nouvelle biographie
de Winston
Churchill.
Définitive ?
Peut-être bien

On croyait tout
savoir sur le plus
célèbre des Premiers
ministres de sa
Gracieuse Majesté tant les publications abondent. Alors quoi de neuf ? Et bien,
beaucoup de choses, tant la lecture de ces quelques 1300 pages
nous ont ravi. Indiscutablement, la biographie d’Andrew Roberts
s’impose comme l’évènement historique de cette rentrée littéraire.

L’auteur, professeur au King’s College de Londres et à la Hoover
Institution de Stanford s’est appuyé sur un certain nombre
d’archives inédites notamment des correspondances privées, des
journaux comme celui d’Ivan Maiski, ambassadeur d’URSS à Londres
et surtout  le journal intime du roi George VI, jusque-là inaccessible.

La thèse de l’auteur, maintes fois répétée par son sujet, veut que
toute la vie de Winston Churchill avant 1940 n’ait été que la lente
préparation de son destin pendant la guerre. L’engagement dans la
guerre des Boers ou dans le Malakand, son élection à la Chambre
des communes dont l’auteur se plaît à retranscrire les joutes
oratoires du jeune député de 26 ans, sa position d’outsider, seul à
pourfendre Hitler qu’il qualifia dès 1934 de « gangster », ses erreurs
dans les Dardanelles en 1915 ou lors de l’abdication d’Edouard VIII
en 1936, tout devait conduire à mai 1940 lorsque George VI appela
Churchill au poste de Premier ministre à l’occasion d’un épisode
assez savoureux que relate Andrew Roberts.

Pas étonnant donc que la seconde guerre mondiale constitue le
cœur de l’ouvrage et sa partie la plus intéressante. Le lecteur suit
presque quotidiennement Churchill, du War Cabinet que l’on suit
heure par heure aux grandes réunions internationales en passant
par les Chequers, la résidence de campagne des Premier ministres
où Churchill reçoit et passe de rares moments en famille. On y voit
un Churchill tantôt vitupérant, tantôt fatigué et malade. Les grandes
étapes ainsi que les acteurs du conflit se succèdent : Roosevelt l’allié
inconditionnel, Staline et le triomphe d’une Realpolitik qui conduisit
Churchill à accepter le massacre de Katyn, et bien entendu de
Gaulle. A l’égard du chef de la France libre dont les relations «
douces-amères » avec Churchill font désormais parties de la
légende, Andrew Roberts cite ce témoignage de Valentine Lawford,
secrétaire particulier d’Anthony Eden, lors d’un déjeuner entre les
deux hommes alors que les Alliés s’apprêtent à débarquer en
Normandie et qui résume bien leurs relations : « A un moment donné,
Winston s’est penché légèrement en avant sur son siège, tournant son
visage en levant les yeux vers le général, et il lui a fait un sourire enfantin
ensorcelant. De Gaulle y a répondu par un rictus fatigué, comme si
quelqu’un venait de lui faire une proposition déplacée. »

On apprend une foule de choses sur l’homme et son caractère, de
son aspect physique qu’il utilisa à des fins de propagande
notamment le V de la victoire à sa volonté de participer, à bord d’un
navire de la Royal Navy, au débarquement en Normandie. Il fallut
d’ailleurs toute l’insistance d’un George VI agacé pour l’empêcher de
renouer avec ses jeunes années fougueuses. « Le point de vue en
apparence égoïste du P.M. sur cette affaire m’inquiète beaucoup. Il ne
semble pas se préoccuper de l’avenir, ni de tout ce qui repose sur lui »

écrivit ainsi le souverain britannique.

Celui qui prépara son destin, orientant la main de ce dernier en mai
1940 commença après la guerre son long crépuscule. Défait par les
travaillistes au lendemain de la victoire, il revint au pouvoir en 1951.
Mais le vieux lion avait fini de rugir. Lors de son dernier weekend aux
Chequers, en avril 1955, quelques jours avant sa démission,
Winston Churchill, contemplant Le Lion et la Souris de Rubens,
s’étonna, que la souris n’eut pas suffisamment d’importance. Il se mit
alors en tête, lui le peintre amateur, de défier le grand Rubens, en
retouchant la souris. Décidément, on ne se refait pas.

Par Laurent Pfaadt

Andrew Roberts, Churchill,
Chez Perrin biographie, 1320 p.