Les autres enfants de Dune

Plusieurs ouvrages reviennent sur la dynastie des Saoud

Une terre recouverte de sable et qui regorge d’une substance nécessaire au monde entier. Un peuple de nomades du désert ayant pris le contrôle de cette terre et noué un pacte avec la puissance impériale régissant ce monde.


Le président américain Joe Biden et le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane, le 15 juillet 2022 à Jeddah (Arabie saoudite) Saudi Royal Palace/AFP / Bandar AL-JALOUD

Vous n’êtes pas dans Dune mais en Arabie Saoudite. L’histoire récente de ce pays aux 20e et 21e  siècles, ce pays passé à la vitesse de la lumière du désert à la démesure, de la pauvreté à l’organisation de l’évènement le plus médiatique du monde, la coupe du monde football en 2034, a quelque chose de profondément cinématographique. Une histoire qui se résume à une famille, les Saoud qui, depuis son fondateur jusqu’à son lointain héritier, personnifie l’évolution de ce pays à qui – chose unique – elle a donné son nom.

Deux hommes qui, pour reprendre le titre du livre du Rudyard Kipling, voulurent être rois et le devinrent ou pour le second, est en passe de le devenir. Et pour comprendre ces deux hommes, il faut se pénétrer de ce commentaire qu’Ibn Saoud fit à Harold Dickson, colonel britannique et futur représentant de l’Iraq Petroleum à propos de la question palestinienne : « Nous autres Arabes, de par notre nature, pouvons céder corps et âme devant un acte de bonté, mais devenons les ennemis implacables et pour toujours de ceux qui nous traitent durement ou injustement »

Instruit de cette maxime, le lecteur peut donc entrer dans ces deux livres passionnants et en premier lieu celui que Christian Destremau, auteur désormais expert de cette péninsule arabique qu’il connaît bien, consacre à Abdelaziz Ibn Saoud, le fondateur de l’Arabie Saoudite. Un homme descendant de la dynastie régnante du premier État saoudien et véritable personnage de roman qui d’ailleurs suscita les éloges de bon nombre d’écrivains à commencer par Joseph Kessel qui voyait en lui un « géant invincible, souverain de génie qui a forgé son empire et sa gloire par le fer, le feu et la foi ».

Car il faut bien reconnaître qu’il y a une part de vérité dans les mots de l’auteur des Cavaliers et Christian Destremau s’emploie dans une langue pleine de rythme qui colle d’ailleurs parfaitement à la destinée d’Ibn Saoud de nous raconter la jeunesse de ce dernier, la conquête de la péninsule arabique et la proclamation du royaume d’Arabie Saoudite en 1932 tout en débarrassant le monarque des mythes qu’il s’est plu à entretenir avec cette capacité reconnue de tous de subjuguer ses auditoires grâce à sa maîtrise incomparable du verbe.

Franklin Delano Roosevelt et le Roi Ibn Saoud sur l’USS Quincy, 14 février 1945
Photograph from the Army Signal Corps Collection in the U.S. National Archives.

Un livre qui est également, à travers la figure du roi, une magnifique histoire de la péninsule arabique durant la première moitié d’un 20e siècle arabe qui s’est trop souvent résumé, dans l’historiographie occidentale, à celle des Hachémites et de Lawrence d’Arabie. L’auteur met ainsi en lumière d’autres figures telles que celle de Harry St. John Philby, le père du futur espion soviétique et conseiller d’Ibn Saoud ou de William Eddy, représentant américain qui noua lui-aussi une relation très proche avec le roi pour expliciter la perte progressive de l’influence des Britanniques dont Ibn Saoud fut « l’ami des jours sombres » au profit des Américains. Car sous les pieds du roi d’Arabie Saoudite dormait un trésor : le pétrole. Et en homme d’État avisé, Ibn Saoud eut l’intuition, pendant le second conflit mondial, que les Etats-Unis allaient être la puissance dominante à même de lui garantir cette stabilité qu’il poursuivit toute sa vie pour son pays quitte à transiger sur la question palestinienne. Une alliance symbolisée par la rencontre avec Roosevelt sur l’USS Quincy dont l’auteur nous rappelle cependant que le « pacte du Quincy qui aurait une alliance à long terme entre les deux pays, et qui aurait été renouvelé quelques décennies plus tard n’a jamais existé ». Il s’agissait plutôt d’une relation personnelle qui allait déboucher sur l’intensification des relations entre les deux pays.

Un siècle après les premiers exploits d’Ibn Saoud, d’autres connaisseurs de cet Orient compliqué, les journalistes Christian Chesnot et Georges Malbrunot, auteurs d’enquêtes journalistiques sur le Qatar ou Ben Laden tentent dans leur dernier ouvrage de percer le mystère MBS, initiales de Mohamed Ben Salmane, le prince héritier d’Arabie Saoudite et fils du roi Salmane, lui-même fils d’Ibn Saoud. Un prince-héritier qui souhaite faire entrer l’Arabie Saoudite dans le 21e siècle. Celui que les deux auteurs qualifient de « Janus » du Moyen-Orient est l’homme de tous les paradoxes et de tous les changements. Terminé l’alliance du sabre et du Coran, place à celle du sabre pour abattre ennemis, journalistes impies, princes rebelles ou Etats rivaux et du carnet de chèques pour construire The Line, cette ville futuriste ou bâtir un soft power à base de sport et de culture, s’inspirant en cela du voisin émirati dont le cheikh Mohammed Ben Zayed Al Nayhane fut le mentor du jeune prince avant que ce dernier ne s’en affranchisse.

Les deux journalistes tracent ainsi le portrait de celui qui a brisé la tradition adelphique instauré par son aïeul, Ibn Saoud dont il demeure un grand admirateur, qui fut ministre de la Défense et président du conseil suprême d’Aramco, le géant pétrolier. Un homme complexe, réservé, travailleur formé par un père qui « lui inculqua les valeurs de l’autorité et de l’effort » et qui se prépare depuis longtemps à un destin qui n’était pas forcément évident mais qu’il a su forcer. « Dans le royaume, MBS cultive l’image d’un prince combattant qui n’a pas froid aux yeux et que personne n’impressionne, pas même la république islamique » d’Iran. Un pays qu’il n’hésita d’ailleurs pas à affronter indirectement au Yemen dans cette volonté de remodeler les rapports de force au Moyen-Orient quitte à rééquilibrer ses relations avec les États Unis, se permettant même le luxe d’humilier ces derniers en octobre 2022 en décidant de réduire à l’OPEP la production de pétrole. Façon de réaffirmer, d’une certaine manière, que Dune appartient aux Fremen.

Par Laurent Pfaadt

Christian Destremau, Ibn Saoud, Seigneur du désert, roi d’Arabie
Chez Perrin, 384 p.

Christian Chesnot, Georges Malbrunot, MBS, enquête sur le nouveau maître du Moyen-Orient
Chez Michel Lafon, 272 p.