Archives de catégorie : Cinéma

Festival européen du film fantastique de Strasbourg

Le FEFFS est de retour pour sa 16ème édition du 22 septembre au 1er octobre. C’est peu dire que ce festival met l’ambiance ! Rare moment dans l’année où les spectateurs font la queue de plusieurs centaines de mètres, devant les salles de cinéma. Toutes participent à l’évènement, les cinémas Star, le Vox, l’UGC et le Cosmos, anciennement Odyssée. Drôle de public que l’on voit alors dans la ville, avec leur look de vampires sortis exprès pour la fête ! Sans doute regrettent-ils que la zombie walk n’ait plus lieu. Et pour leur plaisir, ils pourront approcher Terry Gilliam, l’invité de cette édition.  


Vincent doit mourir

Un coup de chapeau aux organisateurs du festival de faire venir des monstres du cinéma comme le regretté William Friedkin, père de l’Exorciste, en 2017, ou Christophe Gans en 2022, carte blanche est donnée cette fois-ci à Terry Gilliam ainsi qu’une rétrospective de ses films dont son fameux Brazil (1985). Il animera une Master class en préambule à la projection de L’Armée des 12 singes. Un prix d’honneur lui sera remis. Autre événement en marge des différentes compétitions, la toujours très courue et festive projection en plein air, place du château, avec à l’honneur cette année Indiana Jones et le temple maudit. Très prisée par les spectateurs noctambules, la Nuit excentrique commence à minuit avec la projection jusqu’au petit matin de trois films confiés par la cinémathèque française (en 35 mm – grâce à la bonne idée du Star d’avoir conservé le projecteur idoine !) avec un petit déjeuner servi avant le 3ème film. Spectacle assuré tant sur l’écran que dans la salle ! Comme c’est la cas aux Midnight Movies, le must du festival pour de nombreux spectateurs fans de films extrêmes et décalés.

#Manhole Main

Le FEFFS c’est la découverte de films rares – 45 longs métrages et 40 courts sur 175 séances. Les deux films d’ouverture et de clôture sont signés par les réalisateurs coréens, Kim Jee-woon pour Ça tourne à Séoul  et Um Tae-hwa avec Concrete Utopia. Le premier se passe dans les années 70 dans les coulisses d’un tournage de film et le second est un film d’anticipation climatique. Trois compétitions internationales (souvent avec la présence des équipes de films), seront l’occasion de découvrir des films en avant-première et des films qui ne connaîtront pas forcément de sortie en salle, faute de distributeur. Le film d’animation n’est pas en reste ni les courts-métrages. Honneur aussi à Edgar Allan Poe dans une rétrospective de films adaptés de son univers, en avant-première de l’événement « Strasbourg Capitale mondiale du livre – Unesco ». Quant à la section « Connexions » à l’UGC, elle est dédiée au numérique avec 8 œuvres internationales et françaises en réalité virtuelle et accès libre au public (interdit aux moins de 13 ans). Pour les lycéens, une Master Class sur l’importance des décors au cinéma se tiendra au Vox ainsi que pour les professionnels, des tables rondes et lectures de scénarii faisant de ce festival un évènement majeur pour la promotion et le développement des films de genre, le fantastique offrant une palette d’histoires et de traitements différents qui font rentrer ces films souvent classés série B au rang de films du patrimoine cinéphilique.

Programme complet disponible à l’accueil des salles de cinéma ou sur www.strasbourgfestival.com

Elsa Nagel

Banel et Adama

Un film de Ramata-Toulaye Sy

C’est la première fois qu’un premier long métrage est en compétition pour la prestigieuse palme cannoise. Tourné en langue peule dans le Fouta-Toro au Sénégal, avec des acteurs non professionnels, le film est remarquable par sa photographie, avec un sujet âpre – une histoire d’amour folle – et un personnage féminin qui ne l’est pas moins. Banel et Adama est un film qui ne laisse pas indifférent.


© TANDEM

Elle dit qu’il y a beaucoup d’elle dans son personnage féminin. Etonnante déclaration à voir et à rencontrer la gracile et douce Ramata-Toulaye Sy. Cependant, ses références littéraires sont un signe. Cent ans de solitude de Garcia Marquez et les romans de Toni Morrison, la Tragédie sont des phares pour celle qui obtenu son diplôme de scénariste à l’école de la Fémis, pépinière des talents qui font le cinéma français. Elle est passée à la réalisation. Après Astel, un court métrage déjà remarqué, la voici dans la cour des grands.

Banel répète comme un mantra « Banel et Adama » et remplit des pages et des pages de ces deux prénoms qui côte-à-côte ne font qu’un. Dans ce village du nord du Sénégal où les traditions sont tenaces, leur couple dérange. L’amour que porte Banel à Adma est si puissant qu’elle ne veut pas d’un enfant qui briserait leur relation fusionnelle comme elle ne veut pas qu’il devienne chef alors que son temps est venu. Elle veut Adama entièrement et exclusivement à elle et garder les troupeaux avec lui, ne pas aider sa belle-mère dans les tâches domestiques féminines, ne pas retrouver son homme que la nuit et comme tous les couples du village, ne rien avoir à se dire. Mais la réalité va rattraper son idéal d’amour et elle n’aura de cesse de tendre vers un absolu. Mon film est sur « comment on trouve son individualité au sein d’une communauté qu’on ne peut rejeter » dit Ramata-Toulaye Sy qui a choisi le réalisme magique pour raconter son histoire.

La nature prend ses droits sur le village et la sècheresse s’installe, décimant les troupeaux de vaches, tuant les plus fragiles, vieillards et enfants. Banel n’est que colère et violence, une Médée (selon la réalisatrice) maniant sa fronde contre oiseaux et lézards, si fâchée que son Adama soit occupé toute la journée à garder les vaches loin du village. Son personnage border line sort des sentiers battus et si c’est un film sur la femme africaine, il trouve alors une émancipation originale à mesure du cataclysme qui s’empare du village. Avec son titre répété à l’envie par son héroïne, Banel et Adam relève du conte qu’un griot pourrait raconter un jour, quand la pluie reviendrait et laverait le village de la malédiction, arroserait les tombes. Sage avant l’heure, un enfant avec un calame et un grand cahier dévisage Banel et cette femme, qui n’a peur de rien, s’en inquiète. Lit-il dans ses pensées ? A moins que son destin s’écrive sous sa plume.

Banel et Adama est un conte tragique. Les maisons sont des tombeaux et les oiseaux fondent sur le village en un nuage de mauvais augure tandis que le vent souffle et assèche tout. Le paysage reflète l’état émotionnel de Banel et le film impressionne par ses images que l’on doit à Amine Berrada qui avait signé également l’image des Meutes de Kamal Lazraq. Si Banel et Adama nous a tant plu, c’est pour sa photographie, son esthétique, sa couleur saturée mais convainc moins par son personnage de Banel, si peu attachant, et dont on ne croit pas à l’amour qu’elle porte à Adama. Un comble !

Elsa Nagel

Hypnotic

Un film de Robert Rodriguez

Avec plus d’une vingtaine de longs-métrages à son actif,
Robert Rodriguez a démontré qu’il était un cinéaste éclectique. Le réalisateur américain d’origine mexicaine a en effet prouvé qu’aucun genre ne l’effrayait
.

Capable d’aborder le film de gangsters (El Mariachi et ses suites, les Desperados), celui de vampires (Une nuit en enfer), pour ensuite passer par le film d’invasion extra-terrestre (The Faculty), la comédie d’action pour adolescents (Spy Kids et ses nombreuses suites), le film d’anticipation (Alita : Battle Angel) et le film d’horreur(Planète Terreur), Robert Rodriguez a démontré sa curiosité à la moindre occasion. Son amour pour le cinéma s’étend à tous les genres, et le pousse même à cumuler de nombreuses casquettes sur chacun de ses films.

En effet, le réalisateur ne se contente pas de la mise en scène de ses films, il en est très souvent le scénariste, le producteur, le monteur, le compositeur, tout en se permettant ici ou là des petits caméos bien sympathiques. Véritable homme-orchestre, son amour du Septième Art lui fait embrasser ses créations comme peu de cinéastes aujourd’hui. Avec Hypnotic, il choisit d’aborder un genre hybride, entre le thriller psychologique et le film d’anticipation, renvoyant à des classiques du cinéma. A la vue de certaines scènes et concepts, comment en effet ne pas penser aux Matrix des Wachowski, ainsi qu’à Christopher Nolan et son célèbre casse-tête Inception…

Le début du film nous montre un flic, Danny Rourke (interprété par Ben Affleck), en pleine conversation avec sa psychiatre. Le personnage est fatigué, amaigri, il suit une thérapie suite à la disparition de sa fille quelques années auparavant. Alors que le père et sa fille partageaient un moment ensemble dans un parc de la ville, celle-ci avait brusquement disparu. Rourke avait juste détourné le regard une fraction de seconde, elle n’était plus là… La séance de thérapie touche à sa fin, Rourke est déclaré apte au service alors qu’on l’appelle justement sur une affaire urgente.

Sur le lieu du braquage en cours, il constate rapidement que certains intervenants se comportent de manière étrange. Comme agissant dans un état second. Commence alors une course contre la montre dans laquelle il va découvrir une sombre machination et des personnes aux capacités étranges. Il devra faire face à une organisation opaque, dont le but ne sera jamais très clair (bras armé secret des USA, obscure organisation criminelle, secte …?). Dans le rôle de ce père qui n’a toujours pas fait le deuil de sa fille disparue, Ben Affleck s’en sort plutôt bien, de même qu’Alice Braga (La Cité de Dieu, Le Rite, Elysium et plus récemment le Suicide Squad version 2021 de James Gunn) dans celui de sa compagne de fuite, Diana Cruz. Le grand méchant nous offre le plaisir de croiser William Fichtner, second rôle de plus d’une soixantaine de films (Heat, Armageddon, La Chute du Faucon Noir, Strange Days, En pleine tempête, Pearl Harbour, Hell Driver), surtout connu pour sa participation aux séries Prison Break et Crossing Lines. Sa présence suffit à personnifier une menace plausible, même si on aurait aimé voir le personnage de Lev Dellrayne un peu plus développé à l’écran.
Hypnotic s’avère être un drôle d’objet, une pellicule qui pourra paraître brouillonne à certains, tandis que d’autres y verront une fois encore la sincérité de son metteur en scène. Pour certains, Robert Rodriguez a réalisé un sous-Christopher Nolan. Nous préférons y voir un film à prendre au premier degré, plein de bonnes intentions, parsemé de rebondissements et qui nous donne la brève occasion de revoir cette bonne vieille trogne de Jeff Fahey.

La scène qui suit le début du générique laisse entendre qu’une suite serait possible, mais au vu des chiffres d’exploitation au box-office (très mauvais, en grande partie du fait d’une campagne publicitaire inexistante aux USA) cela est malheureusement peu probable….

Jérôme Magne

Mission impossible : Dead Reckoning, partie 1

Un film de Christopher McQuarrie

En 1996, Brian de Palma mettait en scène un premier Mission impossible sur grand écran. Dans cet excellent film, aujourd’hui qualifié « d’old school », Tom Cruise endossait pour le première fois le costume d’Ethan Hunt, cet ex-soldat d’élite aux capacités d’adaptation extraordinaires et entraîné aux techniques d’espionnage.

Près de trente années ont passé, Emmanuelle Béart, Jon Voight et Jean Reno ne sont plus là, seuls Tom Cruise, Ving Rhames et Henry Czerny sont rescapés du premier film. L’époque, les moyens financiers et la technique ont beau avoir évolués, l’histoire conserve ce qui a fait la réussite de la saga. Une sombre machination, une menace planétaire, des trahisons et des déguisements à foison, le tout agrémenté de cascades ébouriffantes (mention spéciale à la course poursuite dans les rues de Rome, et à l’arrêt brutal de l’Orient Express, au bord d’un précipice). Ce qui se fait de mieux en terme d’image et d’effets spéciaux, une technique à l’état de l’art. Cela pourrait sembler répétitif à certains, et pourtant, il n’en est rien.
La menace qui plane sur l’Humanité est mise au goût du jour. Ère numérique oblige, il s’agit d’une intelligence artificielle ayant échappé à son créateur, évolutive, qui apprend de ses erreurs et s’améliore sans cesse. Et bien évidemment animée des pires intentions. Comme quoi, depuis le classique d’anticipation Terminator de James Cameron il y a 40 ans et son sinistre Skynet, il n’y a pas grand’chose de nouveau. Si ce n’est qu’aujourd’hui l’Humanité n’est pas décimée par les robots, mais en passe d’être manipulée par la désinformation par une Entité tentaculaire. De manière toujours aussi évidente, tous les gouvernements sont prêts à tout pour mettre la main dessus.


Solution de la dernière chance, l’équipe Force Mission impossible va accepter ce nouveau défi. Les premières images se prêtent au jeu de la paranoïa : dans le milieu confiné et étouffant d’un sous-marin, l’équipage russe teste un programme permettant de rester invisible aux yeux de tous. La manœuvre militaire prendra une tournure inattendue. On retrouve ensuite Ethan Hunt, caché et seul comme toujours. Contacté par son « employeur », il va accepter une nouvelle mission au nom de son équipe. Luther (Ving Rhames) et Benji (Simon Pegg) sont là, ils vont devoir retrouver Ilsa Faust (Rebecca Ferguson), une vieille amie. Transfuge du MI6, celle-ci possède la moitié d’une mystérieuse clef qui, associée à son autre moitié, permet d’ouvrir l’accès à cette mystérieuse Entité, capable d’altérer toute vérité pour faire disparaître le monde tel que nous le connaissons. Ethan croisera la route de Grace, une jeune femme aux multiples talents. Associée à Ethan Hunt bien malgré elle, elle lui donnera du fil à retordre.
Le metteur en scène n’en est pas à son coup d’essai. Il met en images son troisième Mission impossible (et signe son quatrième scénario), et collabore pour la neuvième fois dans un long-métrage mettant Tom Cruise en haut de l’affiche. Christopher McQuarrie évolue donc en terrain connu, et le degré d’exigence et de professionnalisme de la star ne l’étonnera pas. Mais le film ne se résume pas uniquement au personnage d’Ethan Hunt. La notion d’équipe conserve toute son importance. La Force Mission impossible est envisagée comme une famille, chaque membre la composant bénéficiant du soutien indéfectible des autres membres.
Pour personnifier les enjeux, l’Entité est affublée d’un avatar en la personne de Gabriel. Cette vieille connaissance d’Ethan le connaît trop bien, et sait à quel point il est prêt à mettre la sécurité de ses proches avant la sienne. Et n’hésiterait pas une seconde à se sacrifier pour eux. On pourra regretter que ce « méchant » soit un peu trop doux, trop mielleux à notre goût. La faute à des choix d’interprétation faits par Esai Morales, pourtant habitué aux rôles ambiguës. La froideur qu’il affiche est malheureusement atténuée par un petit côté espiègle qui ternit son aura de super méchant.

Cette première partie est très divertissante, on ne voit pas le temps passer, malgré les quelques deux heures quarante que dure le film. Tom Cruise porte bien évidemment le film sur ses épaules, mais laisse à chacun l’opportunité de marquer la pellicule à son image. Connue pour son rôle de Peggy Carter dans l’univers Marvel, la comédienne Hayley Atwell incarne le petit grain de sable qui grippera la machine Force Mission impossible dans un premier temps, avant d’en devenir un allié. Un électron libre, habitué à ne suivre que son propre instinct, et à faire cavalier seul, coûte que coûte. Face à elle, les fans des films Gardiens de la Galaxie auront bien du mal à reconnaître la comédienne française Pom Klementieff, dont les traits étaient maquillés pour donner vie à Mantis. Elle interprète ici Paris, une assassine française à la solde de Gabriel, déterminée mais rattrapée par sa conscience dans la dernière partie du film.
Lorsque le rideau se lève, il le fait au bon moment. Les événements se sont enchaînés naturellement, sans temps mort, et le spectateur n’a pas eu l’impression que l’histoire s’étirait en longueur. Une juste mesure, pour un long-métrage qui remplit son objectif à 100 %. La suite l’année prochaine…

Jérôme Magne

L’Olympe sur le Rocher

Le Grand Prix de Monaco fête sa 80e édition

Le Grand Prix de Formule 1 de Monaco a toujours été un grand prix à part. Le plus beau. Le plus prestigieux. Il constitue un rêve, un tournant dans la carrière de chaque pilote. Tous les pilotes et directeurs de course vous le diront. Il est « le plus glamour de l’année, l’un des plus techniques aussi » estiment ainsi Daniel Ortelli et Antoine Grenappin dans leur très beau livre. Toutes les légendes de la Formule 1 se sont illustrées ici : de José Manuel Fangio à Sergio Pérez, dernier vainqueur et premier mexicain en passant par Niki Lauda, Jackie Stewart, Ayrton Senna qui détient le record de victoires (6) notamment celle du « tour parfait » en 1988 selon ces mêmes auteurs et Michael Schumacher. Le GP de Monaco a ainsi vu triompher des pilotes d’exception.


Le Grand Prix de Monaco de 1982 connut quatre changements de leader dans les quatre derniers tours avant la victoire de Patrese qui était pourtant parti à la faute à deux tours de la fin

Pendant longtemps, il est demeuré le seul circuit urbain avant d’être rejoint par Djeddah, Bakou et Singapour. Extrêmement exigeant, il requiert une attention de tous les instants pour dompter un tracé « hors-norme et jusqu’à ces dernières années il ne ressemblait à rien d’existant. Rouler dans les rues étroites de la Principauté au volant d’une F1 est un exercice de fou, quasi impossible à faire » estime ainsi le journaliste de l’Equipe spécialiste de Formule 1, Frédéric Ferret. La moindre erreur de pilotage peut être dramatique et il est extrêmement difficile de dépasser. Si bien que les positions sur la grille de départ déterminent souvent le classement à l’arrivée.

Si Ferrari, vainqueur à dix reprises mais une seule fois ces vingt dernières années avec le quadruple champion du monde, Sébastien Vettel, rêve de glaner cette année un nouveau trophée, le Grand Prix de Monaco ressembla surtout à une promenade des Anglais ou plutôt de britanniques avec, sur la piste, des légendes comme Graham Hill, Stirling Moss qui offrit la première victoire en Formule 1 à une Lotus en 1960, Lewis Hamilton et dans le paddock avec McLaren et ses quinze victoires.

Côté français, Maurice Trintignant dit « Petoulet » fut le premier Français de l’histoire de la Formule 1 à gagner ici un Grand Prix comptant pour le championnat du monde au volant d’une Ferrari 625, exploit qu’il renouvela en 1958. D’autres français ont suivi : Jean-Pierre Beltoise, Patrick Depailler et Olivier Panis sans oublier bien évidemment Alain Prost qui triompha sur le Rocher à quatre reprises. Mais la légende du Grand Prix de Monaco s’écrivit aussi dans le sang, celui d’accidents restés célèbres, de Lorenzo Bondini en 1967, mort dans l’explosion de sa Ferrari, à Karl Wendlinger en 1994.

A Monaco où le spectacle est à la fois sur la piste et dans les tribunes, le Grand Prix a très vite inspiré nombre d’auteurs et de créateurs. En 1966, John Frankenheimer mit en scène dans Grand Prix Yves Montand, James Garner et Eva Marie Saint sur le mythique circuit avec des cameo de Fangio, Hill, McLaren ou Brabham. En 1971, Roman Polanski signa un documentaire sur Jackie Stewart, vainqueur à trois reprises. Son Weekend of a champion en 1972 dépeint parfaitement l’excitation et le danger qui règnent sur le circuit. Tony Stark, le personnage de Marvel, créateur d’Iron Man participa même sous les traits de l’acteur Robert Downey Jr à la course dans le film Iron Man 2 (2010).

Si le 7e art célébra le Grand Prix, le 9e ne fut pas en reste notamment avec Jean Graton, le génial créateur de Michel Vaillant. Le Grand Prix de Monaco est ainsi présent dans de nombreux albums, du célèbre Pilote sans visage (1960) à L’Epreuve (2003) en passant par L’honneur du samouraï (1966) ou Champion du monde (1974). Il lui consacra même un album spécifique devenu culte, Panique à Monaco, paru en 1957. Avec son inoubliable couverture figurant la sortie de piste de la Vaillante d’Hervé Regout, le coéquipier de Michel Vaillant, l’album raconte l’histoire d’un mystérieux maître chanteur menaçant de faire exploser une bombe s’il n’obtient pas les trois millions de francs exigés. D’ailleurs Denis Lapière, le scénariste de la nouvelle série en convient : « Le circuit de Monaco est le préféré de Michel Vaillant. Il est tellement dessingénique ! Tellement particulier. On fait deux cases et les fans savent immédiatement de quel circuit on parle. C’est le plus graphique de tous, ça monte, ça descend, ça tourne ».

Rendez-vous de la jet-set et de personnalités en tout genre, le Grand Prix est aussi cet instant, ce lieu où le monde et ceux qui l’influencent se donnent rendez-vous et se croisent dans le paddock ou sur les terrasses des restaurants étoilés pour assister au spectacle, un verre de champagne à la main, de vingt hommes frôlant la mort comme dans l’amphithéâtre de la Rome antique. Alors lorsque les feux rouges s’étendront comme un pouce impérial tourné vers le bas, ils seront vingt à rêver d’inscrire leur nom dans la légende d’une course à nulle autre pareille qui, depuis quatre-vingts éditions, continue toujours autant de faire rêver le monde entier. 

Par Laurent Pfaadt

A lire :

Daniel Ortelli et Antoine Grenappin, Histoire de la Formule 1, de Jim Clark à Fernando Alonso, préface de Bernie Ecclestone, nouvelle édition, Casa éditions, 232 p.

Jean Graton, Panique à Monaco, Jean Graton éditeur, Dupuis, 48 p.

A voir :

John Frankenheimer, Grand Prix (1966)

Drive to survive, la série Netflix, en particulier les épisodes qui reviennent sur la victoire de Daniel Ricciardo et l’abandon de Charles Leclerc

Les Gardiens de la Galaxie 3

Un film de James Gunn

Adaptée au cinéma en 2014, la franchise Les Gardiens de la Galaxie a aussitôt rencontré le succès, ce qui a rapidement permis la mise en route de sa suite, sortie en 2017. Les studios Marvel se sont ensuite consacrés à exploiter d’autres personnages (Thor, Docteur Strange, Black Panther), pour finalement revenir sur la fine équipe des Gardiens.

On ne va pas tourner autour du pot, ce troisième opus est aussi réussi que les deux précédents. Tout ce qui a fait le succès de la saga est là, sans que cela paraisse répétitif, et le metteur en scène développe de nouveaux éléments, ainsi que certains déjà présents auparavant. Le film dure, là encore, 15 minutes de plus que le précédent. De là à dire que Marvel donne dans la surenchère il n’y a qu’un pas, que nous ne franchiront pas.

Les premières images sont sombres et, une fois n’est pas coutume, ne donnent pas dans la gaudriole. Un bref aperçu des origines de Rocket, l’irascible et génial petit raton-laveur qui refuse d’être décrit ainsi. Plus tard on en apprendra un peu plus sur ses origines et sur les terribles expériences dont il a été le cobaye. Aussitôt après, on retrouve la bande composée de Star-Lord/Peter Quill, Drax le Destructeur, Nébula, Mantis, Groot et bien sûr Rocket, dont on a vite compris qu’il sera le ressort dramatique du long-métrage.
Sur la planète Knowhere les Gardiens s’occupent comme ils peuvent. En fait chaque membre est surtout chargé au quotidien de veiller à tour de rôle sur Peter, celui-ci passant son temps noyé dans l’alcool, pleurant encore la disparition de sa bien-aimée Gamora. Cette routine déprimante aurait pu se prolonger encore longtemps, mais voilà, un ersatz de méchant “Superman”, Adam Warlock (étonnant Will Poulter, qui interprétait le cousin Eustache dans Le Monde de Narnia et Gally dans Le Labyrinthe), Souverain fils de la grande prêtresse Ayesha, décide de débarquer sur Knowhere en détruisant tout sur son passage, dans l’idée d’enlever Rocket. Dans la bataille qui s’ensuit celui-ci est blessé puis plongé dans le coma. Pour le sortir de là, Peter Quill va devoir dessaouler, et les Gardiens se lancer à la poursuite du Maître de l’évolution, l’apprenti sorcier qui s’est livré à toutes ces expériences sur Rocket et détient le secret permettant de le sauver.

Ce troisième épisode des Gardiens de la Galaxie emprunte une trame assez classique dans le genre, celle d’un être qui se prend pour Dieu et s’est peu à peu éloigné de son idée originelle (créer un monde parfait, peuplé de créatures aussi parfaites), face à un groupe de héros. On croise avec plaisir des personnages secondaires désormais familiers (Sylvester Stallone reprend l’uniforme de chef des ravageurs Stakar Ogord, Nathan Fillion de la série Castle celui de Maître Karja). Comme à son habitude, James Gunn a bâti son film sur trois grands piliers, l’équipe, l’action, et la musique. Les deux premiers sont communs à toutes les productions Marvel, le dernier est ici un personnage à part entière, une partie de l’âme du film.
Le cinéaste a en effet encore une fois composé une bande-son délirante, qui donne à son histoire des faux airs de dessin-animé sous acide. Certaines scènes en deviennent indescriptibles, les couleurs vives le disputant à des mélodies d’une autre époque. Les querelles au sein du groupe sont toujours présentes (elles sont indissociables de la troupe des Gardiens), mais c’est véritablement la musique qui fait des films « Gardiens de la Galaxie » un genre à part au cœur de l’univers Marvel. Star-Lord ne saurait vivre sans musique, il est resté fidèle à ses origines, baratineur, charmeur et pacifiste avant tout. Mais comme tout héros qui se respecte, il ne faut pas s’attaquer à un membre de « son » équipe.

Quand le rideau se lève, le spectateur pourra s’étonner. Peter Quill en a-t-il fini avec les Gardiens ? C’est ce que semblent nous montrer les dernières scènes (deux scènes post-génériques viennent compléter celles présentes dans le générique), et le départ de James Gunn pour le concurrent DC Films tend à le confirmer. À moins que les studios Marvel ne lui trouvent un successeur ?

Jérôme Magne

Back to Baku

A la veille d’un nouveau Grand Prix d’Azerbaïdjan, le roi est-il de retour ? Après sa deuxième place à Melbourne, Lewis Hamilton semble n’avoir pas dit son dernier mot. Le champion le plus titré de l’histoire de la F1 – à égalité avec Michael Schumacher – en a vu d’autres. C’est ce que montre le livre de Frédéric Ferret, journaliste à l’Equipe. Sur le circuit urbain de Bakou qu’il avait dompté le 29 avril 2018 face à Raïkkönen et Perez dans une course absolument folle où les Red Bull s’étaient sabordées, Lewis Hamilton mit ce jour-là un coup d’arrêt aux Ferrari et entama sa marche triomphale vers un cinquième sacre. Pourtant, trois ans plus tard, en 2021, sur ce même circuit qui de son propre aveu s’avéra « traumatisant », Hamilton allait perdre en partie son titre de champion du monde…


Les années se suivent et ne se ressemblent pas. Pourtant, le Britannique était habitué à une certaine routine, celle d’enchaîner les titres avec son équipe Mercedes comme on enfile des perles. Il est pourtant bien loin le temps où ce jeune garçon de treize ans admirait Mika Hakkinen au volant de sa McLaren Mercedes lors de la victoire du pilote finlandais au Grand Prix du Brésil en 1998. Cette même McLaren Mercedes qui allait faire en 2008 de ce surdoué, un des plus jeunes champions du monde.

Vingt ans exactement sépare Interlagos de sa victoire à Bakou. Vingt ans d’une aventure qui débuta en F1 en mars 2007. Il est alors 4e sur la grille de départ du Grand Prix d’Australie. Cinq grands prix plus tard, il remporte sa première victoire au Canada, l’une de ses plus belles selon l’auteur, avant de lutter jusqu’au bout face à un Kimi Raïkkönen sur Ferrari qui ne le devança que d’un petit point.

(L to R): Valtteri Bottas (FIN) Mercedes AMG F1 on the podium with team mate and race winner Lewis Hamilton (GBR) Mercedes AMG F1. 13.09.2020. Formula 1 World Championship, Rd 9, Tuscan Grand Prix, Mugello, Italy, Race Day. – www.xpbimages.com, EMail: requests@xpbimages.com © Copyright: Charniaux / XPB Images

Hamilton sut tirer les leçons de cet échec qu’il n’a jamais accepté. Un petit point pour battre le record de Schumacher, cet autre monstre sacré à qui il doit être comparé. « Ils ont en commun une motivation et une détermination extrêmes qui leur ont permis de connaître le succès qu’ils ont » assure Ross Brown ingénieur légendaire interviewé par l’auteur et qui fréquenta les deux hommes. Un point, c’est peut-être ce que l’histoire de la F1 retiendra. Car Lewis Hamilton dut en permanence lutter contre les meilleurs pilotes de son époque, parfois même au sein de sa propre écurie contre Fernando Alonso, puis contre Nico Rosberg dont l’accrochage en 2018 au premier tour du Grand Prix d’Espagne allait offrir à un rookie de 18 ans, Max Verstappen, sa première victoire. Mais comme tous les grands fauves du sport, à l’image d’un Mohamed Ali qu’il vénère, Hamilton fonctionne, comme son idole Ayrton Senna, à l’instinct. « Hamilton est un créateur hors pair, refusant toute préparation préalable, jouant sur l’improvisation permanente » écrit ainsi Frédéric Ferret. 

La carrière de Lewis Hamilton est une histoire de patience et de travail aboutissant à tous les records : plus de cent pole positions, 188 podiums à ce jour, 103 victoires sur 31 circuits différents. Le journaliste qui suit le champion depuis près d’une vingtaine d’années n’omet rien dans son livre : les grandes victoires et les titres comme les erreurs et les « coups » de celui qui a « écrasé tous les records et reconstruit la discipline ». Comme à Bakou en 2017 lorsqu’il provoqua le quadruple champion du monde, Sébastian Vettel qui finit par lui donner un coup de roue et écopa d’une pénalité. Bakou encore.

Dans le même temps, le champion aux sept couronnes est devenu un objet de pop culture. Ses tenues vestimentaires, ses prises de position contre le racisme et en faveur du mouvement #Blacklivesmatter après la mort de George Floyd en ont fait une icône qui a dépassé le cadre de la formule 1. En septembre 2020, à l’image d’un Tommie Smith au JO de 1968, il monte en vainqueur du Grand Prix de Toscane avec un T-Shirt « Arrest the cops who killed Breonna Taylor » en référence à cette jeune femme tuée par la police de Louisville dans le Kentucky en mars 2020. Il a même prêté sa voix à une voiture dans le dessin animé Cars 2 (2011).

Arrive aujourd’hui la nouvelle génération emmenée par Max Verstappen et, à l’image d’un Mohamed Ali sur le retour, Lewis Hamilton connaît ses premières défaites notamment ce KO d’Abu Dhabi en 2021 qui suscite encore de vives discussions et ouvrit l’ère du Hollandais. Celle du Britannique est-elle pour autant refermée ? Car l’histoire du sport fonctionne par cycles. « On sait désormais que, dans n’importe quelle condition, l’Anglais sait gagner. Avec la manière. Il sait également perdre. Ce n’est pas une légende…c’est de l’histoire » écrit le journaliste de l’Equipe. Pour autant, les exemples de Lauda ou de Prost ont montré qu’il ne faut jamais enterrer les grands champions. Alors Bakou fera-t-il mentir à nouveau cette même histoire ?

Par Laurent Pfaadt

A lire :
Frederic Ferret, Les années Hamilton, Solar éditions/L’Equipe, 160 p.

La carrière de Lewis Hamilton étant indissociable de Mercedes et de son écurie de course Mercedes-AMG Petronas Formula One Team, la rédaction vous conseille également l’ouvrage AMG Mercedes, élégance et puissance (Glénat, 2022)

A voir :
Cars 2 (2011)

Scream VI

Un film de Matt Bettinelli-Olpin et Tyler Gillett

Un an à peine après son retour, Ghostface revient semer la mort, mais quitte le cocon douillet de la petite ville californienne (et fictionnelle) de Woodsboro, pour l’animation perpétuelle de la Big Apple.

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Commencée il y a 26 années sous la caméra du regretté Wes Craven, la célèbre franchise revient dans les salles obscures pour la sixième fois, pour le plus grand bonheur des amateurs de whodunit et de meurtres à l’arme blanche. Pour varier les « plaisirs », les scénaristes ont décidé de planter l’histoire dans l’univers foisonnant de la ville qui ne dort jamais. À chaque coin de rue New York offre au récit un cadre idéal, propice à la suspicion et l’angoisse. Véritable fourmilière géante, la ville est ici un personnage à part entière, qui ne laisse aucun répit à ses supposés héros.

L’ouverture du film est tellement classique : la sonnerie d’un téléphone ! Au-delà de la figure imposée, cette première scène démontre la sincérité des réalisateurs. Matt Bettinelli-Olpin et Tyler Gillett sont parfaitement conscients du poids de l’histoire : il y a les éléments incontournables, et ceux dont on peut s’affranchir. Dans la catégorie des premiers, le téléphone (et sa sonnerie, si possible bien stridente) en est un, les gentils héros/survivants des épisodes passés en sont un autre, de même que les nouveaux venus, forcément suspects, même s’ils ont l’air totalement sincères et inoffensifs. Les ingrédients principaux ne changent pas, mais la recette subit à chaque nouvel opus de subtiles variations. Certaines sont heureuses, d’autres non.

Les commentaires méta sur le genre sont bien là, ils ouvrent même le bal, avec le personnage de la prof de fac qui attend patiemment son rendez-vous au bar d’un restaurant banché de la ville. Celle-ci est (évidemment) enseignante de cinéma, avec une spécialisation sur le sous-genre du slasher. Pour sa seconde collaboration avec le duo de metteurs en scène (elle incarnait le personnage principal de leur sympathique comédie d’horreur Wedding Nightmare il y a 3 ans), Samara Weaving apparaît le temps de quelques scènes introductives bien développées, avant de devoir tirer brutalement sa révérence.
Le premier meurtre surprendra par son issue. Et la suite plus encore ! Le concept de tueurs multiples, copycat ou non, a déjà été utilisé au cinéma. Il est ici employé avec une grande ironie, qui sera constante tout au long de l’histoire (jusqu’à la scène post-générique). Matt Bettinelli-Olpin et Tyler Gillett ne se contentent pas de faire un film dans le film, ils dépassent à certaines occasions le cadre rigide du sous-genre, sans lui manquer de respect. Certains fans n’ont évidemment pas été d’accord avec l’usage qu’ils font des armes à feu (Ghostface ne peut que se servir d’une arme blanche, selon eux, alors imaginez-le armé d’un fusil à pompe !!!), et certains personnages importants ont parfois l’irritante capacité de ressusciter, et pourtant, ce sixième épisode de la saga est une réussite.

Soumis à un cahier des charges assez strict, Scream VI s’en sort avec les honneurs. Les rebondissements sont nombreux, les mise à morts aussi, et le concept du slasher prend parfois de la hauteur -évidemment pour souffler le chaud et le froid- pour le plus grand bonheur de son public.

Certaines scènes se distinguent, comme celles, anxiogènes, se déroulant dans le métro bondé de New York, ou dans un ancien cinéma de quartier abandonnée, véritable sanctuaire à la mémoire des sanglants événements des films précédents. Le concept de famille est développé de manière intéressante, puisqu’au-delà du duo composé des sœurs Carpenter, Samantha (Melissa Barrera) et Tara (la comédienne Jenna Ortega, la « Mercredi » de la série Netflix du même nom), Mindy (Jasmin Savoy Brown) et Chad (Mason Gooding, fils du comédien Cuba Gooding Jr) sont à nouveau de la partie, formant avec les deux héroïnes une bien étrange famille de survivants, depuis les tragiques événements du précédent film. La psychologie complexe de Samantha est à nouveau scrutée à la loupe, ses liens avec le tueur originel refaisant surface dès les premières scènes.

Petit plus du film, déjà utilisé l’année dernière, Scream VI fait en effet revenir le personnage de Billy Loomis en deux occasions, offrant aux nostalgiques de la première heure de quoi raviver d’agréables souvenirs. C’est donc naturellement lorsque Samantha est mise à rude épreuve que le visage familier de Skeet Ulrich réapparaît, lui permettant de trouver les ressources de se défendre et faire face à son agresseur. Issu du passé, Billy Loomis lui explique que sans lui la jeune femme ne serait peut-être pas celle qu’elle est aujourd’hui. Elle ne peut renier ses origines, pas plus qu’elle n’est responsable des tueries de l’époque. Le personnage de Samatha donne une orientation un peu différente au concept d’héroïne développé dans les quatre premiers films. Elle n’est en effet ici pas uniquement la jeune femme en détresse de l’histoire, elle est aussi la fille d’un homme très perturbé, dont les pulsions meurtrières ont marqué la petite bourgade de Woodsboro il y a un quart de siècle. Une dernière petite précision, ne quittez pas trop vite la salle au moment du générique, un petit clin d’œil vous attend juste après, illustrant parfaitement l’ironie du concept et le recul qu’a le film sur lui-même…

Jérôme Magne

Le Bleu du Caftan

Un film de Maryam Touzani

Adam, le précédent film de Maryam Touzani, a remporté une trentaine de prix à travers le monde mais sorti au début du Covid, il n’a pas rencontré le public qu’il méritait. Déjà Lubna Azabal s’y imposait et dans Le Bleu du Caftan, elle irradie par sa présence aux côtés de Saleh Bakri, acteur palestinien au regard plein d’humanité et Ayoub Missioui, un jeune marocain qui devrait connaître un bel avenir. Co-écrit et produit par Nabil Ayouch, Le Bleu du Caftan qui a raflé entre autres le prix du jury au festival du film de Marrakech et le prix FIPRESCI à Cannes, est un film sensible sur la question de l’homosexualité vécue comme un tabou et brise les clichés sur la femme dite opprimée en terre musulmane.


Dans la vieille médina de Salé, ville marocaine sur l’Atlantique, un tailleur perpétue la tradition de la confection du caftan, longue robe brodée de fil d’or portée à l’occasion des fêtes. Halim est un maalem, un maître artisan. Film très sensuel, le tissu entre ses mains prend corps, épouse le corps. Il est dit que l’âme du maalem est dans le caftan qu’il a confectionné, ne comptant pas ses heures. Le film est un hommage à cet artisanat qui se perd et prend son temps pour montrer les gestes, l’aiguille qui travaille le fil d’or qui prend forme en des circonvolutions, boucles et boutons.  

Mais les temps sont durs ! Difficile de concurrencer la couture industrielle avec machines quand un caftan nécessite des semaines de travail. La femme de Halim, Mina, tient la boutique et s’occupe de la vente. Youssef, un jeune apprenti, se présente à leur service. Chacun cache un lourd secret dont l’amour aura raison dans cette société de non-dits où les personnages évoluent.

L’idée de son film date des repérages pour Adam. La rencontre d’un homme, un coiffeur, a été déterminante, ravivant chez la réalisatrice des souvenirs de couples croisés quand elle était petite puis adolescente, comprenant après-coup leur relation tissée de non-dits pour sauver les apparences. Comment ces couples vivaient-ils leur secret ? Comme l’amour inconditionnel scellait-il leur relation de manière indéfectible ? Halim parle peu et cache son homosexualité. Les cabines individuelles du hammam offre un abri à ses désirs. En un seul plan, Maryam Touzani revisite l’image des backrooms. Rien n’est montré, tout est dit. Mina devine l’attirance de Halim pour Youssef. Elle sait depuis toujours l’amour de son homme pour les garçons. Mais Le Bleu du Caftan est plus riche, plus subtil que ce pitch réducteur. L’Amour circule entre les trois personnages au-delà des rapports préétablis et établis. Un moment où ils dansent tous les trois sublime leur relation à la fois amoureuse, fraternelle voire filiale. Mina est la femme de Halim mais elle est aussi la mère qui remplace celle qu’il a perdue quand elle l’a mis au monde, la sœur, l’amie complice. C’est Mina qui l’a demandé en mariage, c’est elle qui initie leurs étreintes. Elle est entrepreneuse, rebelle dans une société où il est mal vu qu’une femme s’attable à un café, révoltée contre l’ordre établi qui est une entrave à la liberté d’aimer en public. En creux se dessine le portrait de cette femme si pleine d’amour pour Halim et qui ne veut que son bonheur et lui dira « Donne-toi le droit d’aimer », comme un Sésame pour l’avenir. Maryam Touzani espère changer les regards sur l’homosexualité qui n’est pas un tabou qu’au Maroc. Elle croit au pouvoir du cinéma, à celui des histoires racontées avec vérité et conviction. On veut le croire avec elle.

Elsa Nagel

30ème Festival International du Film Fantastique de Gérardmer

Et voilà ! On y est arrivé ! En cette fin janvier 2023, Gérardmer a encore vibré à l’occasion de la célèbre manifestation qui met le film de genre à l’honneur. Cette fois-ci avec un petit plus, le festival fêtant pour l’occasion un cap, le 30ème anniversaire de l’événement.


Avant d’évoquer les films en compétitions (et les autres) qui, comme chaque année, ont soulevé de vives discussions, évoquons rapidement les membres du jury longs métrages , accompagnés d’invités prestigieux. Michel Hazanavicius (célèbre depuis les deux OSS 117, The Artist, et plus récemment le féroce Coupez !) formait avec son épouse et comédienne Bérénice Béjo une présidence bicéphale, au cœur d’une équipe composée des comédiens Alex Lutz, Finnegan Oldfield, Pierre Rochefort et Pierre Deladonchamps, du rappeur Gringe, de la comédienne Anne Le Ny, du réalisateur Sébastien Marnier, et de la toujours décalée Catherine Ringer.

Le jury courts métrages était lui présidé par le magicien David Jarre, fils de Charlotte Rampling et de Jean-Michel Jarre. Il animait une équipe composée du réalisateur François Descraques, de la scénariste Frédérique Moreau, des comédiennes Ophélie Bau, Lou Lampros et du comédien Jules Benchetrit. Un plateau de qualité, que la manifestation vosgienne avait eu la bonne idée d’embellir encore en y intégrant la venue d’invités de marque tels les metteurs en scène Jaume Balaguero et Kim Jee-woon. Bien connus du public vosgien, les deux cinéastes faisaient figure de caution de prestige pour l’anniversaire de la manifestation gérômoise. Leur présence avait quelque peu calmé les râleurs habituels, même si ce ne sont jamais les mêmes, ils changent au gré de la programmation !
Et cette année, celle-ci était discutable.

Mais ils n’étaient pas seuls, loin de là ! Pour fêter l’événement, Alex de la Iglesia, Jan Kounen, Lucile Hadzihalilovic, les jumeaux Ludovic et Zoran Boukherma avaient fait le déplacement, sans oublier le créateur du festival, Lionel Chouchan. Lors de la cérémonie d’anniversaire dans la grande salle de l’Espace Lac, les amateurs eurent le plaisir de croiser tout ce beau monde, pour ensuite assister à de sympathiques petits messages projetés sur le grand écran avant la projection du dernier film de Jaume Balaguero, l’explosif Venus. Ce fut au tour d’Eli Roth, de David et Brandon Cronenberg, Dario et Asia Argento et de quelques autres d’y aller de leurs encouragements à la quête sans cesse renouvelée, insatiable, de Fantastique de la Perle des Vosges.

Blood de Brad Anderson

Cette année, neuf films étaient présentés en compétition. En ouverture, Blood de Brad Anderson donnait le ton, avec une histoire assez classique qui semblait ancrer le festival dans un contexte familier. On assistait au drame frappant une petite famille déjà bien abîmée, suite à la morsure du cadet par son chien possédé. Bien connu du public qui avait apprécié à l’époque ses films Session 9 (en 2004) et l’Empire des ombres (en 2011), Brad Anderson était de retour avec son nouveau film, on ne peut plus à sa place à Gérardmer. En ouvrant le festival avec Bloodles organisateurs semblaient dire aux spectateurs « voilà, vous êtes de retour en milieu connu après deux années compliquées, maintenant détendez-vous »…C’était sans compter leur malice, la programmation prenant ensuite un malin plaisir à brouiller les piste, avec des films « classiques » et d’autres nettement moins…

La Montagne de Thomas Salvador

Aux côtés de Blood, il y avait La Montagne, du français Thomas Salvador. S’étant fait connaître en 2015 avec la sortie de son premier long-métrage Vincent n’a pas d’écailles, le réalisateur avait une approche du fantastique à part, faite d’humour, d’imaginaire et de décalage. La Montagne allait reprendre tous ces éléments, et y ajouter une bonne dose de poésie. On y découvrirait Pierre, un ingénieur parisien qui à l’occasion d’une mission dans les Alpes serait séduit par la beauté des cimes pour ne plus vouloir en repartir. Lors de ses ballades il suivrait d’étranges lueurs, qui allaient lui conférer de nouvelles aptitudes. Le film partirait avec deux prix (à l’annonce, un étonnement légitime a parcouru une partie de l’assistance), celui du Jury et celui de la Critique, avec un aspect fantastique pourtant très relatif, le film communiquant surtout une forte envie d’aller à la découverte de la montagne.

Memory of Water de Saara Saarela

Dans un genre plus classique, Memory of Water de la Finlandaise Saara Saarela, emprunterait la voix de la politique fiction, avec un mélange dictature-complotisme que n’aurait pas renié George Orwell. On y suivrait le parcours de la jeune Noria dans un monde futuriste où la pénurie d’eau aurait forcé un gouvernement militaire à mettre en place un rationnement strict de la ressource rare. À travers son discours alternant fatalisme et espoir, ses décors de fin du monde, Memory of Water laisserait un sympathique souvenir.

The Nocebo Effect de Lorcan Finnegan

The Nocebo Effect marquait le retour de Lorcan Finnegan au festival de Gérardmer, après son intrigant Vivarium en 2020. Avec une distribution prestigieuse (Eva Green, Mark Strong, qui font face à la jeune comédienne philippine Chai Fonacier), The Nocebo Effect nous invite dans le folklore philippin. Une histoire solide et réellement fantastique, à base de traumatisme enfoui et de sorcellerie somme toute classique, mais avec un petit plus appréciable, et un ancrage bien réel et sincère dans la culture philippine.

La pieta d’Eduardo Casanova

Très attendu, le film espagnol/argentin La pieta d’Eduardo Casanovaraviverait les débats, les uns farouchement pour, les autres férocement contre. Avec son espèce de huis clos mettant en scène un jeune homme étouffé par sa mère, et en faisant un parallèle avec la dictature de la Corée du Nord (si, si!), La pieta allait être sur toutes les lèvres, jusqu’à récolter trois prix, le Grand Prix, le Prix du Public et le Prix du Public Jeunes, montrant que le jury longs-métrages avait été séduit par le côté non conventionnel de l’histoire. A des années lumière du côté classique qu’offrait Blood, Memory of Water ou encore The Nocebo Effect, La pieta allait susciter de vives réactions, mais ça, ce n’est pas nouveau à Gérardmer. Il faut bien reconnaître que nul côté classique ici, dans cette vision rose bonbon d’un enfer moderne régenté par une mère abusive implacable et terrifiante.

Autre film de la sélection, plus balisé, La Tour du Français Guillaume Nicloux (Le Poulpe, Une affaire privée, Le Concile de Pierre, Les confins du Monde…) allait nous enfermer dans une tour de cité isolée du reste du monde par un épais et vorace brouillard. Les habitants de la tour tenteraient de s’organiser pour survivre, des groupes antagonistes se formant et s’affrontant au fil d’une chronologie parfois déroutante.

The Watcher de Chloer Okuno

Avec The Watcher, film américain réalisé par Chloe Okuno, le festival resterait dans le balisé avec cette histoire de voisin voyeur, interprété par le toujours génial Burn Gorman (toujours aussi dérangeant dans ses rôles, ceux qui ont vu la série Forever se rappellent du glaçant Adam qu’il y incarnait, face à un autre immortel incarné par Ioan Gruffud). Dans le rôle de la femme espionnée, Maika Monroe revenait à Gérardmer, après y être apparue en personnage principal de It Follows, Grand Prix et Prix de la Critique en 2015. Film anxiogène assez lent aux airs de Polanski, The Watcher est en quelque sorte un film à l’ancienne mêlant thriller et fantastique. Le résultat a séduit le jury, qui lui a donné le Prix du 30ème anniversaire du festival, créé pour l’occasion.

Piaffe d’Ann Oren

Dans le genre expérimental et bizarre, le film allemand Piaffe d’Ann Oren était, avec La pieta, un des deux véritables ovnis de cette sélection en compétition. On y partageait le quotidien d’une jeune femme spécialisée dans la synchronisation et les bruitages de films. Déjà là, après quelques scènes, on avait perdu une partie des spectateurs. En la faisant ensuite rencontrer un botaniste un brin pervers et manipulateur, on était pas loin de perdre ce qui restait du public. Intrigant par certains aspects, Piaffe a dérouté une partie des spectateurs, ce qui ne l’a pas empêché de séduire le jury longs métrages, qui lui a décerné son Prix, ex æquo avec La Montagne. Là encore, étonnement poli de rigueur !

Dernier film de la compétition, le film d’animation Zeria de l’acteur et réalisateur belge Harry Cleven. Primé avec le Grand Prix du festival en 2005 avec Trouble, qui mettait en scène Benoît Magimel dans un double rôle face à Natacha Régnier et Olivier Gourmet. A la fois film d’animation et film de marionnettes, Zeria pouvait rebuter au premier regard, ou alors piquer la curiosité. Dans cette histoire raconté par Gaspard, dernier homme a être resté sur Terre, celui-ci s’adresse à Zeria, son petit-fils, premier être humain à être né sur Mars. Il lui raconte sa vie, en espérant que son petit-fils pourra venir le voir, alors que ses dernières forces sont sur le point de le quitter. Ce faisant, Zeria serait le premier humain n’ayant jamais connu la Terre à y remettre les pieds. Il faut reconnaître que le film était de nature à provoquer une profonde léthargie. Car passé la poésie et le côté transmission de l’Histoire, il ne s’y passait pas grand-chose. La courte durée du film (1 heure) n’empêcha pas certains spectateurs à quitter précipitamment la salle, ce qui perturba quelque peu la projection.

En parallèle à cette compétition, le festival proposait aux spectateurs une sélection parmi laquelle En Plein Feu de Quentin Reynaud, un intéressant huis clos, à la fois au cœur d’une nature embrasée et dans l’esprit d’un père traumatisé (très bon Alex Lutz, que le réalisateur avait déjà dirigé dans son précédent long, Cinquième set). Domingo et la brume était un film costaricien, sur un vieil homme qui ne veut pas céder son terrain à des promoteurs sans scrupules, et entretient une relation poétique avec la brume. Huesera, film mexicain, nous faisait partager le trouble et les visions accablant une future jeune maman à l’occasion de sa première grossesse. The Communion Girl nous transportait dans l’Espagne de la fin des années 80. Adolescente discrète, Sara tente de s’intégrer dans son nouveau milieu dans la banlieue de Tarragonne. Elle fréquente Rebe, une copine nettement plus extravertie et populaire. Les deux vont croiser une petite en tenue de communiante en rentrant de boite de nuit, et là leurs ennuis vont commencer…

Venus de Jaume Balaguero

Dernier film hors compétition vu, le tonitruant Venus de Jaume Balaguero (La secte sans nom, Fragile, Darkness, REC, REC 2, Malveillance, ou une certaine constance dans la qualité…). Comme à son habitude, le réalisateur espagnol n’y va pas par quatre chemins, et dispose visiblement des moyens pour le faire. Débutant comme un thriller explosif où une go go danseuse essaye de doubler un caïd de la pègre en lui volant un sac rempli de drogues, Venus prend ensuite une autre voie, plus à sa place à Gérardmer. L’occasion pour le metteur en scène de se faire plaisir, et d’alterner les scènes chocs, rarement gratuitement. La dernière partie enchaîne les morceaux de bravoure, le rythme ne laissant jamais de répit au spectateur, jusqu’à un crescendo tout en outrance. Le final prend des allures de western, montrant l’héroïne, Lucia, se rafistoler d’une éventration que l’on pensait définitive (une nouvelle manière d’utiliser une agrafeuse, associée à du chatterton), pour ensuite monter, canon scié à la main, en découdre avec les vraies méchantes du film. Sélectionné en compétition, le film aurait certainement glané l’une ou l’autre récompense, tant il avait de l’avance dans certains domaines.

Kim Jee-woon au bord du célèbre lac

La manifestation n’avait pas oublié les à coté, puisque Kim Jee woon était là pour une masterclass très suivie, que le grimoire affichait toujours complet, et que René Manzor (oui c’est bien lui, le réalisateur du mythique Le Passage en 1986, et de 36 15 code Père Noël en 1990) venait parler de son dernier livre, Du fond des âges. Sa fascination pour la mort toujours intacte, celui qui est aujourd’hui devenu écrivain était venu dans la Perle des Vosges pour évoquer la place de l’imaginaire dans nos vies, et ses manifestations dans notre quotidien. Des projections étaient en outre consacrées à la gémellité au cinéma, et deux nuits, la première Sans lendemain et la seconde Décalée, avaient été organisées afin de satisfaire les insomniaques.

Après cinq jours bien remplis, le rideau s’est levé sur Gérardmer. Lors de la cérémonie de clôture Pierre Sachot, Président de l’association du festival, pouvait déjà en faire le bilan positif (une affluence record, déjà constatée lors de la mise en vente des Pass digitaux, précieux sésame pour accéder à la réservation en ligne des séances), et nous annoncer les dates de de la prochaine manifestation.
Du 24 au 28 janvier 2024, à vos agendas !!!

On y sera, car le festival de Gérardmer est unique…

Par Jérôme Magne