Archives de catégorie : Ecoute

Mariss Jansons

Voilà plus d’un an, le
30 novembre 2019,
Mariss Jansons, l’un
des plus grands chefs
d’orchestre de la fin
du 20e et du début du
21e siècle, était
emporté par une
crise cardiaque. Trois
semaines plus tôt, il
donnait son dernier
concert à la tête de
cet orchestre qu’il
affectionnait tant, le Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, l’orchestre de la
radio bavaroise, à New York dans le magnifique écrin du
Carnegie Hall.

Avec Strauss et Brahms, Jansons avait choisi le répertoire
germanique. Le ton y est toujours juste, les équilibres sont parfaits,
notamment dans cette quatrième de Brahms où les cuivres donnent
une respiration très vivante. Quant à son Strauss, il est brillant. Pas
inventif mais intense tel qu’il devait l’être à l’origine. Il y a là la
marque d’une grande baguette, celle qui a côtoyé le grand
Mravinsky à Leningrad et qui a fait du Concertgebouw et du
Bayerischen Rundfunks, des phalanges musicales admirées et
acclamées. A l’image de cette symphonie de Brahms, Jansons
raconte plus qu’il n’interprète. Sa musique tisse un hymne à l’histoire
de cette musique qu’il servit admirablement, inscrivant là ses pas
dans ceux du grand Giulini qu’il est allé rejoindre dans notre
mémoire.

Par Laurent Pfaadt

Mariss Jansons, His Last Concert, Live at Carnegie Hall,
BR-Klassik

The Cleveland Orchestra

Dès les premières
notes du cor de la 9e
symphonie de
Schubert, on sent
qu’il va se passer
quelque chose.
Enregistré
jusqu’avant la crise
du coronavirus, ce
second disque du
Cleveland Orchestra
mêle la dernière
symphonie de Franz
Schubert à une œuvre moderne, Static et Ecstatic d’Ernst Krenek.

La puissance et l’intensité de l’orchestre américain rayonnent
littéralement. A l’aise aussi bien dans cette œuvre classique que
dans le registre moderne, ce disque permet de mesurer
l’extraordinaire plasticité de l’un des meilleurs orchestres du monde.
Une valeur sûre donc.

Par Laurent Pfaadt

Schubert, Krenek, The Cleveland Orchestra,
dir. Franz Welser-Möst , Cleveland recordings

Une nouvelle aventure

Premier
enregistrement
des Berliner
Philharmoniker
sous la conduite
de leur nouveau
chef, Kirill
Petrenko.

On comprend mieux pourquoi les musiciens du Berliner
Philarmoniker ont choisi Kirill Petrenko à la quasi-unanimité.
Dans ce coffret qui reprend les premiers enregistrements du
nouveau chef d’orchestre, ce dernier a choisi de d’honorer la
grande tradition musicale romantique et post-romantique avec
Beethoven et Schmidt notamment mais également de rendre un
hommage appuyé à la musique de sa patrie d’origine, la Russie,
avec les cinquième et sixième symphonies de Tchaïkovski. Et il
faut bien dire que manier avec un tel brio, la puissance et l’intime
ne se rencontre que très rarement.

Immédiatement, on est frappé par sa capacité de contrôle de
l’orchestre. Les Berliner Philharmoniker ne sont pas bridés, bien
au contraire. La fougue jusqu’à la violence qui s’exprime dans la
cinquième de Tchaïkovski est assumée tandis que la pathétique
est crépusculaire, emprunte d’un fatalisme désarmant. Constitutif
de l’ADN des Berliner, Beethoven était incontournable pour ce
premier enregistrement. Celui de Petrenko est impérial, parfait. Il
sonne juste ou en tout cas, à l’image de cette 7e, il l’offre telle
qu’on voudrait qu’elle soit : épique et renversante. Avec le génie
de Bonn, Petrenko marche assurément dans les pas du grand
Karajan et montre ainsi au monde entier que la musique n’est pas
un exercice de style ou une conception idéologique mais avant
tout une communion.

Mais ce contraste saisissant de puissance et de douceur d’un
orchestre capable d’injonctions comme de badinages et qui fera
désormais le style Petrenko, est manifeste dans la quatrième
symphonie d’un Franz Schmidt, compositeur autrichien post-
romantique aujourd’hui oublié. Ici puissance et émotion forme
une alchimie proprement stupéfiante révélant l’essence même
d’une musique célébrée en son temps. Dans ces grandes pages
musicales où se succèdent orages et accalmies, où l’auditeur a
parfois l’impression d’être embarqué sur le pont d’un navire, la
mer de Petrenko n’est jamais étale. Et à entendre ce solo de
trompette dans le quatrième mouvement, « cet instant où la
beauté meure » que rappelle le maestro en citant Schmidt dans le
passionnant Blu-ray qui accompagne ce coffret, on a hâte de
découvrir le chef dans Mahler, ce compositeur cher au
prédécesseur de Petrenko, Sir Simon Rattle, pour en apprécier la «
patte » sur la sonorité de l’orchestre. La musique pour orchestre
de Rudi Stephan, jeune compositeur allemand tué pendant la
Première guerre mondiale vient compléter ce coffret qui annonce
de belles promesses, russes et françaises, à en croire Petrenko.

Par Laurent Pfaadt

Kirill Petrenko and the Berliner Philharmoniker :
Beethoven, Tchaikovski, Schmidt, Stephan,
Berliner Philharmoniker Recordings

Les Talens Lyriques

Mozart n’avait que
quinze ans lorsqu’il
composa son seul
oratorio qui conte
l’histoire biblique
de Judith et du
tyran Holopherne.
Le génie était là,
prêt à éclore.
Grace à cet
enregistrement
précieux, l’auditeur
peut enfin
savourer ce pur moment de bonheur musical. Tout Mozart, celui des opéras à
venir, celui du Requiem réside dans ces premières notes. Porté par
des Talents lyriques et leur chef Christophe Rousset toujours
aussi extraordinaires, la musique donne ainsi corps au drame de
Judith.

Et que dire des voix, elles sont sublimes et si complémentaires.
Teresa Iervolino campe une magnifique Judith sans parler de
Sandrine Piau, l’une de nos plus belles sopranos. La superbe
tessiture de sa voix, si mozartienne, éclate littéralement dans ses
arias de toute beauté. Les chanteuses sont magnifiquement
secondées par Pablo Bemsch, superbe Ozia, et par le chœur
Accentus qui font indubitablement de Betulia Liberata l’un des
plus beaux disques lyriques de cette année.

Par Laurent Pfaadt

W.A. Mozart, Betulia Liberata, Les Talens Lyriques,
Christophe Rousset
Chez Aparté

Hommage à Beethoven

La dixième symphonie de
Beethoven est un mythe.
Pierre Henry, l’un de nos plus
grands compositeurs, disparu
en 2017, se lança sur les
traces du grand Beethoven en
la recréant, il y a quelques
quarante ans. Puis ce crime
musical, selon ses propres
mots, connut plusieurs
modifications, jusqu’à cette création posthume.

Dès les premières notes, les autres symphonies, apparaissent par
bribes. Durant deux mouvements, l’auditeur se prête au jeu des
devinettes. Puis lentement, dès le troisième mouvement, ce
patchwork s’estompe pour donner naissance à nouvelle mélodie.
Beethoven est là, caché derrière les notes d’Henry qui
supplantent celles du génie. L’alchimie est parfaite. Et lentement,
la copie devient original, l’illusion cède la place à une nouvelle
musique. L’hommage devient création. Une seule et même
symphonie ondulant à travers le temps et les époques. Celle de
Pierre Henry.

Par Laurent Pfaadt

Pierre Henry, la dixième symphonie, hommage à Beethoven,
Chez Alpha Classics

Il Martirio di Santa Teodosa

Tout le monde
connait Domenico
Scarlatti et ses
fabuleuses sonates.
Mais peu de gens
connaissent son
père, Alessandro qui
excella, à l’instar d’un
Claudio
Monterverdi, dans
l’opéra avec son chef
d’œuvre, Il Mitridate
Eupatore
. Son œuvre
sacrée demeure
moins connue en particulier ce martyre de Sainte Théodosie.

C’était sans compter le talent des Accents et de son chef et premier
violon, Thibault Noally. Après s’être attardé sur les froides contrées
germaniques, l’ensemble plonge avec ferveur dans la fournaise de ce
martyr musical. Les voix féminines sont d’une beauté stupéfiante et
contribuent grandement à la réussite de ce disque. Emmanuelle de
Negri excelle dans le rôle de Teodosia, mise à mort pour avoir refusé
l’amour du fils du gouverneur romain de Tyr. Son voix dessine un
lamento assez exceptionnel, surtout dans l’aria « Se il cielo m’invita ».
Elle est parfaitement secondée par la contralto Anthéa Pichanick
qui endosse le rôle de Dèce, permettant ainsi à ce disque de
constituer, déjà, une référence.

Par Laurent Pfaadt

Alessandro Scarlatti, Il Martirio di Santa Teodosa,
Les Accents, Thibault Noally,
Aparte

La symphonie du nouveau siècle

Magnifique coffret à
la découverte de l’un
des plus beaux
orchestres
américains

On connait tous
l’orchestre de
Cleveland. Considéré
comme l’un des « Big Five », les cinq orchestres américains les plus importants, il est passé
à la postérité musicale avec son emblématique chef George Szell.
Suivront Pierre Boulez – comme conseiller musical – Lorin Maazel
qui réalisa notamment un enregistrement de référence du Porgy and
Bess
de Gershwin, Christoph von Dohnanyi et, depuis 2002,
l’autrichien Franz Welser-Möst. Après avoir fêté son centenaire en
2018, le voilà pleinement engagé dans ce nouveau siècle qui s’est
ouvert.

A l’écoute des trois CDs enregistrés dans l’écrin du Severance Hall
qui accompagnent ce coffret et qui résument magnifiquement cet
orchestre, on se rend très vite compte que Franz Welser-Möst est
resté fidèle à l’héritage de George Szell, en alliant profondeur du son
européen avec exécution transatlantique. Cela est particulièrement
prégnant dans la symphonie Aus Italien du jeune Richard Strauss qui
prépare les pentes abruptes de la symphonie alpestre ou dans le 15e
quatuor à cordes de Beethoven. Dans ces œuvres, l’intimité du
classicisme viennois cohabite parfaitement avec la rutilance des
cuivres et le tranchant des cordes américaines. La troisième
symphonie d’un Prokofiev que l’orchestre connait bien pour avoir
sublimé, il y a un demi-siècle, le Roméo et Juliette du compositeur,
permet également de mesurer son aisance dans ces sonorités à la
fois nerveuses, tragiques et percutantes.

Franz Welser-Möst ne s’est pas cantonné à ressasser un passé
glorieux. Avec ce nouveau siècle, il a souhaité que l’orchestre
pénètre plus profondément dans la création contemporaine, comme
en témoigne les treize créations commandées durant ses huit
premières années mais également qu’il se lie plus « chaque jour, à
travers notre musique, avec la population »
. Le Cleveland orchestra y a
indubitablement gagné une plasticité qui l’inscrit un peu plus dans
l’histoire de la musique. Se réinventer en permanence dans un
monde qui change continuellement, voilà la clef de l’excellence. Et
celle-ci est au rendez-vous dans ce coffret avec deux jeunes
compositeurs, titulaires de la bourse Daniel Lewis et appelés, à coup
sûr, à marquer de leurs empreintes l’histoire de la musique :
Johannes Maria Staud dont le Stromab n’est pas sans rappeler John
Adams ou Giya Kancheli et Bernd Richard Deutsch, étoile montante
de ce qu’il convient d’appeler la troisième école de Vienne avec son
concerto pour orgue qui s’aventure avec lyrisme dans la Grèce
antique. Ainsi, à 102 ans, plus que jamais, le Cleveland Orchestra
affiche, sous la conduite de son brillant chef, une insolente
jeunesse …

Par Laurent Pfaadt

The Cleveland Orchestra, a new century, 3 CDs Hybrid SACD, Livret collector de 150 pages, The Cleveland Orchestra Label, disponible sur : www.clevelandorchestra.com/newcentury

On écoutera également : Lorin Maazel,
The Complete Cleveland Recordings
Chez Decca Classics

The Impossible Orchestra

La pandémie permet
parfois quelques
miracles, en tout cas
musicaux. Comme
celui de voir réunis
dans un même
orchestre quelques-
uns parmi les plus
grands solistes du
monde, mus par
l’amour de la
musique mise au
service de l’humanité
toute entière. Celui
où l’archet le plus prestigieux deviendrait une main tendue aux plus
faibles.

L’objectif de l’Impossible Orchestra de la cheffe d’orchestre
mexicaine, Alondra de la Parra, bien connue dans la capitale
parisienne pour avoir dirigé l’orchestre de Paris, répond à cette
impérieuse exigence née du COVID. Cet orchestre virtuel est né
pour aider les femmes et les enfants du Mexique victimes de
violences pendant la crise sanitaire et fédère aujourd’hui autour de
la Danzon n°2 d’Arturo Márquez le génie d’un Maxim Vengerov au
violon, d’une Alisa Weilerstein au violoncelle ou d’un Emmanuel
Pahud à la flûte notamment. Il en ressort une interprétation vivante
et pleine d’espoirs en ces temps anxiogènes.

L’orchestre impossible est ainsi devenu orchestre de rêves, rêves
musicaux mais aussi rêves d’espoirs…

Par Laurent Pfaadt

Arturo Márquez,  Danzon n°2, Alondra de la Parra,
The Impossible Orchestra,
Chez Alpha Classics, digital only

Roberto Forès Veses

L’orchestre national
d’Auvergne gagne
indiscutablement à
être connu comme
en témoigne ce
disque d’une
profonde densité
consacré à deux
compositeurs
majeurs de la
seconde école de
Vienne (Berg,
Webern) et à Franz
Schreker. Avec
l’exigeante suite lyrique de Berg comme point d’orgue, l’orchestre,
sous la conduite de son chef, Roberto Forès Veses qui, depuis son
prix au concours Svetlanov en 2007, n’a eu de cesse de confirmer
son talent et de l’insuffler aux orchestres qu’il a conduit, confirme
toute sa qualité d’interprétation.

Dans cette pièce emblématique de la période dodécaphonique
d’Alban Berg, l’orchestre est resté fidèle à la nature originelle de
l’œuvre, à savoir le quatuor à cordes pour en tirer, avec ses cordes
tranchantes, haletantes, toute la quintessence. Grâce à une
magnifique prise de son, cette interprétation plonge
immédiatement l’auditeur dans la noirceur mélodieuse de cette
queue de comète mahlérienne. La lumière viendra de Webern dont
le Langsamer Satz apporte une douceur inouïe sans pour autant
verser dans un pathos qui la caricaturerait. Avec Schreker et ses
magnifiques violoncelles en guise d’apothéose, l’orchestre national
d’Auvergne nous a, pour quelques temps, transporté dans la Vienne
du début du 20e siècle. En attendant Strauss…

Par Laurent Pfaadt

Berg-Webern-Schreker, Orchestre national d’Auvergne,
Roberto Forès Veses
Chez Aparté

Demande à la poussière

Les livres à emmener à la plage

Comme chaque année, Hebdoscope
vous propose une sélection de livres
à lire pendant vos vacances. Des
livres peu ordinaires pour des
vacances pas ordinaires. Alors
embarquez pour un voyage dans les
années 20, 30, 40, 50 et bien au-delà !

Enfin, une fois n’est pas coutume, il
sera possible de lire les yeux fermés.
Le confinement et la fermeture des
libraires ont ainsi remis à l’honneur les
livres audio. Avec ce classique de la littérature américaine des
années 30, extrait du quatuor Bandini et lu par Thibault de
Montalembert, l’auditeur suit les aventures d’Arturo Bandini, jeune
écrivain fauché qui rêve de gloire et d’ascension sociale.

Magnifiquement porté par le narrateur qui réussit parfaitement à
restituer la voix intérieure du héros, bigot torturé en permanence
par sa bonne conscience, et rythmé par des mélopées jazzy, on suit
Bandini, aspirant écrivain perdu dans cette Los Angeles des années
30, mégapole en devenir et Babylone contemporaine, des bas-fonds
jusqu’aux sentiers de la gloire où l’attendra son destin et la belle
Camilla Lopez. Une œuvre sensible et magnifique à réécouter.

Versions papiers disponibles chez Christian Bourgois et 10/18.

Par Laurent Pfaadt

John Fante, Demande à la poussière
Livre audio lu par Thibault de Montalembert, Lizzie