#Lecturesconfinement – Okuribi, Renvoyer les morts

Echappe-t-on réellement à la
société dans laquelle nous vivons
et qui vous transforme jusqu’à faire
de vous une bête ? C’est la question
qui anime en permanence le
lecteur dans ce roman qui suit ce
jeune collégien Ayumu, arrivé dans
un collège rural. Là, un groupe
d’élèves mené par Akira se livre à
des jeux de plus en plus violents à
l’encontre de l’un de ses membres,
devenu leur bouc-émissaire. Dans
ces rites de passage et cette construction identitaire propre à
tout adolescent s’affrontent apprentissage de la violence et
culpabilité. Hiroki Takahashi introduit avec un talent littéraire
certain qui lui valut d’ailleurs le prestigieux prix Akutagawa,
inscrivant ainsi ses pas dans ceux de Yasushi Inoue ou Kenzaburō
Ōe, prix Nobel de littérature (1994), une dimension inconsciente
qui fait toute la force du livre.

La servitude volontaire, celle qui vous conduit à privilégier
l’appartenance au groupe au détriment de la justice, de l’humanité
que tous les régimes autoritaires notamment celui du Japon de
l’entre deux-guerres poussèrent à leur paroxysme, traverse ce
court et puissant roman. Le lecteur est très vite conduit à
s’identifier à Ayumu, spectateur devenu complice des tortures
physiques et psychologiques d’Akira. Entre crainte d’être la
prochaine victime et volonté annihilée de se rebeller, le lecteur
avance en plein réalisme magique qui n’est pas sans rappeler
Murakami, dans cet obscur tunnel où les démons ne sont pas
uniquement ceux qui peuplent les montagnes environnantes.

Jusqu’où est-on prêt à aller pour assurer sa propre survie ? Au-
delà du dilemme qui anime la conscience de chacun, Hiroki
Takahashi pose également la question de notre propre liberté au
sein de nos civilisations modernes. Existe-t-elle encore ?

Par Laurent Pfaadt

Hiroki Takahashi, Okuribi, Renvoyer les morts,
Chez Belfond, 128 p.