Horace
Vernet était à l’honneur d’une importante rétrospective au château de
Versailles et d’une monographie passionnante
Nous
l’ignorons mais Horace Vernet est en permanence avec nous. Dans les musées.
Dans nos livres scolaires. Sur les couvertures de romans. Mais surtout dans nos
têtes, parfois même sans le savoir, sans que l’on connaisse son nom. Tous les
Français qu’ils soient de naissance, d’adoption ou de coeur ont grandi et
vivent avec ses tableaux devenus des images familières qui ont fait de nous des
citoyens.
Plus
qu’aucun autre peintre, Horace Vernet représenta l’histoire de France. Peintre
des batailles pour reprendre le titre d’un roman d’un célèbre écrivain
espagnol, il est celui de Fontenoy, de Bouvines, du pont d’Arcole, de Valmy, de
Iéna. Placé devant elles, le visiteur ne peut que s’émouvoir, se sentir, devant
ces grands formats, écrasé par le poids de l’histoire.
Né
en 1789, quinze jours avant la prise de la Bastille, comme un présage, Horace
Vernet trouva vite en Théodore Géricault un mentor dont il réalisa le portrait
et avec qui il partagea la passion des chevaux comme ceux, magnifiques de la
Chasse au lion au Sahara (1836) de la Wallace collection. Du cheval au
cavalier et au roi, il n’y eut qu’un pas ou un saut que Vernet effectua
allègrement. Et pour célébrer ce roi de la peinture historique, Versailles
convoqua, le temps d’une exposition, à la cour, nobles venus de provinces avec
leurs plus beaux présents picturaux, diplomates étrangers arrivés des
Etats-Unis, d’Allemagne, d’Italie ou de Lettonie et illustres inconnus avec ces
tableaux issus de collections particulières à l’instar de La mort du prince
Poniatowski à la bataille de Leipzig (1816). Tous ces visiteurs venant
rejoindre ces Princes du sang et de la peinture installés dans la galerie des
batailles.
La
parade picturale pouvait donc commencer avec ces tableaux qui se regardent en
cinémascope. Sur grand écran. Le spectateur est immédiatement happé et plongé
dans le décor. Il devient, consciemment ou à son insu, un personnage à part
entière de l’œuvre. Comme dans L’Enlèvement d’Angélique (1820) où il
semble impuissant à pouvoir empêcher le rapt.
La
scénographie versaillaise amène tout naturellement le visiteur vers les salles
d’Afrique aménagée par le roi Louis-Philippe pour célébrer les victoires de
l’armée française. Horace Vernet s’y déploie en majesté pour y célébrer cette
autre majesté, le duc d’Aumale, 4e fils de Louis-Philippe dont il
fut proche notamment dans la monumentale Prise de la smalah d’Abd-el-Kader
par le Duc d’Aumale à Taguin (1843-1845). Avant cela, la toile inachevée de
La prise de Tanger (1847) commandée par Louis-Philippe pour la salle du
Maroc permet d’appréhender la technique de l’artiste : peindre en coin ou
sur un côté. Comme une bataille qui se gagne par les flancs.
D’une
maîtrise assez impressionnante – on raconte qu’il était capable de réaliser un
portrait en une seule séance de pose, d’un seul jet de pinceau – Vernet allait
ainsi faire des merveilles en racontant l’histoire de France. Son portrait de
Laurent, Marquis de Gouvion-Saint-Cyr, maréchal de France (1764-1830) en1824 est emprunt d’un clair-obscur tout à fait remarquable avec ses reflets
sur les broderies de l’uniforme du militaire. Et qu’il s’agisse de ses tableaux
monumentaux ou de petits formats, Horace Vernet reste fascinant dans le soin
apporté aux détails. Chaque visage de la multitude de soldats de ses batailles
titanesques apparaît différent, avec, à chaque fois, une expression unique.
Ce
souci du détail se combine à une peinture vivante, toujours en mouvement. Les
épaulettes brillantes du militaire dans le Siège de Saragosse (1819)
semble sortir de la toile. L’habit blanc du combattant à cheval dans Le
combat de la forêt de l’Habra, le 3 décembre 1835 (1840) semble virevolter
dans les airs.
C’est
ce qui a permis une immédiate identification avec l’histoire de France, cette
façon qu’il a eu de la rendre vivante et le permettre à tous de se
l’approprier. « Pour Vernet, le récit était essentiel : tout était
sujet à tableau » estime Valérie Bajou, conservatrice générale au
musée national des châteaux de Versailles et de Trianon dans le magnifique
catalogue qui accompagne l’exposition et tient lieu de monographie de
référence. Margot Renard, post-doctorante en histoire de l’art à l’université
de Gand, explique d’ailleurs cette alchimie par la rencontre d’un peintre et de
son époque allant même jusqu’à dire au sujet de son rapport à Napoléon que
« le rôle de Vernet dans l’élaboration de la postérité napoléonienne
est majeur, au point de pouvoir l’envisager comme le créateur de Napoléon
Bonaparte ». Louis-Philippe dont Horace Vernet fut proche, demeura
l’artisan politique de la réhabilitation et de l’intégration de l’empereur et
l’Empire au récit national avec notamment le retour des cendres de Napoléon en
1840. Les tableaux des batailles de Iéna, de Friedland, de Wagram peintes en
1836 et son célèbre Napoléon sur son lit de mort (1826) participèrent
également de cette réhabilitation.
Cette proximité du pouvoir lui permit d’accéder à des fonctions importantes : colonel de la garde nationale, il combattit les insurgés de 1848 pour défendre son roi. Directeur de l’académie française à Rome, il fut ensuite élu à l’académie des beaux-arts, le 24 juin 1876, devenant ainsi immortel et entrant définitivement dans nos récits nationaux.
Par Laurent Pfaadt
Horace Vernet (1789-1863), sous la direction de Valérie Bajou, château de Versailles/éditions Faton, 448 p.
Une
très belle exposition du musée d’art et d’histoire du judaïsme complétée d’un
livre de photos nous font revivre l’atmosphère unique et à jamais perdue de la
cité grecque
Il
est des villes qui portent en elles la promesse d’un voyage, d’un fantasme. Des
villes-monde. Odessa, Trieste, Salonique. Cité à la croisée des chemins entre
Mitteleuropa et Méditerranée, elle a vu naître les grands saints de l’Église
slave, Cyrille et Méthode, Mustapha Kemal, futur Atatürk ou le grand-père de
Nicolas Sarkozy.
Elle
personnifia jusqu’à sa destruction par les nazis en 1943 une utopie
multiethnique de communautés vivant en harmonie, les unes à côté des autres,
les unes avec les autres. On s’entendait pour fermer le samedi et lors des
fêtes juives. C’est ce que montre à merveille l’exposition du musée d’art et
d’histoire du judaïsme de Paris. S’appuyant sur la donation photographique de
Pierre de Gigord, collectionneur passionné de l’Empire Ottoman, dont elle a
tiré cent cinquante clichés des photographes de la ville, Paul Zepdji à la fin
du XIXe siècle puis Ali Eniss, drogman au consulat d’Allemagne de la ville,
l’exposition retrace ainsi merveilleusement un demi-siècle de la vie de cette
communauté juive venue s’installer ici après avoir fui les persécutions
espagnoles du XVe siècle.
Entre
ces murs bâtis par les Romains et où demeure toujours l’arc de Galère, cet
empereur du début du IVe siècle tombé sous le charme de la cité, photographié
par Zepdji et devenu la porte de ces civilisations qui construisirent avec
leurs fils et leurs filles notamment juifs la légende de la ville, le visiteur
est invité à entrer dans cette dernière. A l’aide de plans fort précieux,
l’exposition montre ainsi la division de Salonique en trois quartiers
(chrétien, juif et musulman avec une forte proportion de sabbatéens, ces juifs
convertis à l’Islam). Ces derniers prennent ensuite vie sur ces tirages
effectués d’après les négatifs sur verre qui emmènent les visiteurs dans ces
rues nimbées de la mémoire des civilisations passées, celle des Byzantins, des
Sarrasins, des Croisés, des Ottomans, des Juifs et qui maquillèrent leur
architecture byzantine-ottomane de cet art déco arrivé au début du 20e
siècle. Ces clichés prennent des airs de voyage dans le temps. On a
l’impression de capter les odeurs de poisson du port, d’entendre les rires des
enfants place de l’Olympe ou de croiser des clients sortant du Splendid Palace
ou des cafés.
Les juifs majoritairement séfarades, représentèrent jusqu’à 50 % de la population. Ils sont là sur ces clichés, tantôt en costumes traditionnels, tantôt représentés en portefaix mais l’œil du visiteur qui s’attarde avec nostalgie devant ces photographies se remplit de quelques larmes devant ce monde qu’il sait disparu, d’abord dans les flammes de l’incendie de 1917 qui défigurèrent définitivement cette ville à nulle autre pareille et où près de la moitié des trente-trois synagogues furent réduites en cendres. Puis dans cet autre incendie qui allait, un quart de siècle plus tard, consumer l’Europe entière.
Par Laurent Pfaadt
Salonique, la Jérusalem des Balkans, jusqu’au 21 avril 2024, Musée d’art et d’histoire du judaïsme, 1870-1920, Paris 3e
A lire le très beau catalogue signé Catherine Pinguet, Salonique, 1870-1920 CNRS éditions, 172 p.
La
collection des Mondes anciens achève sa trilogie sur la Grèce antique avec un
magnifique volume consacré à la Grèce hellénistique
Coincée
entre la Grèce classique et l’Empire romain, entre Périclès et Hadrien, la
Grèce hellénistique apparaît comme une période transitoire. Il y eut bien
évidemment la parenthèse Alexandre le Grand mais après 323 av. J-C, la Grèce
hellénistique semblait devoir demeurer l’épitaphe d’un monde finissant avant
l’émergence puis l’apogée d’un nouveau. Une croyance que démonte ce nouveau
volume de la collection des mondes anciens qui vient refermer la trilogie
consacrée à la Grèce antique.
La
Grèce hellénistique constitua une époque avant tout marquée par une
fragmentation politique surtout après la mort d’Alexandre le Grand et la
division de son empire entre ses lieutenants. Des grandes batailles d’Alexandre
au Granique (334 av. J-C) ou à Issos (333 av. J-C) face au roi perse Darius
III, aux luttes incessantes et moins connues mais non moins passionnantes entre
les anciens lieutenants du grand conquérant et leurs successeurs comme à
Raphia, près de Gaza en 217 av. J-C durant les guerres de Syrie (274-168 av.
J-C) où Ptolémée IV affronta Antiochos III, le livre rend éminemment
compréhensible les enjeux géopolitiques grâce à des cartes extrêmement
pertinentes qui permettent de mesurer l’importance de cette reconfiguration
civilisationnelle qui ne prit véritablement fin qu’avec l’intégration de
l’Égypte des Lagides à la République romaine finissante. Dans cet art de la
guerre qui se transforma avec une phalange devenue légion et l’émergence d’une
nouvelle thalassocratie, les auteurs analysent parfaitement ces sociétés
militarisées en s’aventurant grâce aux découvertes archéologiques dans la cité
pour montrer justement la construction d’une armée royale appuyée sur des clans
ainsi que l’évolution de l’urbanisme, du commerce et d’une vie quotidienne où
perdura l’esclavage grec classique.
Une
riche iconographie procurant comme à chaque fois avec les volumes de cette
collection, un plaisir non dissimulé,
ménage des pauses avec ces focus sur l’autel de Pergame, monument emblématique
du baroque hellénistique et qui figura un temps parmi les sept merveilles du
monde, sur la victoire de Samothrace édifiée à la suite de la bataille de Cos
(262/261 avant J-C) remportée par les Antigonides sur les Lagides et bien
évidemment sur la Venus de Milo, chef d’œuvre de la statuaire grecque. Ces
trésors permettent ainsi de prendre conscience que cette période développa une
intense activité artistique tant dans la réalisation de monuments que dans la
production d’oeuvres littéraires avec Polybe ou Pline l’Ancien, premiers
propagandistes de cette nouvelle civilisation qui s’inscrivit dans la
continuité des derniers feux de la Grèce comme civilisation prédominante de la
Méditerranée. Car le livre montre également que la Grèce hellénistique ne se
réduisit pas aux frontières des royaumes grecs mais s’étendit jusqu’au sud de
l’Égypte et au Proche-Orient des Nabatéens de Petra et de Jésus.
Le
livre explique ainsi très bien cette continuité avec la Grèce classique puis
son influence sur Rome et son empire. Comme un passage de témoin
civilisationnel. Une continuité qui se manifesta dans la transmission de
l’hellénisme, ce courant politique, philosophique et artistique qui se diffusa
au sein des élites romaines, de Scipion l’Africain à l’empereur Hadrien. « Le
destin de l’hellénisme apparaît paradoxal : sa pérennité tient à son
adoption par les élites romaines, victorieuses des cités et des rois
hellénistiques » écrivent ainsi les auteurs. Un hellénisme marqué
notamment par l’éphébie, ce temps d’instruction civique et militaire très prisé
de certains généraux romains. Un hellénisme qui survécut à la chute de Rome et
que les auteurs convoquent via des représentations tirées du Moyen-Age, de la
peinture baroque et du cinéma pour mieux illustrer leur propos.
Livre politique, archéologique et sociologique, la Grèce hellénistique offre ainsi une plongée passionnante dans une époque charnière de l’Antiquité faite de ruptures et de continuité. « Et Rome, unique objet d’un désespoir si beau, du fils de Mithridate est le digne tombeau » écrivit Racine dans sa pièce Mithridate, ce roi du Pont défait par le général romain Pompée. Un tombeau qui allait devenir berceau.
Par Laurent Pfaadt
Christophe Chandezon, Catherine Grandjean, Gerbert-Sylvestre Bouyssou, La Grèce hellénistique et romaine, d’Alexandre à Hadrien (336 avant notre ère – 138 de notre ère) coll. Mondes anciens, Belin, 816 p.
A lire également : Laurent Gohary, Scipion l’Africain, Realia/Les Belles Lettres, 416 p.
On avait quitté Cortès et les membres de son expédition lors de la rébellion de Tenochtitlan qui faisait suite au massacre du Grand Temple par les troupes de José de Alvarado, le 22 mai 1520. Hernan Cortès était alors absent. A son retour, il découvrit le chaos et des Aztèques bien décidés à chasser les conquistadors. Un chaos magnifiquement retranscrit dans cette deuxième partie de la BD que Christian Chavassieux et Cedric Fernandez consacrent au célèbre conquistador.
Grâce
à un scénario bien en place toujours narré par La Malinche, appelée tantôt
Malintzin ou Dona Marina, la compagne de Cortes qui lui donna un fils, le récit
avance comme un sillon tracé entre les deux fanatismes, espagnol et aztèque,
comme un sentier vers ce nouveau monde, cette nouvelle civilisation à venir.
Cette dernière se matérialisera dans ce cœur du monde unique, celui du fils de
Cortès et de la Malinche. Un nouveau monde tout en fureur et en mouvement, aux
couleurs éclatantes, aux reflets de feu et de sang dans ces batailles
terribles, de bleus et de verts dans ces costumes et parures aztèques de toute
beauté.
Avançant vers le dénouement de la conquête de l’empire aztèque avec la prise de Tenochtitlan, le 13 août 1521 qui deviendra bientôt Mexico, les auteurs parviennent à construire un Cortès ambivalent, à la fois cruel et magnanime, homme de la couronne espagnole en quête d’or et visionnaire d’un monde métissé que vient d’ailleurs confirmé le traditionnel et précieux cahier historique placé, comme à chaque fois dans cette collection, en fin d’ouvrage, permettant ainsi de contextualiser cette bande-dessinée très réussie.
Par Laurent Pfaadt
Christian Chavassieux, Cédric Fernandez, Cortès Tome 2 – le Cœur du monde unique Glénat, 56 p.
Un
magnifique ouvrage revient sur l’histoire d’AC/DC. De quoi préparer leur venue
en France
Voilà
plus d’un demi siècle qu’ils nous convient en enfer via leur autoroute musicale
rythmée par le tocsin de leurs tubes. Cinquante ans plus tard alors qu’ils
reviennent en France pour leur unique concert à l’hippodrome Longchamp, il
devenait plus que nécessaire de se replonger dans le livre que Philippe
Margotin consacra à AC/DC à l’occasion du demi-siècle d’existence du groupe.
Tout
commence en 1973 en Australie. Deux frères d’origine écossaise, Malcolm et
Angus Young fondent ce qui deviendra l’une des formations les plus mythiques de
ce demi-siècle musical. La petite histoire raconte que c’est la sœur des
frères Young, Margaret qui, en voyant AC/DC « alternating current/direct current » (courant alternatif/courant
continu) sur un aspirateur eut l’idée du nom. Le 31 décembre 1973, influencé
par Slade et Alice Cooper notamment, le groupe donne son premier concert puis,
deux ans et demi plus tard, après avoir signé chez Atlantic Records, sort en
Europe, le 30 avril 1976, son premier album, High Voltage, prélude à
leur conquête du vieux continent. Il contient déjà quelques-uns de leurs
innombrables tubes : TNT, The Jack etIt’s a long way to
the top (If you wanna Rock n roll) que reprendra Metallica lors de
l’ouverture de leurs tournées. La déferlante ACDC est en route. Elle ne
s’arrêtera pas et continue toujours.
Les
albums s’enchaînent, Powerage (1978) qui matérialisa le passage au hard
rock, Highway to hell (1979) qui leur offrit la renommée mondiale, Back
in black (1980), For Those About to Rock
(We Salute You) en 1981, The Razor’s Edge (1990)
qui resta un an et demi dans les classements américains. Mais également les
tubes sur lesquels le livre revient abondamment en convoquant l’anecdote, la
petite histoire comme cette cornemuse sur It’s a long way to the top (If you
wanna Rock n roll) jouée par Bon Scott, une chanson que Brian Johnson
refusa toujours d’interpréter. Tout comme ces concerts, du Marquee, le temple
du rock anglais, à l’été 1976 au Madison Square Garden de New York en 1998. En
France où le groupe est venu à plusieurs reprises notamment au Pavillon de
Paris le 9 décembre 1979, l’accueil a toujours été incroyable. Pour preuve, les
50 000 places du concert du 13 août prochain se sont vendus en trois heures.
Cinquante plus tôt, en 1976, le groupe assurait la première partie de Raimbow à
Colmar !
Leurs
chansons deviennent des hymnes du cinéma d’action américain, des années 90 avec
Big Gun dans Last Action Hero avec Arnold Schwarznegger jusqu’à
nos jours et Stephen King, le roi du roman fantastique américain, leur proposa
de réaliser la musique de son film Maximum Overdrive. Cela donne Who
made who. AC/DC est définitivement entré dans la pop culture.
Bien
évidemment, comme dans chaque groupe, les drames frappèrent la formation sans
l’anéantir, renforçant ainsi le mythe : les décès de Bon Scott (1980) et
de Malcolm Young (2017), les départs et retours de Phil Rudd et Cliff Williams,
l’absence de Brian Johnson remplacé par un Axel Rose des Guns n Roses
dans une sorte de mercato surprenant. Le livre de Philippe Margotin, servi par
une très belle infographie, n’omet rien, bien au contraire.
Le groupe, confronté à l’évolution des styles musicaux connut au début au milieu des années 1980, une panne et refusa même un million de dollars des Rolling Stones pour interpréter leur première partie. Mais il était dit qu’AC/DC ne serait jamais débranché. Donc si vous voulez tout savoir d’AC/DC ou simplement découvrir ce groupe mythique, alors ce livre est pour vous. En fait non, c’est juste un livre indispensable à toute bibliothèque. Point.
Par Laurent Pfaadt
Philippe Margotin, AC/DC, le groupe, les albums, la musique Glénat, 288 p.
Power
Up Tour, la nouvelle tournée européenne d’ACDC entre le 17 mai et le 17
août 2024 passera notamment à l’hippodrome de Longchamp de Paris, le 13 août
2024.
Le
Musée de Cluny rend hommage aux arts français sous le roi Charles VII
Coincés
entre les primitifs flamands et une peinture italienne d’un Fra Angelico prête
à basculer du Moyen-Age à la Renaissance, les arts sous Charles VII peinèrent à
exister à l’image de son royaume divisé
luttant contre un Etat bourguignon allié à une Angleterre revendiquant le trône
de France durant la fameuse guerre de Cent ans. Organisée avec la collaboration
exceptionnelle de la Bibliothèque Nationale de France et plusieurs fondations,
l’exposition du musée de Cluny pose tout d’abord le décor politique et
artistique de l’époque. Car, si l’histoire de France, notamment sous la plume
du grand Michelet, a retenu Charles VII comme le souverain qui dut sa couronne
à la Pucelle d’Orléans, elle n’a pas fait grand cas de son goût pour les arts
et notamment pour les livres. Pourtant, le sacre du roi à Reims, le 17 juillet
1429, puis le traité de paix d’Arras (21 septembre 1435) sorti pour l’occasion
des archives nationales vinrent stabiliser le royaume de France et permirent
également, comme le rappelle Mathieu Deldicque, directeur du musée Condé et
commissaire de l’exposition, « de s’adonner davantage à la commande
publique ».
Il
faut reconnaître que l’époque était à la célébration de génies. L’Ars Nova
propagé par les Bourguignons et emmené par Jan Van Eyck, Roger von der Weyden
et Barthélémy d’Eyck dont le fabuleux Triptyque de l’Annonciation de
l’église de la Madeleine d’Aix-en-Provence magnifiquement décrypté et qui vaut
à lui seul le détour, venait de révolutionner la peinture rompant avec l’art
gothique tandis que de l’autre côté des Alpes, Fra Angelico jetait les bases
d’une Renaissance qui allait tout emporter.
La
France de Charles VII élabora alors une
synthèse de ces différents courants artistiques et définit une voie picturale
propre déclinée nationalement et régionalement, et qui trouva dans la figure de
Jean Fouquet son plus éminent représentant. Et si l’exposition présente le
fameux Portrait de Charles VII du Louvre, elle s’attarde également sur
son travail moins connu d’enlumineur en particulier celui opéré dans Les
Grandes Chroniques de France.
Jean
Fouquet fut ainsi la Jeanne d’Arc artistique du roi et occupa dans le paysage
artistique, selon les commissaires de l’exposition dans le magnifique catalogue
qui accompagne l’exposition, « une place singulière » en tant
que « portraitiste virtuose maîtrisant la perspective sous toutes ses
formes et incluant dans son répertoire des motifs directement empruntés à
l’Italie ». Jean Fouquet jeta ainsi les bases du style français. Sa
figure est omniprésente dans l’exposition même si on regrettera l’absence du Diptyque
de Melun que le catalogue convoque malgré tout. Le visiteur se contentera
de l’observer à travers la radiographie du Portrait de Charles VII qui
laisse ainsi apparaître que Fouquet commença à peindre une vierge identique à
celle du Diptyque de Melun avant de changer d’avis. Il pourra en
revanche s’émerveiller devant le Triptyque de Dreux Budé d’André d’Ypres
reconstitué pour la première fois et qui constitue le point d’orgue de cette
exposition.
Convoquant des trésors de parchemins tirés de la BNF, véritables pièces maîtresses de l’exposition, celle-ci montre avec ces bréviaires, chroniques et autres livres d’heures comme les Grandes Heures de Rohan ou le Bréviaire de Bedford d’Haincelin de Haguenau, l’incroyable finesse de l’enluminure à la française, art majeur de l’époque, avec la puissance expressive de ses pastels et ses rouges et bleus tonitruants qui concoururent avec ces monumentales tapisseries ainsi que le très beau dais royal à la mise en valeur de la représentation de la personne royale. Un reconquête artistique qui en appelait une autre.
Par Laurent Pfaadt
Les arts en France sous Charles VII (1422-1461) jusqu’au 16 juin 2024 Musée de Cluny, Paris 5e
A lire le catalogue de l’exposition : Les arts en France sous Charles VII, 1422-1461, RMN, 320 p.
A lire également :
Christian
Heck, Le retable de l’annonciation d’Aix, récit, prophétie et accomplissement
dans l’art de la fin du Moyen Age, Faton, 208 p.
Jean-Christophe
Rufin, le grand Coeur, Folio, 592 p.
Laurent
Gohary signe une passionnante biographie de l’une des figures clés de la
République romaine
Son
nom restera éternellement associé à celui d’Hannibal, le grand conquérant
carthaginois qu’il vainquit. Et pourtant, l’histoire, dans sa grande et célèbre
injustice a choisi, une fois n’est pas coutume, de ne retenir que son perdant.
Dans
ce portrait fascinant alliant érudition et rythme qui réinstalle Scipion
l’Africain à la juste place qui doit être la sienne dans l’histoire de la
République romaine, le lecteur découvre un stratège militaire hors pair qui
modernisa l’armée romaine pour faire face à la plus grande puissance de son
temps, Carthage, mais également un homme cultivé, passionné d’histoire grecque
qui se rêva en successeur du grand Alexandre.
Il
eut face à lui un Sénat hostile emmené notamment par Fabius Cunctator, l’ancien
dictateur qui sauva Rome après le désastre du lac Trasimène et un Caton
l’Ancien qui accusa Scipion de débauche pour son goût de l’hellénisme. Jouant
le peuple contre les élites auxquelles il appartenait pourtant, Scipion lui
imposa une guerre qu’il porta en Afrique en défiant Hannibal à la célèbre
bataille de Zama en 202 avant J-C. Puisant dans les sources et notamment
Tite-Live, Polybe et Appien, Laurent Gohary embarque ainsi son lecteur dans ces
batailles romaines devenues légendaires (Cannes, Magnésie, Trasimène, Métaure)
jusqu’à Zama où « se joua le sort de toute la Méditerranée et, sans
doute, de la civilisation romaine elle-même » écrit-il. Un choc des
titans à revivre à travers un récit enlevé, appuyé sur une carte et ces mots de
Polybe : « il arrive aussi que, comme le dit le proverbe, un grand
homme en rencontre un autre qui soit plus grand que lui »
Devenu l’homme fort de la République, tissant ses réseaux grâce à sa gens, mais trop intègre et soucieux de sa place dans l’histoire, Scipion ne franchit jamais le Rubicon. La République n’était pas encore ce fruit mûr prêt à tomber. Jalousé, devenu trop puissant, Scipion finit comme ces illustres grecs qu’il aimait tant : ostracisé. Un siècle et demi plus tard, un autre général victorieux saura retenir la leçon. Une leçon littéraire contée de la plus belle des manières.
Par Laurent Pfaadt
Laurent Gohary, Scipion l’Africain Realia/Les Belles Lettres, 416 p.
A lire également :
Christophe Chandezon, Catherine Grandjean, Gerbert-Sylvestre Bouyssou, La Grèce hellénistique et romaine, d’Alexandre à Hadrien (336 avant notre ère – 138 de notre ère), coll. Mondes anciens, Belin, 816 p.
Ben Wilson signe un livre de référence sur l’histoire
millénaire de la ville
Qui
n’a jamais apprécié de boire un café au petit matin sur une terrasse et voir
une ville se réveiller avec ses livreurs, ses écoliers, ses odeurs et ses
bruits ? Plus d’un siècle après le film de Fritz Lang, voilà que
Metropolis revient nous interpeller. Mais cette histoire qui nous est racontée
n’est pas celle d’une ville inscrite dans une société dystopique et symbole
d’une civilisation décadente tirée de l’esprit du plus grand réalisateur
allemand. Plutôt celle d’une ville protéiforme qui a traversé les âges et les
civilisations pour se transformer et se réinventer.
De
son invention, il y a près de 6 000 ans, dans la mésopotamienne Uruk à celle de
la mega-cité, omniprésente qui recouvrera en 2050 2/3 du globe, Ben Wilson,
historien britannique nous propose un voyage littéraire hallucinant,
électrisant et passionnant. De Dharani, le plus grand bidonville de l’Inde aux
ruines de Varsovie pendant la seconde guerre mondiale en passant par l’ancêtre
de Dubaï, la Bagdad des califes et les banlieues de Los Angeles, son ouvrage
revient sur cette incroyable invention qui connut modifications,
bouleversements et évolutions négatives et positives.
Car
nous dit Ben Wilson, les êtres humains ont eu depuis des millénaires, la
volonté de se regrouper, de se socialiser, de créer des sociétés. Celles-ci se
sont matérialisées dans ces formes que l’on nomme villes ou cités si bien
qu’avec l’évolution de l’humanité, ces créations ont parfois échappé à leurs
concepteurs et se sont émancipées des Etats qui avaient présidé à leur
édification. Pour autant prévient l’auteur, « nous sommes doués pour
vivre dans les villes (…) Et pourtant, nous sommes aussi très mauvais pour les
bâtir ». N’hésitant pas à convoquer Gilgamesh, la série des Sopranos
pour évoquer le tracé linéaire entre centre-ville et périphérie ou l’industrie
automobile qui constitue selon lui l’un des poisons de détérioration des
conditions de vie dans les villes, Ben Wilson pointe ainsi avec intelligence
les réussites et les ratés de l’histoire urbaine.
Pour autant le génie humain a conçu une invention qui a fait preuve de sa résilience et de sa capacité à se réinventer, à surprendre. Et si l’homme a modifié la ville tout au long de l’histoire, celle-ci a également transformé les hommes et les sociétés. Ainsi de Los Angeles qui, grâce à l’immigration latino, a développé un type d’urbanisme générateur de sociabilité entraînant piétonisation et gentrification. Ici réside bien le coeur d’un livre qui ne se réduit pas à une simple histoire de l’architecture urbaine mais bel et bien dans une volonté de s’inscrire dans une dimension globale et faire de Metropolis, une sorte de livre-monde. Et à l’heure du défi du changement climatique et où chaque jour 200 000 habitants, soit l’équivalent de la ville de Toulon affluent dans les villes, le livre de Ben Wilson se referme sur une perspective tout à fait salutaire en pointant, de Seattle à Santander, les ressources, les germes d’un énième renouvellement urbain pour permettre à la ville de demeurer l’épicentre de notre condition humaine. Assurément un livre à posséder dans chaque bibliothèque.
Par Laurent Pfaadt
Ben Wilson, Metropolis, une histoire de la plus grande invention humaine, traduit de l’anglais par Simon Duran Passés composés, 444 p.
L’ancien
procureur près la cour de cassation, François Molins livre ses mémoires dans un
livre profond et sensible
Il
personnifia l’État quand celui-ci vacilla. Il fut le rempart de notre
démocratie contre ceux, fanatiques ou opportunistes, qui voulurent l’affaiblir.
Un homme qui a consacré sa vie à deux causes parmi les plus nobles qui
soient : la justice et la nation.
Voilà
qu’aujourd’hui, l’homme avec toute la discrétion qui le caractérise et qui
façonne ceux qui, dans l’ombre, marquent leur temps, se livre et livre aux
citoyens de ce pays, ses mémoires, ses souvenirs et d’une certaine manière, sa
manière forcément subtile, ses leçons. Il fut des moments où l’homme se trouva
bouleversé comme lorsqu’il pénétra dans le Bataclan ravagé, brisé,
ensanglanté. Un homme qui ressentit plus de plaisir à apprendre qu’une
promotion de l’ENM l’avait choisi, lui, à l’aube de sa retraite, comme parrain
plutôt qu’à œuvrer dans un cabinet ministériel. En se retournant sur ces
quarante-six années passées à la justice, l’homme a le sentiment du devoir
accompli face à une justice qui ne s’est pas laissée domptée mais qu’il a aimé,
profondément.
François
Molins est ainsi. Il y a quelque chose de fascinant chez lui, d’attachant. Un
être d’une grande résolution lorsqu’il s’agit de défendre justice et état de
droit comme il explique à juste titre dans ses mémoires, s’abritant derrière
ces mots – Au nom du peuple français – qui sonnent comme l’épitaphe
d’une statue maniant le glaive et le bouclier. Un homme qui fut l’acteur
imperturbable de notre histoire récente avec ses combats, ses scandales, ses
victimes, ses deuils, du tribunal de Bobigny à l’affaire Cahuzac, du stade
Furiani à Bastia à l’attentat de Charlie Hebdo. Un granit républicain.
Et
un être timide, hésitant. Comme une pierre qui, sous l’effet de l’eau de la
vie, s’altère, inexorablement, entraînant fissures apparentes et souterraines.
Des fissures notamment personnelles, François Molins en connut et le magistrat
revient avec pudeur sur les sacrifices professionnels qu’il imposa à sa
famille. C’est profondément touchant et cela l’humanise un peu plus. Et puis la
politique, le plus puissant des agents corrosifs. L’homme refusa toujours de
faire de la politique. Il fut directeur de cabinet mais ne franchit jamais le
Rubicon du pouvoir. Trop peur de devoir se renier, de ne pas pouvoir revenir en
arrière. Trop peur de ressembler à l’actuel titulaire de la place Vendôme, à
cet ancien avocat devenu procureur de circonstance, et à qui il réserve sa
plaidoirie littéraire la plus acerbe, à qui il oppose un bouclier de papier
pour défendre sa justice. Pourtant il aurait fait un bon politique, un de ceux
qu’on admire, une espèce en voie de disparation. Voilà pour l’érosion.
Le livre refermé, assurément passionnant, un seul mot nous vient à l’esprit comme l’aveu d’un peuple face à l’un de ses plus ardents serviteurs : merci.
Par Laurent Pfaadt
François Molins, Au nom du peuple français, Mémoires, Aux éditions Flammarion, 368 p.
« Dans toute la
noirceur de cette guerre, cela restera gravé dans nos mémoires comme le comble
de la noirceur. Il n’existe rien d’équivalent à cette destruction planifiée et
silencieuse d’une race. […] La race arménienne en Asie Mineure a été de fait
anéantie » écrivait Henry Morgenthau, alors ambassadeur des
Etats-Unis à Istanbul et futur secrétaire au trésor du Président Franklin
Delano Roosevelt.
Ces mots résonnent aujourd’hui
avec une froide pertinence depuis l’invasion du Haut-Karabakh par
l’Azerbaïdjan, les 19 et 20 septembre 2023. Si le conflit a aujourd’hui disparu
de nos écrans de télévisions au profit de l’Ukraine et de Gaza, la situation reste
là-bas très fragile et la crainte d’une invasion du sud de l’Arménie a poussé
cette dernière à intensifier son activité diplomatique notamment vis-à-vis de
la France ainsi que son réarmement.
Dans ces conditions, toutes les
inquiétudes relatives aux dangers encourus par le patrimoine de l’Artsakh se
justifient car le conflit se double bien évidemment d’une guerre mémorielle qui
atteindra, à n’en point douter, les bibliothèques et la culture de ce pays.
D’où l’importance de sensibiliser les lecteurs français à l’histoire et à la
culture arménienne pour qu’ils n’oublient pas que cette dernière a traversé les
âges, des civilisations de l’antiquité à l’Union soviétique en passant par les
premiers temps du christianisme et bien évidemment l’empire ottoman dont la
résurgence impérialiste et nationaliste de la Turquie d’Erdogan laisse craindre
le pire. De la relation forte entre la France et l’Arménie illustrée par le
roman de Franz Werfel et les combats de Missak Manouchian et des FTP-MOI à la
duplicité de la Russie en passant par ce devoir de mémoire qui nous oblige tous
vis-à-vis du premier génocide du 20e siècle, il est temps de pousser
les portes de ce deuxième épisode de bibliothèque arménienne.
Franz Werfel, Les 40 jours du Musa Dagh, Albin Michel
Publié il y a tout juste 90 ans,
alors que les nazis arrivaient au pouvoir et condamnèrent le livre au bûcher, Les
40 jours du Musa Dagh demeure encore aujourd’hui l’un des grands
témoignages littéraires du génocide arménien. Ecrit par Franz Werfel
(1890-1945) qui fut l’ami de Franz Kafka, le roman raconte l’incroyable
sauvetage de plusieurs milliers d’Arméniens réfugiés sur le fameux Musa Dagh
(Mont Moïse) par la marine française. Le lecteur suit ainsi avec passion cette
communauté arménienne emmenée par Gabriel Bagradian et ses amis combattants.
« Chassé de sa terre,
persécuté pour sa fidélité à sa croyance religieuse, le peuple arménien, paril
au peuple juif, a su s’adapter aux incertitudes du présent en demeurant
enraciné dans la mémoire immuable, mémoire collective où la mort elle-même est
vaincue, car le souvenir de la mort y est reçu comme un signe, comme un clin
d’œil de l’éternité » écrit ainsi dans la préface du livre, Elie
Wiesel, prix Nobel de la paix en 1986.
Certaines scènes vous marqueront
à jamais notamment celle de la rencontre entre le pasteur Johannes Lepsius,
bien décidé à sauver les Arméniens, et Enver Pacha, l’un des instigateurs du
génocide. Les 40 jours du Musa Dagh ont ainsi contribué à édifier le
mythe du courage et du martyre arménien. Assurément un classique pour
comprendre l’âme arménienne.
Gaïdz Minassian,
Arménie-Azerbaïdjan, une guerre sans fin ? Anatomie des guerres
post-soviétiques 1991-2023, Passés composés, 368 p.
On aurait tort d’oublier le
Haut-Karabakh, ce territoire grand comme la Haute-Savoie coincé entre l’Arménie
et l’Azerbaïdjan qui se disputent son contrôle depuis près de trente ans. Car,
à bien des égards, nous dit Gaïdz Minassian, plume bien connue du journal Le
Monde, le Haut Karabakh est un volcan.
Un volcan né à la chute de l’URSS
et dont il est devenu l’un des symboles en matière de conflit frontalier
post-soviétique et de rivalités géopolitiques entre Russie, Turquie et Iran. Un
volcan que l’on a peut-être cru gelé mais qui ne fut jamais éteint. Un volcan
qui s’est formé souterrainement depuis 1919 entre massacres, guerres
mémorielles, droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et principe d’intégrité
territoriale. Un volcan enfin sur lequel dansent des dictateurs ayant lu leur
Mackinder, l’un des pères de la géopolitique moderne, et qui voient dans cette
zone allant de l’Ukraine à l’Asie Mineure, une partie du cœur du monde à
contrôler afin d’assurer leur sécurité. Un livre d’histoire mais surtout un
avertissement.
Susanna
Harutyunyan, Le village secret, traduit de l’arménien par Nazik Melik
Hacopian Thierry, Les Argonautes, 224 p.
Voilà assurément un roman qui vous marquera pour longtemps. Susanna Harutyunyan, figure majeure de la littérature arménienne nous fait entrer dans ce village secret niché sur les bords paradisiaques du lac Sevan situé à quelques 1900 m d’altitude. Ici « dans le noir profond se jouait un combat entre les sons de la nature et le silence de l’univers » écrit ainsi Susanna Harutyunyan. Personne ne connaît l’existence de ce village. Seul un homme, Harout, est chargé de sortir et de revenir de ce lieu qui accueille tous ceux qui fuient les convulsions de l’Arménie du début du 20e siècle. Il ramène avec lui des hommes et des femmes qui, cachés, ignorent tout de la position géographique de l’endroit que seuls les serpents peuplaient auparavant. Et gare à ceux qui trahissent le secret, ils sont bannis comme ceux du paradis retournant en enfer.
Une femme magnifique, « d’une
beauté éblouissante » va bouleverser cet équilibre : Nakhchoun.
Venant de Deir ez-Zor, elle est enceinte, victime d’un viol turc. La loi et
l’équilibre du village exigent que l’enfant soit tué. Mais ils sont deux, deux
jumelles à voir le jour. Le village hésite, se divise. L’équilibre est rompu.
Dans ce petit bijou littéraire
traduit magnifiquement en français qui enchevêtrent parfaitement contes
merveilleux, époques successives et portraits inoubliables, Susanna
Harutyunyan construit une sorte d’arche de Noé de pierre taillée dans les
flancs de ces montagnes devenues des personnages à part entière. Un très
grand livre sur l’altérité mais surtout sur la puissance de la vie.
Jean-David Morvan, Thomas
Tcherkézian, Missak, Mélinée et le groupe Manouchian, les fusillés de l’affiche
rouge, Dupuis, 160 p.
Les entrées de Missak et Mélinée
Manouchian au Panthéon sont venues consacrer l’engagement de ces étrangers qui
défendirent la France, notamment ceux venus d’Arménie, renforçant par la même
occasion nos liens infectibles avec l’Arménie.
Cette très belle bande-dessinée
rappelle avec force cette histoire. Elle est signée Jean-David Morvan,
scénariste prolifique qui depuis quelques années s’est spécialisé dans les
sujets historiques qu’il s’agisse de la Première guerre mondiale ou de la déportation.
Il s’est associé pour l’occasion à un jeune dessinateur bourré de talent qui
fera certainement parler de lui à l’avenir,Thomas Tcherkézian. Tous les
deux délivrent un album plein de rythme et de force qui a des airs de comic
book. Cela tombe bien, Missak Manouchian demeurera à jamais l’un de nos super
héros.
Raymond
Kevorkian, Parachever un génocide. Mustafa Kemal et l’élimination des rescapés
arméniens et grecs (1918-1922), Odile Jacob, 412 p.
Il
ne fallait laisser aucun survivant. Non content d’avoir exterminé près d’un 1,1
million d’Arméniens, le pouvoir ottoman puis turc fut bien décidé à traquer et
à tuer tous ceux qui avaient échappé à la mort et aux massacres. C’est l’objet
du livre passionnant de Raymond Kevorkian, l’un des grands spécialistes du
génocide arménien. Dans cette enquête historique, dernière brique d’une oeuvre
de plusieurs décennies de recherches et d’ouvrages, Raymond Kevorkian évoque
ainsi cette question assez peu connue. Car tout ne s’est pas arrêté en 1915,
loin de là.
La
fabrication de l’Etat-nation turc a nécessité le sang de ces minorités
arméniennes surtout mais également grecques et syriaques qui constituaient des
obstacles à l’homogénéisation de ce qui allait devenir la Turquie moderne. A
l’aide d’archives inédites, Raymond Kevorkian montre ainsi la continuité de
cette politique qui traversa les différents régimes qui se succédèrent entre
1918 et 1923. Un ouvrage percutant qui permet également de comprendre la
Turquie d’aujourd’hui.
Archavir Chiragian, La dette de sang, un Arménien traque les responsables du génocide, éditions Complexe, 332 p.
Imaginez le film Munich de Steven
Spielberg qui relate la traque et l’élimination des terroristes responsables du
massacre des athlètes israéliens aux JO de Munich en 1972 et déplacez le un
demi-siècle plus tôt toujours en Allemagne et vous aurez La dette de sang.
Nous sommes en 1921-1922, le
génocide des Arméniens a eu lieu quelques années plus tôt ordonnés par les
dirigeants d’un empire ottoman qui n’existe plus. Ces derniers ont trouvé
refuge en Allemagne, en Géorgie ou à Rome. Dans les rues de Berlin des hommes
rôdent, prêts à se venger. Ils ont organisé l’opération Némésis, du nom de la
déesse grecque de la vengeance. Archavir Chiragian fut l’un des hommes de cette
opération. Il nous relate cette dernière que l’on suit pas à pas sur les traces
de Fatali Khan Khyski, président du conseil des ministres de la république
d’Azerbaïdjan et de Talaat Pacha. Un livre qui se lit comme un thriller.
Hans-Lukas
Kieser, Talaat Pacha, l’autre fondateur de la Turquie moderne, architecte du
génocide des Arméniens, traduit de l’allemand par Ulubeyan Gari, CNRS éditions,
616 p.
De
Talaat Pacha, il en est justement question dans cette biographie passionnante.
L’historien allemand Hans-Lukas Kieser dresse le portrait de celui qui fut, en
tant que Grand Vizir, l’un des maîtres de l’empire ottoman finissant mais
également en tant que ministre de l’intérieur, l’architecte du génocide
arménien.
Le
livre récompensé par les trophées littéraires des Nouvelles d’Arménie
2024 avance en clair-obscur. Côté lumière, il montre un homme
défendant une conception de la nation qui le place clairement comme un
précurseur de Mustapha Kemal. Côté ténèbres, Hans-Lukas Kieser s’attarde sur
l’élaboration du génocide des arméniens au nom d’un nationalisme meurtrier qui,
lui-aussi, allait s’avérer précurseur, en annonçant ces génocides à venir
quelques vingt ans plus tard. Un nationalisme qui déjà bénéficia de complicités
actives et passives de certains voisins de l’empire ottoman.
The
Gurdjieff Ensemble, Levon Eskenian, Zartir, ECM label
Georges
Gurdjieff (1872-1949) fut un mystique, philosophe et compositeur arménien qui
développa une méthode développement de soi visant à atteindre un état de pleine
conscience baptisé la Quatrième voie, que l’on peut rapprocher du
soufisme etpeut trouver des formes musicales.
Le titre du troisième album de Levon Eskenian et son ensemble Gurdjieff, Zartir tire son nom d’une chanson populaire arménienne, Zartir lao qui appelle à la lutte contre les Turcs. S’il s’inspire moins de la philosophie Gurdjieff, ces nouvelles compositions qui donnent la part belle aux danses sacrées relèvent plutôt des bardes traditionnels arméniens qui sillonnèrent le pays. La musique de Levon Eskenian avec sa dimension ésotérique qui semble venir du fond des âges attrape immédiatement son auditoire. Elle puise, avec ces magnifiques duduk, dans quelque chose d’ancestral qui touchera l’âme de chacun. Quelque chose de féerique qui semble sortir d’un conte, d’une histoire mille fois racontée et comme échappée d’une bibliothèque où se mêle savoir, croyances et cette langue unique.