Archives de catégorie : Musique

Printemps musical italien

Pavia
© Sanaa Rachiq

En tournée en Italie, le
Chamber Orchestra of Europe a une nouvelle fois fait
rayonner son talent

A bientôt 35 ans – ce qui est
relativement jeune pour un
orchestre – le Chamber
Orchestra of Europe a conservé tout son allant et toute sa fougue. De passage dans son Italie chérie, à Pavie où il donna l’un de ses premiers concerts en 1981 puis à Ferrara qui est un peu sa deuxième maison, l’orchestre s’était choisi pour l’occasion un chef italien, Antonio Pappano, qui officie au Royal Opera House de Londres et un programme
(Mozart, Strauss, Fauré et Bizet) qui sentait le printemps.

Tout commença avec un orage, c’est-à-dire avec la 25e symphonie en sol mineur de Mozart immédiatement reconnaissable en raison de l’utilisation qu’en a fait Milos Forman dans Amadeus. Grâce à la conduite inspirée et fougueuse de Pappano, l’orchestre a fait
résonner son incroyable palette de couleurs musicales. Laissant
parfaitement dialoguer les cordes dans l’andante puis les bois dans le menuet, le chef a ainsi installé une tension tragique dans laquelle chaque musicien s’est parfaitement inséré.

L’orchestre était ainsi prêt à accueillir dans son chaudron, François Leleux, hautboïste international, pour un concerto de Strauss de toute beauté. Accompagnant parfaitement l’écriture musicale si
typique de Richard Strauss, Leleux a magnifiquement composé une interprétation avec cet orchestre qu’il connaît si bien pour en avoir été le hautbois solo. Sa complicité avec les bois n’en a été que plus magique et a créé une émotion et une intensité qui se répandit dans tout l’orchestre. Mais les spectateurs n’étaient pas au bout de leurs surprises puisque le Chamber Orchestra of Europe s’est alors
métamorphosé en orchestre baroque le temps d’un bis, celui d’une cantate de Pâques de Jean-Sébastien Bach, sorte d’hommage amoureux de Leleux et de l’orchestre à Nikolaus Harnoncourt, l’un des chefs préférés du COE, disparu quelques semaines auparavant.

L’entracte ne changea rien car avec la Pavane de Gabriel Fauré, le rêve se prolongea grâce à des clarinettes, des flûtes, des cors et des bassons très en verve ce soir-là. Tout était prêt pour le clou du
spectacle, la symphonie en ut de Georges Bizet. Dans cette œuvre de jeunesse qui rappelle le romantisme d’un Mendelssohn, Antonio Pappano mena son attelage avec brio sans se laisser aller à la facilité. Un rythme soutenu porté par les trompettes et les hautbois a rendu d’emblée l’interprétation vivante avant que ce dialogue printanier ouvert dans Mozart ne reprenne de plus belle entre le cor et tantôt les cordes, tantôt les flûtes puis, dans le second mouvement, entre les violons et les violoncelles rappelant ainsi que le printemps est aussi la saison des amours. Ne restait plus à Pappano qu’à conduire ce quadrige de mars sur le champ du succès.

Laurent Pfaadt

Mendelssohn, la symphonie parisienne

Incroyable intégrale des symphonies de Mendelssohn

© The Gatsby Charitable Foundation
© The Gatsby Charitable Foundation

Il s’agissait des concerts à ne pas
rater en ce début d’année à la
Philharmonie de
Paris. Après une formidable intégrale des symphonies de
Robert Schumann, le couple désormais bien rodé Yannick Nézet-Séguin/ Chamber Orchestra of Europe s’était donné rendez-vous dans cette magnifique pour une intégrale des symphonies de Félix Mendelssohn.

On a tous en tête quelques airs de la troisième symphonie écossaise et de la quatrième italienne mais cette intégrale a permis au public de découvrir des pans entiers de la musique symphonique de ce musicien, de ce génie mort à 38 ans et qui annonça dans ses mélodies Wagner ou Bruckner. Et avec le chef d’orchestre québécois Yannick Nézet-Séguin, l’association a pris des airs de triomphe.

Entendre un orchestre de chambre, c’est voyager dans la musique à la découverte des différentes familles d’instrument. Et dans ce voyage, quel merveilleux vaisseau que celui du COE ! Chaque musicien écoute son voisin, le respecte, le complète. La clarinette dialogue merveilleusement avec le basson dans le dernier mouvement de la Troisième, les cordes sont oppressantes sans être omniprésentes dans la seconde, les seconds violons répondent majestueusement aux premiers dans la quatrième. A cela s’ajoute les mains de Nézet-Séguin qui tantôt tempèrent, tantôt exaltent. Il sait tirer le meilleur des musiciens pour le restituer dans une vision globale qui convainc immédiatement. Le résultat est ainsi prodigieux. Les bois sont sublimés à l’image de la flûte de Clara Andrada, petit oiseau niché dans ces arbres musicaux et qui coure le long du troisième mouvement de l’Italienne avant de guider l’orchestre dans ce troisième mouvement transformé en hymne de la cinquième symphonie dite Réformation.

Si les anciennes intégrales manquaient peut-être de couleurs, les spectateurs ont été plus que comblés par ces interprétations. Car, dans ces symphonies, on y danse souvent. Nézet-Séguin a eu la bonne idée de transformer l’énergie du COE en une danse permanente qui traverse l’ensemble des symphonies, allant même jusqu’à une forme de furiant dans le dernier mouvement de la Première ! Et puis, on y chante car l’autre grande découverte de cette intégrale est cet incroyable oratorio inséré dans la seconde symphonie et qui a résonné d’une beauté toute solennelle, mystique grâce au RIAS Kammerchor qui agit telle une mer avec ses reflux.

Le son ainsi produit se faufile dans une sorte de jeu permanent et ne prend jamais l’aspect d’une course à l’abîme que tant de chefs impriment aux symphonies de Mendelssohn, cantonnées trop souvent à leur seule dimension romantique. Nézet-Séguin ne l’occulte pas, bien au contraire, et quand il fait jouer les cordes dans cette magnifique cinquième symphonie qui devrait rester comme la plus aboutie au disque, c’est pour mieux mettre en lumière le caractère absolument novateur de Mendelssohn qui a su capter l’héritage des anciens pour le projeter dans une forme d’expérimentation.

Cette intégrale a bel et bien été l’occasion d’un voyage musical à
travers l’Europe. Pour ceux qui auraient manqué ces concerts
d’anthologie, le label Deutsche Grammophon a eu la bonne idée d’enregistrer cette intégrale qui permettra à tous de redécouvrir cette pléiade de génies réunis.

Laurent Pfaadt

Yannick Nézet-Séguin

« Apporter chaque monde à l’autre »

Yannick NŽzet-SŽguin Photo: Marco Borggreve
Yannick NŽzet-SŽguin
Photo: Marco Borggreve

Yannick Nézet-Séguin est aujourd’hui à 40 ans, l’un des chefs d’orchestre les plus doués et les plus demandés de la planète.
Directeur musical des Orchestres Philharmoniques de Philadelphie et de Rotterdam, régulièrement invité au Metropolitan Opéra de New York et du Chamber Orchestra of Europe (COE), il a présenté à la tête de ce dernier, à la Philharmonie de Paris, une intégrale des symphonies de Mendelssohn.

 

Quel est votre rapport à la musique de Mendelssohn ?

J’ai toujours beaucoup aimé sa musique symphonique sans l’avoir trop joué. C’est vrai que l’on dirige surtout l’Italienne et l’Ecossaise et un peu la Réformation mais je voulais voir de quelle manière le son unique du Chamber Orchestra of Europe pouvait apporter quelque chose à ma vision de ces symphonies. De plus, il manque des intégrales de Mendelssohn même s’il y a bien entendu celles de
Masur avec Leipzig et d’Abbado avec le London Symphony Orchestra. Je crois qu’il y avait donc une place pour une nouvelle vision avec le bagage musical du COE.

Y a-t-il une différence à jouer ces symphonies avec un orchestre de chambre ?

Bien sûr. D’abord la taille de l’orchestre qui donne une approche
différente même si j’essaie d’appliquer partout cette approche chambriste même lorsqu’elle inclue cent personnes sur scène. Deux éléments font également la différence : d’abord la quantité de cordes par rapport aux vents qui, automatiquement, donne une présence aux bois et au détail de l’orchestration. Et puis, il y a la culture musicale des membres du Chamber Orchestra of Europe, très influencée par le baroque ou le classicisme.

Le public va également découvrir des symphonies méconnues
notamment les 2é
me et 5éme ?

Tout à fait. Curieusement, Mendelssohn était très content de sa
seconde et très mécontent de sa 5e. Il est mort très jeune et n’a pas eu la distance pour retravailler ses idées mélodiques géniales. Mais il a emmené sa musique vers la modernité notamment dans cette cinquième symphonie visionnaire. A chaque fois qu’on joue cette dernière, il y a comme une émotion qui s’installe. L’Italienne est une bouffée de chaleur, l’Ecossaise est la plus profonde, plus pesante tandis que la Première est une Sturm und Drang très bien faite. J’ai donc essayé dans cette intégrale de les différencier, de les polariser tout en montrant qu’elles appartiennent à un tout.

Opéras, orchestres de chambre et orchestres symphoniques, ce va-et-vient vous est-il nécessaire ?

C’est ce qui fait que j’existe comme musicien, être capable
d’apporter chaque monde à l’autre. Plus j’avance dans ma vie de
musicien et plus je trouve que c’est essentiel pour les orchestres. Je dirais même que si on ne fait que de la musique symphonique, on aura tendance à dénaturer la nature même du répertoire symphonique car l’idée même de respiration, d’être dans l’écoute, d’être dans le moment, d’être dans la musique de chambre disparaîtra au profit d’une rigueur qui deviendra vite une rigidité.

Interview Laurent Pfaadt

Lang Lang secoue l’auditorium

LangLangConcert renversant du prodige chinois 

Véritable star de la musique classique, Lang Lang était à Bordeaux pour un concert exceptionnel. Le prodige chinois qui a dédié son concert aux victimes des attentats de Paris présentait un programme où se côtoyaient quelques-uns des plus grands génies du piano,Tchaïkovski, Bach et Chopin que le soliste a gravé sur CD au printemps dernier (Sony Classical).

Avec les Saisons du compositeur russe, Lang Lang a attaqué tambour battant avec des rythmes déconcertants frisant parfois le jazz. Un carnaval enlevé, une chasse oppressante, le pianiste a très vite imprimé sa marque en faisant état de son incroyable technique qui fait de lui l’une des solistes les plus doués de sa génération. Seulement interpréter n’est pas jouer et le prodige, malgré quelques rares moments de grâce notamment dans la troïka a souvent été emporté par sa fougue même s’il convient de rappeler que le programme était tout sauf une berceuse.

Si le brio s’est fait un peu attendre, le public a ensuite été plus que servi. Avec Bach, Lang Lang a pu mettre son incroyable énergie au service du concerto italien qui exige rythme et précision. Dans cette œuvre qui se veut un hommage du kantor à Vivaldi, le pianiste avança presque en terrain conquis avec une déconcertante facilité alors que nombreux ont été ceux qui ont buté devant la difficulté de la partition. Passant aisément d’un rythme percutant qui permit l’exaltation du brio à un second mouvement andante qui constitua à n’en point douter l’apothéose de cette soirée, Lang Lang emporta une salle déjà conquise.

Restait au prodige de porter l’estocade avec Chopin et ses Scherzos, ces pièces que le pianiste Alfred Cortot a comparé à des danses enfiévrées. Lang Lang a suivi à la lettre la consigne du compositeur c’est-à-dire con fuoco, avec feu. Lang Lang était là dans son élément, laissant exploser sa puissance extraordinaire qui se combina à merveille avec le rythme enlevé, presque diabolique de ces pièces notamment dans les staccatos.

On retrouva l’extraordinaire interprète de Chopin que Lang Lang a toujours été, entrant à chaque fois avec émotion et intensité dans cette noirceur chopinienne.

Le pianiste, emporté par sa fougue, mit un certain temps à s’en
remettre, et acclamé par un public ravi, venu assister aussi bien à un concert qu’à une performance, il lui offrit un bis. Le feu coulait
encore dans ses doigts lorsqu’il délivra la gymnopédie de Satie.
C’était le feu sacré du génie….

Laurent Pfaadt

Un Schumann endiablé

COE © Werner Kmetisch
COE © Werner Kmetisch

Le compositeur allemand était à l’honneur de
plusieurs concerts au Concertgebouw
d’Amsterdam 

On aurait bien volontiers donné notre âme au diable pour assister à un concert dans cette salle mythique de la musique européenne. On ne compte plus les compositeurs, chefs et autres solistes qui sont passés par cet endroit et y ont laissé un souvenir
impérissable. C’est le cas notamment de Bernard  Haitink,  chef de légende qui a longtemps présidé aux destinées du Royal
Concertgebouw d’Amsterdam et qui revient sur les terres de ses exploits d’antan à la tête de l’un de ses orchestres favoris, le Chamber Orchestra of Europe et son timbre si brillant et rafraîchissant.

Les grands orchestres ont tendance soit à ménager Schumann, soit à en faire un monstre rugissant. Rien de tout cela avec le COE dont on a encore à l’esprit l’interprétation singulière des symphonies de Schumann au côté de Nézet-Seguin et gravé sur le disque (DG, 2014). Avec l’Ouverture, Scherzo et Finale, pièce rarement jouée, l’orchestre a délivré un Schumann incisif qui a su parfaitement traduire cette angoisse romantique qui animait le compositeur. Sorte de cheval lancé dans la nuit, il a fallu toute la maîtrise d’Haitink pour éviter qu’il ne s’emballe.

Isabelle Faust n’a pas hésité un seul instant lorsqu’elle s’est agie de conclure un pacte avec ce diable de Schumann. Le concerto pour
violon composé en 1853 pour Joseph Joachim ne compte pas forcément parmi les grands réussites du compositeur mais la soliste a montré, après l’avoir gravé sur le disque, que la magie de la musique peut parfois venir à bout de tous les a priori. Entrée tout en douceur dans la pièce, Isabelle Faust traversa avec brio ce concerto, dialoguant notamment tendrement avec les vents. Puis, dans le second mouvement frissonnant de beauté, la soliste est soudain devenue le prolongement de l’orchestre qui, sous la baguette de son chef inspiré, à absorber ce souffle magnifique pour le restituer de la plus belle des manières.

Cet envoûtement devait trouver son apothéose sur le Rhin avec la troisième symphonie dite rhénane du maître de Zwickau. Avec
Haitink, ça sonne juste. Il n’y a pas d’emphase, pas de violence. Juste un sentiment de puissance rassurante où les équilibres sonores sont maintenus et exaltés. Ainsi, en laissant respirer les vents qui peuvent donner toute leur mesure, les cordes impriment un rythme qui alterne au gré des reflux du fleuve, tantôt joyeux comme dans le final du 2e mouvement, tantôt tumultueux. Le 3e mouvement, d’une incroyable beauté, sonnait comme le destin d’une histoire oubliée qui nous était contée.

Un final tout en contrastes acheva de prolonger un sortilège qui fit longtemps son effet.

Laurent Pfaadt

Zimerman se joue de nos émotions

Récital éblouissant de Zimerman à Luxembourg

© François Zuidberg
© François Zuidberg

Assister à un concert de Krystian Zimerman, pianiste polonais comptant parmi les plus grands virtuoses de  la planète, est toujours un moment unique. Preuve en fut une nouvelle donnée lors du concert du 26 octobre 2015 à la Philharmonie de Luxembourg dans le cadre du festival de la ville. Dans cet écrin musical dont l’acoustique exceptionnel n’est plus à démontrer, le virtuose, vainqueur du concours Chopin en 1975, débuta avec les Sieben leichte variationen de Franz Schubert. La joie enfantine qui se dégagea de l’interprétation donna le ton. Celui d’une soirée qui s’annonçait exceptionnelle.

Mais avec les deux dernières sonates de Schubert, écrites l’année même de la mort du compositeur, Zimerman bascula dans une autre dimension. Dans la 20ème, la magie de son doigté nous transporta hors du temps. C’est comme s’il nous racontait une histoire où la musique se confond avec la voix de Schubert. La plainte majestueuse qui ouvre l’andantino fut merveilleuse. Le pianiste y mit toute sa passion jusqu’à cet orage qui referme le mouvement et qui lui fit crisper sa main gauche, cette même main qui nous guida dans cette 21ème sonate qu’il sublima grâce à l’octave de sol du premier thème.

On est bel et bien au-delà du piano. Car Zimerman ne délivre pas une interprétation, il relie musicalement le compositeur à notre époque, en traversant d’un éclair le temps et les époques. La 20ème résonnait parfois comme le mot d’adieu d’un compositeur trop tôt disparu tandis que la 21ème et son scherzo virevoltant se transformaient en un tourbillon mélancolique. Plus qu’un simple virtuose, Zimerman est un passeur incroyable. La passion qu’il met dans chaque note se transmet immédiatement à la salle qui perçoit alors tout le génie de l’œuvre qui émane de ce piano qui accompagne Zimerman sur les scènes du monde entier.

Cette douceur magnifique qui enveloppa ces deux sonates rappelle, à l’instar d’un Radu Lupu ou d’une Maria João Pires, que la puissance n’est pas gage de talent. En tout cas, il y avait bien plus que du talent ce soir là. Il est fort à parier que les spectateurs de la Philharmonie se souviendront longtemps de ce concert.

Laurent Pfaadt

Une saison royale

Gimeno © Johan Sebastian Haenel
Gimeno © Johan Sebastian Haenel

La nouvelle saison de l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg sera très attendue

Un nouveau chef, une salle à l’écoute incomparable, des orchestres invités prestigieux, des chefs extraordinaires, des solistes de légende. Tout concourt à faire de cette saison l’un des grands millésimes de cet orchestre qui fêtera cette année ces 82 printemps. Au sein de cet écrin qu’est la Philharmonie du Luxembourg dont tout le monde s’accorde à dire qu’il s’agit acoustiquement de l’une des meilleures salles d’Europe, Gustavo Gimeno, ancien percussionniste du Royal Concertgebouw d’Amsterdam, fera ses grands débuts le 24 septembre prochain à la tête de l’OPL. Toute histoire a un commencement et le nouveau chef ouvrira les portes de sa carrière à la tête de l’OPL par les premières symphonies de Mahler (24/09), de Schuman (22/10), de Bruckner (02/06), de Beethoven et de Chostakovitch (15/01/16). Le maestro complètera cette série par la 4e symphonie de Tchaïkovski (03-04/03) et le Requiem de Verdi (24-25/03).

L’Orchestre Philharmonique de Luxembourg n’oubliera pas son ancien chef, Emmanuel Krivine, qui viendra diriger un programme Wagner le 29 avril 2016, succédant ainsi à Eliahu Inbal (29/01) et à l’un des plus talentueux chefs de la planète Andris Nelsons, qui l’accompagnera dans une septième de Mahler (10-11/03) qui s’annonce d’ores et déjà très prometteuse. Le chef letton sera d’ailleurs un habitué de cette saison puisqu’il viendra avec son orchestre, le Boston Symphony Orchestra (12/05) et le Lucerne Festival Orchestra (11/11), pour des soirées palpitantes. Les spectateurs seront assurément emportés par le tourbillon des orchestres qui feront résonner leurs sublimes sons et leur diversité musicale entre les cuivres rutilants du San Francisco Symphony Orchestra (12/09) ou du Cleveland Orchestra (16/10), le son velouté du London Symphony Orchestra (11/04) en passant par la précision ciselée du Royal Concertgebouw Orchestra (03/02) ou de la Staatskapelle de Berlin (05/09). Entre ces monuments se glisseront le pétillant Simon Bolivar Symphony Orchestra of Venezuela, l’éclatant Chamber Orchestra of Europe (17-18/02) dans un programme Mendelssohn et le grandiose Ensemble et Chœur Balthasar Neumann (07/12) qui fera redécouvrir le Magnificat de Zelenka où l’émotion sera assurément au rendez-vous.

Pour accompagner ces merveilleux orchestres, tout ce que la direction d’orchestre fait de mieux sera présente dans le Grand-Duché : Nézet-Séguin, Gergiev, Rattle, Dudamel, Nelsons, Baremboïm illumineront de leur présence la Philharmonie. Celle-ci résonnera également du génie des plus grands solistes. Ainsi, Nelson Freire, Hélène Grimaud, Anne-Sophie Mutter, Isabelle Faust, Grigori Sokolov ou Krystian Zimerman y laisseront leur empreinte. De nouveaux talents seront à découvrir tel Patricia Kopatchinskaja dans le concerto de Brahms (12/12). Les grandes voix ne seront pas en reste avec Rolando Villazon, Philippe Jaroussky, Cécilia Bartoli, Anja Harteros, l’extraordinaire basse Ildar Abdrazakov ou Magdalena Kozena qui accompagnera la grande pianiste japonaise Mitsuko Uchida (07/10) dans les merveilleux Chants d’amour de Dvorak qui constituera l’un des moments forts du Luxembourg Festival (07/10-25/11) avant que les Rainy days (24-29/11) n’explorent l’univers d’Alfred Hitchcock et de la musique expérimentale notamment celle de Stockhausen en compagnie de Pierre-Laurent Aimard.

Que les mélomanes et les novices se rassurent : cette saison aura bien une fin. Mais vous en ressortirez transformés.

Retrouver toutes les informations sur la saison de l’OPL sur : https://www.philharmonie.lu/fr/opl

Laurent Pfaadt

La tempête Sokolov

SokolovConcert magistral de l’un des plus grands pianistes vivants

La Quinzaine Musicale de San Sébastian réserve toujours des surprises et en ce 10 août, celle-ci fut de taille. On savait pertinemment qu’un concert de Grigori Sokolov ne ressemblait à rien d’autre mais on ne s’attendait pas à un tel choc.

Sous les dorures du théâtre néo-renaissance Victoria Eugenia, le pianiste russe qui a l’habitude de ne jamais dévoiler son programme à l’avance, débuta par la partita°1 en si bémol majeur de Jean-Sébastien Bach. Il faut dire que l’on n’avait pas entendu cette pièce interprétée ainsi depuis bien longtemps. Le pianiste construisit lentement son édifice personnel, embarquant l’auditeur dans un voyage musical totalement déconcertant où le rythme hallucinant de l’allemande n’eut de beauté que cette sarabande qui restera certainement dans toutes les mémoires. En guise de conclusion, la gigue exprima une joie de vivre qu’éprouva très certainement – malgré l’image de sévérité qui lui colle à la peau – Jean-Sébastien Bach.

Si les programmes des concerts de Sokolov peuvent parfois apparaître déroutant en mêlant pièces baroques et romantiques, ces dernières ne servent en fait qu’à construire l’atmosphère de son univers pianistique dans lequel le pianiste entraîne jusqu’à l’ivresse des auditeurs comblés. Preuve en fut une nouvelle fois avec la sonate n°7 de Beethoven dans laquelle il laissa exploser toute la passion du jeune compositeur, étendant le tempo du second mouvement jusqu’à la rupture. En alternant férocité et sensibilité, Sokolov fit monter une émotion qui nous a bouleversés.

Déjà bien éprouvé, le spectateur n’était pas au bout de ses émotions car la sonate en la mineur de Schubert fut un choc. Avec Sokolov, cette musique raconte une histoire, elle évoque un destin, une époque et traduit parfaitement ce sentiment de nostalgie libéré de toute forme de regret ou de tragédie. Grâce à son toucher si exceptionnel, celui qui remporta le concours Tchaïkovski en 1966 à 16 ans seulement, délivra une partition d’une générosité rare. Revenant à quatre reprises pour offrir à un public ravi d’autres moments de communion et de bonheur, Grigori Sokolov prouva que la musique n’est pas jouée pour être écoutée mais bel et bien pour être aimée.

A écouter : Grigori Sokolov, the Salzburg Recital,
Deutsche Grammophon, 2015

Laurent Pfaadt

Passages de témoins

© Franca Pedrezetti, Festival de Lucerne
© Franca Pedrezetti, Festival de Lucerne

De jeunes orchestres
dirigés par des chefs
expérimentés :
les merveilleuses surprises de Lucerne

Le festival d’été de Lucerne est toujours le lieu d’incroyables rencontres musicales entre des répertoires, des interprétations, mais surtout entre ces générations de musiciens qui ont écrit l’histoire de la musique au XXe siècle et continueront de la façonner au XXIe siècle. Ainsi les concerts des 22 et 23 août 2015 ont permis à de jeunes musiciens d’apprendre de chefs de légende et pour ces derniers, de mesurer combien la musique évolue et se transforme.

Habitué à diriger le Chamber Orchestra of Europe, orchestre dont il est l’un des membres d’honneur, Bernard Haitink a construit depuis longtemps une relation de confiance faîte d’échanges réciproques avec les musiciens. Cette complicité fut immédiatement perceptible dans la symphonie inachevée de Franz Schubert où Bernard Haitink conduisit le Chamber Orchestra of Europe dans une profondeur inouïe portée notamment par des vents sublimes et des cordes très affutées.

Le chef, aidé de la magnifique Maria Joao Pires, a ensuite fait rayonner l’orchestre dans le 23e concerto de Mozart. Interprétant ce dernier comme personne, la pianiste portugaise au touché si velouté nous a transporté dans un rêve surtout dans cet adagio où l’osmose avec l’orchestre fut totale, la pianiste répondant avec douceur et émotion aux appels émis par ce dernier. Interprétée de cette manière, la musique de Maria Joao Pires vous touche au cœur et vous bouleverse. Et lorsqu’elle est accompagnée par le COE, cela créée des moments uniques. La soirée s’acheva avec la symphonie Jupiter où l’expérience et la fraîcheur ont été rendus possibles par les cordes électrisantes de l’orchestre. Cette interprétation rappelle que les symphonies de Mozart ne s’apprécient qu’en concert même si le COE a gravé avec Harnoncourt l’une des plus belles versions (1991).

Le lendemain, les jeunes musiciens de l’orchestre Gustav Mahler avaient rendez-vous avec Herbert Blomstedt, chef très apprécié des orchestres. A 88 ans, le chef suédois naturalisé américain n’a rien perdu de sa superbe, surtout lorsqu’il dirige Bruckner. Celui qui veilla à la destinée de l’orchestre symphonique de San Francisco et de la Staatskapelle de Dresde emmena cette jeune phalange dans cette grande cathédrale qu’est la 8e symphonie.

Blomstedt a su parfaitement canaliser la fougue de cette jeunesse qui ne demandait qu’à s’exprimer tout en les libérant du poids écrasant de sa stature de chef pour créer de magnifiques pages orchestrales tout en nuances. Transformant les cordes en un puissant vent dans le premier mouvement puis distillant avec intelligence le hautbois, les cuivres, la clarinette ou la harpe dans un dialogue harmonieux avec l’orchestre, Blomstedt donna une réelle épaisseur à cette symphonie.

L’architecture musicale d’une monumentalité rarement atteinte dans le répertoire symphonique a été parfaitement exploitée par Blomstedt qui, lorsqu’il dirige Bruckner, se transforme en conteur de ces vieilles légendes germaniques. Le chef fit l’orchestre un véritable être vivant que l’on sent respirer, haleter et nous emporta dans l’une des plus belles codas de la musique où le mysticisme brucknérien est porté à son paroxysme. L’émotion figea la salle qui, retenant son souffle, suivit la course de la baguette du chef avant de lui réserver une standing ovation méritée.

Laurent Pfaadt

Dans les plaines musicales d’Europe centrale

© Ivan Maly
© Ivan Maly

Le Chamber Orchestra of Europe triomphe à Bordeaux

Bien des exemples ont montré que l’addition de talents ne conduit pas toujours à l’excellence. Cela ne semble pas être le cas du Chamber Orchestra of Europe, orchestre itinérant fondé par Nikolas Harnoncourt et Claudio Abbado, qui a montré, une fois de plus, sa maîtrise parfaite d’un répertoire allant de Mozart à la période contemporaine. Composé de musiciens venus de prestigieux orchestres européens et de traditions musicales différentes, le COE démontre à chaque concert toute sa plasticité. C’est d’ailleurs cette ouverture d’esprit, ce dialogue musical interne permanent qui prévalait à sa création et qui attire les meilleurs solistes et les plus grands chefs de la planète.

Lors de cette étape bordelaise – qu’il retrouvera d’ailleurs en mai 2016 – la baguette était tenue par un fougueux cavalier, le chef russe Vladimir Jurowski, connu pour ses tempii rapide tandis que le soliste n’était autre que Radu Lupu.

Alternant pièces célèbres et découvertes, c’est à un voyage en Europe centrale que nous ont convié l’orchestre et son chef. Assurément, le double concerto pour cordes, piano et timbales de Bohuslav Martinu fut une découverte pour de nombreux spectateurs. Influencé par Roussel, l’œuvre d’une beauté stupéfiante, virevoltante est à la fois un concerto grosso, une sonate conduite en cela parfaitement par Helen Collyer, une messe et une marche funèbre. Mené par un superbe John Chimes, percussionniste tout jeune retraité de l’orchestre symphonique de la BBC, ce concerto fut une sorte de rivière furieuse oscillant au rythme des courants.

Un changement de piano plus tard et voilà que paraît le dernier empereur de cet empire Habsbourgeois de la musique, Radu Lupu. Ce fut réellement un grand moment de musique pour tous ceux qui assistèrent à ce 24e concerto de Mozart. Fascinant devant tant de détachement, la magie de Radu Lupu a éclairé cette soirée et a prouvé à cette jeune génération de pianistes qui maltraite tant de pianos que la douceur du toucher reste, quand elle est dispensée par les meilleurs, le plus bel hymne à la musique. Car, véritablement, dans ce dialogue qu’il a entretenu avec l’orchestre et ses merveilleux hautbois, flûte et bassons mais également avec Mozart lui-même, utilisant parfois sa main gauche comme pour dire au maître « Non, pas trop vite, attends encore un peu », c’est Amadeus lui-même qui écoutait Lupu.

Il fallait bien un entracte pour se remettre de nos émotions. Mais les musiciens du COE n’avaient pas fini de nous étonner notamment les vents et les cuivres avec cet incroyable sextuor de Janacek plein de vie. Il faut dire que les musiciens ont payé de leur personne, transmettant cette joie pleine d’allant. Truculent à souhait, l’œuvre dessine une palette colorée où certains instruments souvent noyés dans le tumulte de l’orchestration se révèlent pleinement. Ainsi en fut notamment de la clarinette basse dont le fabuleux duo avec le basson nous a transporté dans un imaginaire qui n’était pas loin du carnaval des animaux.

Il restait à Vladimir Jurowski à clore cette soirée avec la symphonie Prague qu’il conduisit comme une marche triomphale, avec un lyrisme tel qu’il emporta l’adhésion d’un public déjà convaincu et qui, à n’en point douter, avait déjà pris date avec ce chef et cet orchestre.

Laurent Pfaadt