Les Croix de bois

Jetez-vous à la lecture !

Bousculée par le COVID, cette
rentrée littéraire 2020 sera,
comme chaque année, pléthorique
avec plus de 500 titres.
Hebdoscope vous aide à naviguer
entre ces livres qui nous ont tant
manqué…

Roland Dorgelès,
JD Morvan/Precio, les Croix de
bois, chez Albin Michel, 104 p.

Tout petit, Jean-David Morvan a arpenté les lieux des Croix de bois
de Roland Dorgelès. Puis il a lu ce roman majeur de la Grande
guerre. Aujourd’hui, il l’adapte en bande dessinée. Aidé du
talentueux dessinateur argentin Facundo Precio, voilà le lecteur
embarqué dans les pas de Roland Dorgelès, journaliste engagé sur le
front.

Le texte ondule comme une rivière : furieux parfois mais souvent
lent et paisible. Et le trait est à la mesure des mots : tout en nuance
avec ses moments de fièvre. Puissant et sensible à la fois. Les deux
auteurs déroulent le roman comme un film, passant de la couleur de
la vie de l’auteur au sépia du front où les gris rivalisent avec les
ocres. Dans ces boyaux, ces tranchées, le sublime fusain de Precio
transforme les hommes et leurs uniformes de terre en poussière. Les
hommes s’effacent dans cette guerre qui les recouvre jusque dans
leurs vies intimes et les oublie. Mais avant cela, avec ces yeux, ces
bouches qui crient, qui marmonnent, ils restent simplement des
hommes montant au calvaire sans rechigner.

Dans ces planches d’une extrême beauté, entre doubles pages et
colonnes qui défilent comme un Super 8, la violence des combats et
l’impuissance des soldats engloutis dans les tranchées sont
parfaitement restituées. Il y a ces moments de joie, rares, comme
cette bataille de boules de neige mais aussi ces coins de France
rassemblés dans une immense fraternité avec ces patois, ces langues
qui finissent par parler le même langage, celui du front, celui de la
mort.

Les Croix de bois demeurent le témoignage incomparable de ces
hommes qui ont tout perdu pour nous permettre de conserver
l’essentiel : la liberté. Aujourd’hui, le fusain de Facundo Precio leur a
donné des visages. Pour ne jamais les oublier.

Par Laurent Pfaadt