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L’esthétique de la résistance

D’après Peter Weiss

Pour la promo 47 de L’Ecole du TNS, c’est le spectacle de sortie de ce lieu où ils ont étudié et se sont formés pendant ces trois dernières années et c’est le spectacle qui marque leur entrée dans la vie professionnelle. 


©Jean-Louis Fernandez

Leur choix s’est porté sur une œuvre majeure de notre époque, un pavé sur le plan de l’édition, (900 pages chez Klincksieck 1917) de l’auteur allemand Peter Weiss (1916- 1982 réfugié en Suède pour fuir le nazisme) intitulé « L’esthétique de la résistance », roman en trois parties, éminemment politique. 

Sous la direction du metteur en scène Sylvain Creuzevault, dont nous avons vu en 2022 sa mise en scène des « Frères Karamazov », les jeunes comédiens ont relevé brillamment le défi d’adapter ce gigantesque ouvrage qui exige de donner, au cours de la même soirée, trois représentations d’affilée correspondant aux trois parties du roman. Quatre acteurs de la compagnie « Le Singe » dirigée par Sylvain Creuzevault ont été requis pour les soutenir, Vladislav Galard, (Peter Weiss) Boutaïna El Fekkak,( la mère de Coppi) Arthur Igual ( le père du narrateur),  Frédéric Noaille.(Jajob Rosner)

Pour nous introduire dans ce spectacle qui évoquera l’histoire au regard des idéologies communistes et du fascisme entre 1937 et 1945, une présentation très ludique permet de se familiariser avec le personnage du Narrateur (Gabriel Dahmani), né en 1917, aide magasinier chez Alfa Laval puis aide monteur, licencié en 1937. On le suivra tout au long de ce périple aux multiples rebondissements qui mettent en évidence que la lutte des classes n’a cessé de se heurter à la répression et s’est épuisée souvent dans des conflits internes conduisant à l’élimination des plus engagés.

Avec les jeunes comédiens, nous arpenterons les chemins chaotiques du mouvement ouvrier, leur conviction n’a eu de cesse de nous les faire parcourir sans concession, ni ménagement, d’une manière si véridique qu’elle fut bouleversante.

Les idées dominantes de l’ouvrage irriguent la représentation dont le ton reste à la gravité qui s’impose lors des divergences, des querelles politiciennes qui émaillent ce récit et ont mis à mal l’espoir de voir naître et s’opérer la révolution. De longues et épineuses discussions surgissent à propos de leurs engagements, les uns tenants de la social-démocratie, les autres du parti communiste.

Un autre thème central de cet ouvrage porte sur la culture. On y entre d’emblée avec la représentation de la fresque monumentale de Pergame représentant une gigantomachie, la victoire des Dieux conduit par Zeus sur les Géants. Datant de 197 à 159 av. JC, ce chef d’œuvre de la sculpture grecque, détruit au Vie siècle, fut redécouvert par un ingénieur allemand. Après d’âpres négociations avec l’Empire Ottoman en déclin, il sera acquis par les Allemands qui lui dédieront un musée à Berlin.

C’est là que se retrouvent en septembre 1937 trois des protagonistes de l’histoire, le Narrateur, sur le point de partir pour l’Espagne,  le jeune Heilmann(Yannis Bouferrache) en costume  des Jeunesses hitlériennes pour dissimuler  ses opinions contre le régime nazi et Coppi (Harneza El Onari).Cette fresque  décrite avec minutie et qui  célèbre la victoire des puissants  les met en demeure de se poser des questions fondamentales  sur qui est en mesure d’apprécier les œuvres d’art  et entraîne  une réflexion  sur la nécessité d’acquérir  connaissances et culture pour être capable d’analyser les situations politiques  dans lesquelles les plonge l’arrivée du fascisme et les dangers  qu’ils courent à s’y opposer., bien décidés qu’ils sont à suivre pour cela des cours du soir malgré la fatigue  occasionnée par leurs dures journées de travail, en effet ils se disent  que si le prolétaire  n’a pas  au départ les outils pour déchiffrer il doit les acquérir.

C’est ainsi qu’ils suivront, débattront d’événements où les contradictions se font jour et peuvent occasionner de violentes altercations, qu’il s’agisse de la guerre d’Espagne qui voit s’affronter le parti communiste et le Poum au détriment des Républicains qui seront vaincus et les Brigades internationales dissoutes, du Pacte Germano-Soviétique qui les plonge dans un total désarroi …

 Les œuvres d’art qui sont reproduites sur les panneaux que l’on ramène sur scène à bon escient font eux aussi objet de description et de critique souvent fouillée. Ne sont-ils pas le reflet de la souffrance du peuple ?

 On verra donc entre autre« Le massacre des innocents » de Bruegel, « Le  trois Mai » de Goya, « La liberté guidant le peuple » de Delacroix, « Guernica »  de Picasso , tableau qui donnera lieu à une grande discussion sur  son efficacité car jugé trop conceptuel par Jacques Ayschmann (Felipe Fonseca Nobre).

Le spectacle est truffé d’évocations qui marquent le temps.  En 1938 au cabaret on chante par exemple « J’ai deux amours » et « Lili Marleen », les comédiennes Naisha  Randrianasolo (Edith Piaf) Jade Emmanuel (Joséphine Baker), Juliette Bialek (Marlène Dietrich) en donnent une très sensible interprétation.

En Suède où le narrateur s’est réfugié il rencontre Brecht qui écrit « Mère courage » une mise en scène est reconstituée sur le plateau avec la fameuse charrette et ses accompagnteurs.

Chaque épisode de cette grande fresque est traité avec grand soin, rythmé par la mise en place d’un rideau transparent portant des inscriptions, rideau souvent vite retiré. De même des extraits du texte apparaissent sur l’écran pour nous guider dans le dédale de cette longue saga. (Scénographie  Loïse Beauseigneur et Valentine Lê) 

Grande attention a été portée aux lumières où l’idée de la clandestinité amènera parfois l’obscurité sur le plateau (Charlotte Moussié et Vyara Stefanova) et aux costumes évocateurs de cette époque de l’entre-deux guerres et guerrière aussi (Jeanne  Daniel-Nguyen et Sarah Barzic).

Malgré la densité du propos, tout est mis en place pour que les épisodes de l’histoire apparaissent  vivants  et retiennent notre attention. Les acteurs donnent tout d’eux-mêmes qu’il s’agisse d’entonner les chants révolutionnaires ou d’entamer de longues énumérations comme celle  entreprise par le personnage de l’auteur Weiss (  Vladislav Galard )ou par  celle  de Charlotte Bischoff (Lucie Rouxel) une rescapée de la guerre et par là détentrice de la mémoire, moments soutenus avec bonheur par les déplacements chorégraphiés de l’ensemble des participants.

Sans aucun doute une magnifique expérience de groupe et de troupe  sur un sujet  on ne peut plus actuel quand on pense à ce qui se trame chaque jour  autour de nous et qui nous avertit que seule  l’unité peut sauver l’espoir d’un monde meilleur juste et égalitaire.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation du 23 mai au TNS

En salle jusqu’au 28 mai

Madrigals

Une pièce étonnante qui nous a remplis d’un vrai bonheur intérieur, ravivant en nous la joie de vivre. Elle nous vient de Belgique où elle a été créée au Toneelhuis d’Anvers en janvier 2002. 


Elle est l’œuvre de Benjamin Abel  Meirhaeghe, un jeune auteur belge, né en 1995, qui a déjà acquis une solide réputation de créateur  inventif, original dans le monde  du théâtre musical.

Quand une déchirure apparaît sur le rideau de scène c’est pour laisser entrevoir des profondeurs sombres comme celles d’une grotte primitive sillonnée d’éclairs et remplis de fumigène (Scénographie et lumière Zaza Dupont) une silhouette de femme qui s’avance, nue vers nous, accompagnée de sons grondants, pour nous,  inviter à réfléchir sur nous puis d’une manière surprenante elle se met à émettre des sons avec une voix suraiguë.

Le rideau s’ouvre, le plateau est envahi bientôt par un groupe de jeunes comédiens-danseurs, quatre filles et quatre garçons (Hanako Hayakawa, Alice Giulani ,Els Mondelaers, Lucie Plasschaertghouti, Khaled Baghouti, Clément Corillon, Victor Dumont, Antonio Fajardo)  qui se poursuivent, virevoltent, pleins d’aisance dans leur costume de corps nus soulignés d’une ceinture noire, support de leur micro. Rencontres par deux, par trois, par petits groupes. On s’enlace, s’embrasse, s’affronte, « le combat de Tancrède » n’y est pas pour rien superbement chanté à pleine voix par l’un des leurs et puis on se disperse, s’éparpille. On court parfois, on saute parcourant l’espace avec fougue, ou bien on s’affale sur le sol. Toute gestuelle se pratiquant avec élégance, grâce, spontanéité comme dans une improvisation de rencontres intempestives. Il n’y a pas de temps morts mais des plages de silence qui succèdent au chant, à la musique qu’interprètent en live les trois musiciens, Pieter Theuns, théorbe, Rebecca Huber, violon, David Wish, violon, et Wouter Deltour à l’électronique, installés, côté cour en fond de scène.

C’est à eux que revient d’interpréter les extraits de la musique de Monteverdi pour les « Madrigali  guerrieri et amorosi » que le compositeur italien écrivit en 1638, les partitions étant arrangées par le compositeur Doon Kanda qui les agrémente de sons électroniques et la direction  musicale signée Wouter Deltour.

Après s’être égarés, on se rassemble, on se retrouve autour de ce feu primitif, accroupis, allongés, parfois dans une tendre proximité et l’on chante, un s’improvise guitariste pour un accompagnement discret, clin d’œil, ici au feu des hommes préhistoriques, au feu de camp des scouts et l’on suit cela avec amusement et petit pincement au cœur.

Les intentions du metteur en scène et de sa dramaturge Louise van den Eode de rapprocher les époques et les arts, la musique, le chant, la danse, et même la peinture avec ces tableaux qui descendent des cintres, sans oublier les jeux de lumière avec entre autres ce porteur de faisceaux laser qui viennent éblouir jusqu’aux spectateurs, leur volonté de s’éloigner du conventionnel et de l’académisme se manifestent avec pertinence et de façon incontestablement ludique.

C’est un moment d’une grande intensité émotionnelle et joyeuse quand, au final ils entonnent en chœur le chant qui les montre encore tous rassemblés  devant nous qui avons hâte de les applaudir.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation du 12 mai 2023 au Maillon

Entre chien et loup

Spectacle créé au Festival d’Avignon en 2021 par Christiane Jatahy.

Entre théâtre et cinéma comme sait si bien le faire la metteuse en scène brésilienne Christiane Jatahy, les comédiens engagés dans ce spectacle nous l’ont joué avec l’authenticité, la proximité du « vrai ». Alors, bien vite on s’est senti dans le coup même si au début on redoutait l’artifice ou le conventionnel.


Un plateau encombré d’objets, tables, chaises, étagères remplies de livres, d’objets divers et variés, et au milieu des gens qui se parlent. Il s’agit d’une troupe de théâtre en train de réfléchir à élaborer une pièce à partir du film « Dogville » du réalisateur danois Lars von Trier parue en 2003 et qui évoque le problème de l’accueil et de l’acceptation de l’autre.

Ça démarre, par la prise de parole d’un certain Tom (Matthieu Sampeur), qui semble être responsable du groupe et qui se présente avant d’appeler chacun à en faire autant  et à préciser le pourquoi de leur rencontre : améliorer l’humain par l’art, un ambitieux projet !

Et justement, il informe la compagnie qui doit entrer en répétition qu’il vient de rencontrer une jeune femme qui a dû fuir son pays et cherche refuge, pourquoi pas auprès d’eux ? En tout cas c’est la proposition de Tom car cela va dans le sens de leurs idées humanitaires « pour ne pas aller vers l’échec de l’humanité ». Gracia (Julia Bernat) sort des rangs des spectateurs et se rend sur le plateau. L’histoire peut commencer, certains, caméras en main filment son approche, les discussions que son arrivée suscite entre eux. Des visages apparaissent sur l’écran placé en fond de scène. Va-t-on, échapper au scénario du film qui montrait comment une jeune fille d’abord accueillie à bras ouverts se retrouvait bientôt asservie et maltraitée ?

Que va-t -il en être de leur hospitalité ? Ils discutent de l’opportunité de l’employer à différentes tâches, puis décident de voter. En retrait, elle attend, fébrile, le verdict qui se révèle positif et déclenche une vraie fête.  On organise une sorte de banquet en rapprochant toutes les tables, y apportant des plats et des boissons à partager. L’aveugle (excellent Philippe Duclos) qui est aussi le sage, le penseur du groupe y va de son petit discours. La musique est de la partie, le piano s’emballe.

Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes !

Gracia s’amourache de quelques figurines dont elle propose de prendre soin. Elle en reçoit même une en cadeau. On filme alors des visages heureux.

C’était trop beau pour durer. Alors que Gracia s ’évertue à rendre service aux uns et aux autres, le bruit court qu’elle aurait trempée dans des affaires louches. Le doute s’insinue, peu à peu on la met à l’écart. On casse les statuettes qu’elle aimait tant. Sur l’écran on suit cette mise en doute et le souci qui s’imprime sur son visage. Tom résiste à cette mise en place d’un rejet qui semble tous les gagner, du coup, one soupçonne de favoritisme à l’égard de l’inconnue.

La situation empire quand le père de l’enfant qu’on lui a demandé de garder se jette sur elle et la viole sans le moindre scrupule. Classiquement on lui reproche d’avoir aguiché son agresseur.

Traitée en esclave au service de tous elle explique à Tom qu’elle veut partir mais celui-ci à son tour, au prétexte de lui témoigner son affection la contraint à l’embrasser et à accepter ses fougueuses étreintes qui l’obligent à se débattre pour le repousser.

Mais avant ce départ inévitable qui démontre que le changement espéré n’a pu avoir lieu, Gracia s’avance vers le public pour dire dans sa langue, le brésilien comment le fascisme qui a dominé au Brésil tout particulièrement avec Bolsonaro induit  l’intolérance et la haine de l’autre.

Un épilogue en guise d’avertissement pour dire: que le fascisme peut se réveiller dans n’importe quel pays et faire  basculer les meilleures intentions en haine du prochain.

Telle est la cruelle leçon que nous assène Chistiane Jatahy , un avertissement  d’autant plus pertinent qu’il se confronte à une brûlante actualité et qu’il est ici exprimé  d’une façon originale et percutante  avec cet habile tissage  du jeu des comédiens  sur le plateau et des captations projetées sur l’écran.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation au Maillon du 5 mai 2023

Tout mon amour

Le retour des absents semble fasciner Laurent  Mauvignier,  l’auteur de cette pièce de théâtre pour le moins étrange et captivante mise en scène par Arnaud Meunier.


La scénographie nous montre l’intérieur vide et impersonnel d’une maison de campagne dans laquelle on n’a plus remis les pieds depuis longtemps, délaissée qu’elle fut pour cause de drame, réoccupée en ce jour particulier de l’enterrement du grand- père.

En effet, c’est là que dix ans auparavant a disparu Elisa, la fille de ce couple venu là par obligation et qui s’apprête à quitter les lieux. Impossible de le faire en toute hâte comme le souhaite la femme, car l’homme qui est le fils du défunt avance la nécessité de régler les affaires chez le notaire. Mécontentement évident de l’épouse et irritation manifeste de part et d’autre. Cependant que très vite surgit le vrai prétexte à rester. Lui avoue avoir fait au cimetière une rencontre surprenante en la personne d’une jeune fille qui se prétend être leur fille disparue et ça, la femme ne veut pas l’entendre et refuse l’idée même de la voir. S’ensuit une véritable scène de ménage car son mari monte sur ses grands chevaux ne comprenant pas l’attitude de sa femme et voulant la persuader de dépasser ses préjugés concernant cette fille qu’elle qualifie sans l’avoir vue de folle et d’usurpatrice.

Commence alors une sorte d’enquête pour déterminer l’identité de la jeune fille et cela dans un climat de tension extrême entre le mari et la femme.

La jeune fille a ramené dans une boîte de chaussure une robe rouge, or elle en portait une le jour de sa disparition. Pour lui c’est quasiment une preuve car au fond de lui il croit que cette fille peut être leur fille, il veut, d’ailleurs que leur fils vienne la rencontrer au grand dam de sa femme qui ne souhaite pas le retour du garçon, prétextant qu’il doit préparer ses examens. De toute façon elle ne peut concevoir la possibilité de voir resurgir l’enfant disparue comme si cela devait rouvrir une plaie sans doute pas vraiment cicatrisée, à peine en rémission. Comme si elle se protégeait de la souffrance. 

La totale incompréhension qui s’installe entre eux s’exprime par un comportement bien différent de l l’un et de l’autre. Pendant qu’elle reste figée, toujours maitresse d’elle-même, sourde aux injonctions violentes que ne cesse de lui adresser son mari, (magnifique interprétation d’ Anne Brochet), lui passe par des phases d’agitation suivies de moments d’abattement, de remémoration, de doute (Philippe Torreton  excelle de  justesse dans ses colères et son désespoit) et presque d’hallucination au cours desquelles son père apparaît et lui dit tout ce qu’il a sur le cœur concernant leur relation, lui reprochant la rareté de ses visites ou la faiblesse de son caractère. A l’évidence père et fils ne sont pas dans le même monde, au sens propre et figuré. Dans cette mise en scène le grand-père est réellement incarné avec son langage direct et cru de vieux paysan par Jean-François Lapallus qui campe un personnage truculent qui prête à rire et allège ainsi l’atmosphère

Bientôt, la jeune fille fait une  entrée timide dans la maison, encouragée par le père. Prestation également impressionnante de la comédienne Ambre Febvre qui montre une possible Elisa dont le corps manifestement a été malmené, mal nourri, et en est presque déformé, elle en fait une sorte de sauvageonne apeurée mais qui cherche une reconnaissance à travers des paroles plus ou moins incohérentes qui évoquent une probable séquestration rendant plausible sa réapparition.

L’arrivée du fils (Romain Fauroux) ravive la douleur de la mère qui, sans retenue, lui avoue qu’elle a détesté le voir grandir car cela ne pouvait que souligner l’absence de sa sœur à ses côtés, qu’elle a eu horreur aussi qu’on lui dise de reporter sur lui tout son amour puisqu’elle n’avait plus que lui.

Le garçon qui a rencontré la jeune fille pense qu’elle est peut-être bien sa sœur. La mère très secouée par cette situation que chacun cherche à clarifier à sa façon s’est quelque peu rapprochée d’elle mais reste dans le doute. C’est, alors que le dénouement semble se rapprocher, que la fille s’enfuit, laissant l’énigme irrésolue.

Une histoire qui nous aura tenu en haleine de bout en bout.

Marie-Françoise Grislin

Représentation du 11 avril au TNS

En salle jusqu’au 15 avril

Mon absente

A la demande de Stanislas Nordey ,Pascal Rambert  a écrit , mis en scène et scénographié  une pièce  pour les  actrices et acteurs associés du TNS.


C’est en pensant que l’une d’elle, Véronique Nordey n’était plus et pour des raisons personnelles qu’il a eu l’idée de travailler sur la disparition et d’intituler sa pièce « mon absente » ramenant ainsi   ce problème existentiel auprès de chacun de nous.

Au pied du catafalque entouré de fleurs sur lequel repose le cercueil en bois clair, lui aussi chargé de fleurs, les enfants de la défunte, de la maman, vont venir parler de ce qu’ils ont en tête et sur le cœur à son sujet.

Comme il sait si bien le faire, Pascal Rambert   nous place devant des situations concrètes et nous fait entendre des paroles personnalisées qui expriment sans concession la complexité des rapports humains, les bouleversements et contradictions qui traversent toute personne confrontée à la mort d’un être proche.

Une quasi-obscurité règne sur le plateau, une musique douce et lointaine l’envahit (lumière, Yves Godin, musique, Alexandre Meyer). De l’ombre surgissent les personnages qui gardent leur prénom de comédien (c’est habituel chez Pascal Rambert). Le premier, c’est Laurent (Laurent Sauvage), grande silhouette en costume blanc (costumes Anaïs Romand) qui situe ses souvenirs dans le vaste appartement de 250 mètres carrés, précise-t-il, du boulevard Haussmann où sa mère l’a élevé, sans argent et sans amour comme ses frères et sœurs qu’elle considérait, dit-il, comme des chiots. « Je n’ai rien reçu » va-t-il répétant, poursuivant ses allées et venues autour du cercueil. C’est ça qu’il a à dire, ne s’interrompant que pour répondre à son amoureuse qui l’appelle sur son portable.

 Aimé, moins aimé, préféré, chacun y va de ses souvenirs, s’adressant à cette maman plus préoccupée de se renfermer dans son bureau pour écrire que de s’occuper des enfants. Une mère écrivain égocentrique qui nous fait penser à Marguerite Duras et à sa propre mère désargentée et peu affectueuse à ses dires.

Une cérémonie des adieux personnalisée où l’un et l’autre finissent parfois par se croiser au risque d’une confrontation car souvenirs et points de vue sont loin d’être en accord. Ce sera le cas pour Laurent et Claude (Claude Duparfait), les deux ainés qui ont parfois reçu des coups de leur mère. Claude, très excité, affirmant que Laurent était le préféré.

Surviennent bientôt, les autres fils, Stan qui a entretenu une relation compliquée avec sa mère (Stanislas Nordey) ,Houedo (Houedo Dieu- Donné Parfait Dossa) qui veut devenir écrivain, et Vincent (Vincent Dissez) le benjamin habillé en femme, qui déclare son amour à sa mère,  et  décide de danser nu  pour elle, lui révélant qu’il le fait chaque soir pour ceux qui le regardent en buvant du champagne.

 Du côté des filles les situations sont moins problématiques, Audrey (Audrey Bonnet) la fille de l’absente a été aimée et s’est occupée de sa mère. Quant aux petites -filles, Océane (Océane Caïraty), elles l’ont aimée voire admirée, leur problème est plutôt la relation avec leur père en particulier pour Claire (Claire Toubin) la fille de Claude que son père rejette car elle vit en couple avec une femme Ysanis (Ysanis Padonou).

Cette réunion autour de leur mère rassemble aussi des personnes « rapportées » comme Mata(Mata Gabin) , la belle-mère de Houedo, sa fille Melody (Melody Pini) qui  témoignent  de leurs souvenirs de la morte.

Leurs témoignages contradictoires sont dits avec beaucoup de conviction, parfois violemment, avec cette émotion et sensibilité de mise dans de tels circonstances et que révèlent ces paroles pertinentes :  le terme de « Maman », abondamment répété, « où sont les pères ? », « les parents sont abjects », « nous étions libres », « je n’ai rien compris », « tu l’as fait mourir »…

Ainsi, en ce moment des adieux, se dessine le portrait d’une femme de caractère vis-à-vis de laquelle ses six enfants disent chacun à leur façon qu’ils l’ont aimée mais qu’ils auraient souhaité qu’elle soit autre.

Peut-être une situation plus courante qu’on ne pense et souvent inavouable ici soulignée sans vergogne.

Marie-Françoise Grislin

Représentation du  28 mars

Jeu de masques

Intuition, friction, papillon

Atelier du Groupe 47 de l’Ecole du TNS

Le masque nous interpelle car il fait jaillir devant nous de drôles de personnages, aux visages comme immobilisés d’où nous parviennent par deux petits trous ronds des regards intenses qui nous observent, qu’il nous est impossible de déchiffrer et qui créent notre malaise. Alors on s’interroge, la personne masquée l’est-elle de son plein gré, par jeu ou par nécessité ou par quelque obligation qu’elle s’est créée. Est-ce une personne ou un personnage qui évolue devant nous ? Un être hybride en quelque sorte.


C’est cette capacité de transformation qui est en cause puisqu’il s’agit d’un atelier de l’école et qu’on y montre une sorte de casting.

En effet, un observateur, examinateur (Marc Proulx, responsable de la formation corporelle et jeu masqué), se tient en dehors du plateau, assis tranquillement sur une chaise et encourage des « candidats » à venir montrer leur prestation, à sortir de l’ombre, à surgir du rideau derrière lequel on les entend se préparer avec fébrilité. 

Une jeune fille se présente enfin avec un problème qui semble l’obséder « être dans le temps » ses gestes traduisent son inquiétude et elle multiplie ses gesticulations.

 Chez tous nous allons retrouver ce besoin de souligner par un travail corporel le message qu’ils veulent faire passer, les masques les privant des expressions du visage, les gestes se font plus amples, plus maniérés, plus répétitifs, plus expressionnistes ce qui exige une vraie maîtrise pour éviter de tomber dans le caricatural. Savoir jouer aux limites du burlesque, c’est ce dont les jeunes comédiens élèves du groupe 47 ont su faire preuve.

Ils nous ont emmenés dans un ailleurs déroutant mais dans lequel ils semblent mener leur affaire puisque chacun vient faire la démonstration de sa capacité de jeu et tel apparait, en habit blanc , comme un Pierrot, petit chapeau brun sur la tête et nous explique qu’il est le «  propriétaire du théâtre », qu’il a payé les gens pour venir, il peut l’affirmer en toute bonne foi car, ici, on improvise et on  peut se permettre semble-t-il de dire des propos non tenus d’être des vérités absolues. Cependant son partenaire de jeu tape frénétiquement des pieds pour lui adjoindre de taire pareilles aberrations. 

« On vous attend » dit le coach sollicitant calmement l’apparition des candidats, alors une fille en robe blanche, pleurant à moitié, manifestement exaspérée et avec force gestes, viendra dire qu’elle ne peut travailler, que personne ne l’aime, qu’on veut prendre son rôle, que pourtant nous étions ses fans…

Il sera question de devenir femme de ménage ou pour un autre de distribuer des tracts, autant de propositions de jeu menées avec détermination.

Ainsi, sous les lourds rideaux et draps blancs qui soudainement s’affaissent et se relèvent et servent de décor (scénographie  et costumes Sarah Barzic lumière Arthur Mandô), Yanis Bouferrache, Felipe Fonseca Nobre, Vincent Pacaud, Naïscha Randrianasolo, Thomas Stachorsky font défiler ces différents personnages masqués, comme mus par une  recherche d’identité , se jouant  de l’énigmatique intérêt qu’ils ne manquent pas de susciter chez le spectateur durant cette convaincante prestation .

Marie-Françoise Grislin

 Représentation du 28 mars au TNS 

Société en chantier

C’est dans le cadre d’un « temps fort » proposé  du 18 mars au 2 avril autour du thème « Le monde du travail aujourd’hui » que Le Maillon nous a proposé des spectacles qui feront date .


Avec Stefan Kaegi et Rimini Protokoll à l’affiche on sait qu’on va vers l’aventure, vers l’originalité et l’intelligence et cela nous plaît et cela nous tente, bien sûr. D’avoir été emmenés dans les différents lieux signifiants de ce périple destiné à nous immerger dans le monde de l’entreprise nous a autant intrigués que secoués.

Tout a commencé, en ce qui  concerne le groupe  d’une dizaine  de personnes auquel j’appartenais, par l’intervention de l’entomologiste qui, s’appuyant sur des photos et des dessins, nous a fait pénétrer dans le monde des fourmis pour montrer comment  ces petites bêtes mettaient en œuvre pour vivre, une remarquable organisation qui, comparée à celle des humains, paraît  plus rationnelle, plus efficace, on aurait envie de dire « mieux pensée » à tous les niveaux  qu’il s’agisse de la  construction  de l’habitat, de la recherche de nourriture, de la répartition des tâches… Une introduction pertinente au vu de la suite des autres  lieux  qui seront ensuite proposés.

Car, dans la grande salle du Maillon c’est une sorte de chantier qui a été reconstitué avec ses escaliers en fer, ses passerelles, ses estrades, ses chemins balisés, ses piles de briques et de panneaux d’agglomérés.  

Par groupes nous sommes invités à rencontrer des experts, entrepreneur, urbaniste, avocat, entre autres qui nous informent des différentes problématiques qui se posent lorsqu’il est question de mettre, en place ou de réaliser des transformations ou des constructions dans un lieu donné ou dans l’espace urbain.

Casques sur la tête, écouteurs sur les oreilles, nous nous transformons en visiteurs attentifs, consciencieux, prêts à encaisser leurs démonstrations, leurs explications.

Et nous sommes même sollicités à exécuter des travaux pratiques, ici, trimballer des briques ou des panneaux de bois, ailleurs, sous la conduite de l’ouvrière chinoise, faire et refaire les gestes de pelletage ou de forage avec le marteau-piqueur, plus loin enfermés dans un bureau nous sommes invités à choisir un projet d’investissement pour lequel on nous a donné de gros billets de banque(faux naturellement !)…

Ainsi sommes-nous autant spectateurs qu’acteurs. Les sujets les plus délicats, les plus complexes sont abordés comme les problèmes de corruption ou de malversation, de rapports de pouvoir, de rivalité ils sont rendus audibles et cet ensemble de situations nous conduit inévitablement à  cette prise de conscience politique que montrant que dans ce monde, les intérêts privés  prennent le pas sur le bien public qui, seul devrait prévaloir.

La démonstration à la fois concrète et ludique de Stefan Kaegi nous a enthousiasmés et convaincus qu’un théâtre engagé peut être une vraie source de joie.

Marie-Françoise Grislin

 Représentation du 24 mars au Maillon

Mineur non accompagné

Conçu, présenté et interprété par Sonia Chambretto et Yoann Thommerel, c’est un spectacle qui nous met au fait d’une situation sociale à bien des égards délicate et rude puisqu’elle touche à ces enfants, adolescents plus ou moins en déshérence dans notre pays, des jeunes qui ont quitté leur pays en raison de la guerre ou de la pauvreté et que la France accepte d’héberger jusqu’à leurs dix-huit ans. Après ils doivent se débrouiller… Si la plupart des spectateurs connaissent cette situation, il n’en reste pas moins que cette manière de nous la faire revivre collectivement par la représentation théâtrale lui confère une dimension politique nécessaire à une prise de conscience sans doute plus efficace que le simple fait d’en avoir entendu parler et éveille notre attention sur ce problème de l’accueil des jeunes migrants soumis à des contrôles médicaux destinés à prouver qu’ils sont mineurs ou non puis à leur placement dans des centres d’accueil. « L’hospitalité à la française »


En prenant la décision de s’immerger dans trois de ces centres en Normandie où ces mineurs ont été regroupés, les auteurs sont en mesure de leur donner la parole et de nous rendre témoins de leurs attentes, de ces multiples envies ou besoins qui, selon eux, pourraient améliorer la vie de tous les jours. Rien, de larmoyant cependant malgré la précarité de leurs conditions de vie qui transparaissent en filigrane car ces centres disposent de  peu  de moyens.

 Les comédiens, en training, plantés devant leur micro, rapportent leurs propos qu’ils lisent sur ces grandes tablettes blanches disposées sur le plateau, en se jetant des regards complices et sans se départir d’un sourire bienveillant. On sent qu’ils ont été proches d’eux et qu’ils cautionnent leurs dires. Paroles des jeunes mais aussi des éducateurs qui les ont côtoyés et pris en charge.

L’idée de ces tablettes, comme de grandes feuilles paraît vraiment pertinente car elle assure une authenticité à ces propos. De plus quand elles sont soulevées pour être prises en main pour lecture, elles laissent apparaître les emplacements délimitant le terrain de jeu semblable à un probable terrain de foot, le sport préféré des jeunes Pour souligner cette préférence énoncée par ailleurs divers ballons de foot sont éparpillés sur le plateau, certains neufs, d’autres usés ou crevés (Scénographie Marine Brosse). Ce quotidien nous est aussi rapporté par la vidéo de Simon Anquetil et des photos prises par les jeunes, agrandies  et projetées en fond de scène (Maxence Rifflet et Michaël Quemener)   et qui confirment l’aspect documentaire de cette prestation.Ce spectacle est issu de la transcription d’un travail d’enquête basé sur des questionnaires, mode d’investigation dans lequel les auteurs se sont spécialisés depuis quelques années à propos des mécanismes d’exclusion et qui les a poussés à créer le G.I.G (groupe d’information sur les ghettos), né  il y a cinq ans en Seine-Saint-Denis, l’Inspiration provenant de leur connaissance du GIP (groupe d’information sur les prisons) fondé e 1971 par des intellectuels pour donner la parole aux détenus et justement à partir de questions concernant leur condition de vie en détention.

Toute question entraîne une prise de conscience, oblige à une réflexion. Ainsi est né un ouvrage « Le questionnaire élémentaire » et ce spectacle qui s’inscrit dans une trilogie « La trilogie des frontières invisibles »   dont le premier volet intitulé « Ilôts » a été créé en mars 2O21 à la Comédie de Caen  et qui sera suivi d’un troisième volet  portant sur les relations amoureuses.

Pour Sonia Chiambretto et Yoann Thommerel il s’agit de « créer des espaces de circulation de la parole ». Ce spectacle y est manifestement parvenu puisqu’il nous a donné à entendre  à travers une mise en récit bien construite la parole de ces jeunes réfugiés avec lesquels on voudrait partager une solidarité plus efficace.

Marie-Françoise Grislin

Représentation du 17 mars

En salle jusqu’au mars 25

Grand Palais

Quoi de plus douloureux que de ne pas se sentir aimé, de perdre l’estime de soi et de ne pas savoir l’exprimer à celui qui prétend vous aimer.


La pièce « Grand Palais » écrite à deux mains par Julien Gaillard et Frédéric Vossier à l’initiative ce  dernier nous parle de cela dans une forme simple et originale.

Grand palais, un titre, un lieu, un emblème, celui du luxe, de la notoriété, de la classe, palais et royauté étant liés naturellement. Alors quid de ceux qui ne s’y sentent pas chez eux.

La pièce nous place devant ce problème de la différence, de cet abîme qui séparent deux hommes, par ailleurs unis dans une relation amoureuse née dans le contexte du travail d’artiste.

D’un côté, il s’agit du grand peintre anglais Francis Bacon à qui est réservée une rétrospective de ses œuvres au Grand Palais en 1971, de l’autre de George Dyer, son modèle, son amant qui l’attend dans leur chambre d’hôtel où il se sent esseulé, abandonné, conscient de sa condition d’homme peu instruit qui a du mal à exprimer ce qu’il ressent. Ce vide abyssal le pousse au suicide.

La mise en scène très élaborée de Pascal Kirsch met en évidence cette séparation. A l’avant-scène sur un chemin scintillant de petites pierres rouges, brillantes et crissantes sous les pas, déambule l’artiste qui vient d’apprendre le suicide de son amant. Garder sa dignité, ne pas pleurer sont les consignes qu’il se donne, ainsi poursuit-il son va et vient méditatif à la veille du vernissage de son exposition au Grand Palais. Des images le hantent, celles d’œuvres qui l’ont inspiré et que, très astucieusement, le metteur en scène fera apparaître en vidéo parfois flouté, parfois en très gros plan sur les parois de la scène (vidéo Thomas Guiral, lumière Nicolas Ameil)

Au second plan et dans l’ombre d’abord va apparaître la silhouette longiligne de George Dyer qui a été invité par Francis à l’accompagner à Paris. Sa solitude lui pèse, il erre dans sa chambre juste vêtu de sa robe de chambre, manifestement désemparé il attend le retour de Francis.

Chacun est dans son monde. L’un dans l’artistique, l’autre dans l’affectif. Cependant une certaine interpénétration se manifeste. Malgré l’intervention récurrente d’un personnage extérieur, le Sybillin, qui vient rappeler au peintre qu’il est l’heure d’y aller (on suppose de se rendre au vernissage) celui-ci exprime  la prémonition qu’il a eue du suicide de George  et ne cesse de revenir sur la lente montée de l’escalier à effectuer marche après marche  pour arriver à leur chambre. On le devine de plus en plus ému, malgré tout retenant ses larmes.

Quant à George, avant de passer à l’acte fatal il manifestera et de manière plutôt violente, par des gesticulations et des proférations sa désolation et sa rancœur vis-à-vis de ce maître qui ne  le considère plus , criant « je ne suis pas un chien » avant qu’on le retrouve effondré, mort sur les toilettes.

Deux univers dissemblables que ni l’art, ni l’amour n’ont réussi à réunir et cela pose évidemment le problème de la différence des classes sociales auquel nous sommes forcément sensibles.

Les comédiens, Arthur Nauzyciel et Vincent Dissez interprètent les rôles  de Francis Bacon et George Dyer avec une vraie sensibilité et une grande justesse accompagnés par la musique en live de Richard Comte  et la présence discrète de Guillaume Costanza  qui fait Sybillin. 

Ecrire et mettre en scène  un drame humain qui a réellement eut lieu est un défi  que les auteurs, le metteur en scène et les comédiens ont relevé avec brio.

Marie-Françoise Grislin

Représentation du 10 mars au TNS

En salle jusqu’au 16 mars

Un pas de chat Sauvage

Texte de Marie Ndiaye

Mise en scène Blandine Savetier

Ces deux artistes sont associées au TNS et d’elles nous avons pu voir plusieurs de leurs oeuvres, de l’auteur  « Hilda »en 2021 mise en scène  par Elisabeth Chailloux, « Les Serpents » par Jacques Vincey en 2022 et « Berlin mon garçon » par Stanislas Nordey en 2O22 et les mises en scène de Blandine Savetier pour« Neige » d’Othan Pamuk en 2021 et pour « Nous entrerons dans la carrière » en 2021.


La pièce, une adaptation par Waddah Saab et Blandine Savetier du texte deMarie Ndiaye créée ces derniers jours au TNS ne manque pas d’originalité à plus d’un titre.

Et tout d’abord par sa construction en abîme.

Tout commence en effet par la genèse de l’œuvre, une commande à Marie Ndiaye du Musée d’Orsay et des éditions Flammarion à l’occasion de l’exposition « Le Modèle Noir » en 2019. Peut-être moment d’angoisse pour trouver le sujet adéquat. C’est ainsi que naît le personnage de la narratrice, clone de l’autrice en quelque sorte, historienne, professeur d’université que va interpréter Natalie Dessay et qui se met en demeure d’évoquer une chanteuse noire, d’origine cubaine dénommée Marie l’Antillaise dont on dispose de quelques photos du célèbre photographe Nadar. Il s’agit probablement de Marie Martinez qui connut une gloire éphémère au XIXème siècle. En plein souci d’écriture elle fait alors la rencontre de Marie Sachs, une artiste noire qui prétend réincarner Marie Martinez et l’invite à trois reprises à assister à ses shows. Ainsi se met en place la chaîne des personnages évoqués dans cette œuvre.

Ensuite, l’originalité de la pièce tient aussi à l’extrême attention apportée à la scénographie, signée Simon Restino, qui voit la narratrice habiter un ancien piano à queue désaffecté placé à l’avant-scène qui lui sert de refuge pour se livrer à ses réflexions et pour éventuellement écrire. Et à la projection en fond de scène de l’image de l’intérieur du théâtre de l’Odéon puis à l’installation de lourds rideaux qui permettent l’apparition ou la sortie de l’artiste accordant à celle-ci un certain prestige jusqu’au délabrement final dans le désordre et l’obscurité.

Enfin le caractère particulier et remarquable de cette pièce vient sans aucun doute de la confrontation entre les deux femmes, la narratrice en perpétuelle recherche d’inspiration, constamment préoccupée par le doute au sujet de la légitimité d’écrire sur une artiste disparue dont on ne dispose que de peu d’éléments de sa biographie et la danseuse et chanteuse Marie Sachs  qui se produit  de façon magistrale sous les yeux ébahis  de la narratrice. Le contraste entre les deux personnages est saisissant et leur interprétation finement menée. D’un côté Natalie Dessay qui campe une narratrice agitée, tendue, crispée quelque peu envieuse de la liberté, du talent, de la créativité dont fait preuve Marie Sachs mais qui ne peut résister à répondre à ses invitations qui la laissent subjuguée toujours en proie aux affres de la création. De l’autre, Nancy Nkusi, qui donne à Marie Sachs  sa prestance, son  élégance, son talent de danseuse et de chanteuse. Revêtu de robes somptueuses ou de justaucorps seyants, (costumes Simon Restino et Blandine Savetier) son corps s’envole, se contorsionne, glisse et se déploie avec une virtuosité sidérante accompagné par la musique qu’interprète en live le musicien Greg Duret qui n’hésite pas à quitter sa console pour danser à ses côtés, certes avec moins de grâce mais avec un enthousiasme et une frénésie quelque peu clownesques pouvant illustrer l’aspect « cabaret » de la prestation de l’artiste.

La fin est une énigme et une résolution. Après une séance éprouvante où la danseuse déchaînée semble vouloir envoûter la narratrice, elle disparaît à l’instar de son modèle, Marie Martinez, tandis que la narratrice se sent prête  à entrer dans l’écriture de son sujet comme si une certaine osmose s’était opérée entre elles, la transmission de la possibilité chacune dans son domaine de créer.

Marie-Françoise Grislin

Représentation du 2 mars au TNS

En salle jusqu’au 10 mars