Les couleurs du temps

La mémoire des murs de Françoise Saur

Ce travail de mémoire avec les habitants du quartier Bel-Air à Cernay initié par Agora, centre socioculturel, est la troisième collaboration avec la photographe Françoise Saur. Il se décline en photos, entretiens réalisés par des étudiants en histoire à l’UHA, un livre (en préparation) et une exposition visible – dépêchez-vous, c’est seulement – jusqu’au 22 juillet.
Et l’engagement de Céline, Nora, Françoise et tant d’autres…


Edward Hopper peignait des êtres en suspension dans des espaces de solitude désenchantée. Dans le quartier Bel-Air de Cernay, Françoise Saur a photographié les espaces vidés de ses habitants avant démolition (en 2022). Plus de locataires, plus de meubles… mais les traces de vie demeurent ! Têtues, touchantes, saugrenues quelquefois.

L’attention portée au traitement de la couleur intensifie la singularité du témoignage de ces fragments. Sur les plans plus larges, la photographe trouve même le rose partagé par Gauguin et Picasso et le bleu limpide du peintre américain magnifiant un espace désinstallé en attente de sa fin. Ses images saisissent la quintessence du souvenir en l’absence de ceux qu’il hante et nous l’offre en réflexion.
Des objets abandonnés – si importants à un moment sans doute – intensifient le sentiment de déshérence, préservent l’empreinte des vies évacuées, des gestes qui se prolongent désormais ailleurs. Surgissent des stigmates aussi déroutants et touchants que ces motifs créés par des papiers peints arrachés évoquant les découpages de Matisse. Une mémoire saisie dans une matérielle et sensible densité sur ces murs maintenant disparus. Ne restent que les images de ce désarroi, de ce bord du temps qui change, bouleverse souvent et emporte les choses et les êtres.

Ce sont les clichés accrochés sur les cimaises, en statique.
En boucle, sur un écran, défilent les portraits d’habitants qui ont accepté de poser. Des gens plutôt âgés, venus d’ailleurs – de très loin quelquefois – ou des vallées voisines pour se rapprocher du travail et tous ont fait leur vie dans ce quartier. Ils posent dans leur ancien logement désert, corps en pause dans l’espace vide de leur vie d’avant, mais aussi dans leur environnement d’après, regard enjoué vers l’objectif, nantis d’un pot de fleurs ou d’un autre accessoire. En off la voix de leurs souvenirs raconte… Des passeurs de mémoires qui tels Les anges protègent les châteaux de sable, pas les châteaux de pierre (Christian Bobin, Un bruit de balançoire, 2017).

Par Luc Maechel

Centre socioculturel Agora / 7 rue de la 4e D.M.M
2/07 – 22.07.2022 / du mardi au vendredi de 14h à 18h
(accès : s’adresser à l’accueil, 03 89 75 62 80)
visite guidée avec l’artiste mardi 12/07 à 17 h
http://www.cscagora.fr