Les diamants sont éternels

A travers plusieurs livres, le grand écrivain japonais Haruki
Murakami se confie. Une nouvelle fois enchanteur et fascinant

L’écrivain japonais, plusieurs fois cités pour le Prix Nobel, est arrivé,
à plus de 70 ans, à un stade. A l’image de ce baseball qu’il aime tant
et qui revient dans ces nouveaux textes notamment dans sa nouvelle
Recueil de poèmes des Yakult Swallows, il lui faut achever un tour de
stade pour marquer un point. Boucler la boucle en somme. Portant
en lui ces différents textes et notamment selon son propre aveu,
celui de son rapport à son père, il se devait donc d’aller au bout de
cette course.

Plus de course au mouton sauvage cette fois-ci mais plutôt rattraper
ce passé qui s’effiloche. A travers ces nouvelles, traduites une fois de
plus magnifiquement par Hélène Morita, qui sont autant de
rencontres fugaces et singulières, l’écrivain évoque des souvenirs de
jeunesse, étudiants ou plus récents. Les grands thèmes de
l’écrivain se déploient à travers un superbe réalisme magique
comme par exemple dans ce qui constitue certainement la plus belle
nouvelle du recueil, Charlie Parker plays bossa-nova et ce jazz qu’il
affectionne tant. Comme à chaque fois, le lecteur croise de
nombreuses femmes, belles mais souvent quelconques qui peuplent
ses livres et son lit et quelques personnages déjà apparus
précédemment comme le singe de Shinagawa (Saules aveugles,
femmes endormies, Belfond, 2008), grand amateur de Bruckner.

Avec son sens inimitable du récit, Murakami transfigure la banalité,
transcende la normalité si bien que la beauté apparaît sur la laideur
d’un visage de femme dans la magnifique nouvelle Carnaval ou dans
la lecture à haute voix d’un jeune homme. A travers tous ses
personnages, Murakami dessine sa figure du héros sous la forme
d’un homme au travail ou au physique quelconque et glorifie l’échec car pour lui, « la véritable sagesse consiste davantage à apprendre à être
bon perdant qu’à savoir comment vaincre ». Cet homme, devenu
écrivain par hasard, n’est autre que lui, à travers tous ces
déguisements littéraires.

Il lui faut donc revenir une nouvelle fois dans ce stade, celui de ses
exploits littéraires et poursuivre ce tour entamé voilà vingt ans.
Dans Abandonner un chat, il évoque ce père, professeur, auteur
d’haïkus et parti sur le front du Pacifique. Ce père avec qui il eut des
rapports compliqués. Nous ne sommes que le jouet d’un destin qui
se cache dans des instants qui nous paraissent sans importance mais
qui, au final, nous structurent plus que nous le croyons et surtout,
valent plus que la gloire ou la reconnaissance. « Le plus important,
c’est de se concilier le temps, d’en conserver le plus beau des souvenirs »
écrit-il. Ces instants du quotidien qui se cachent dans l’entre-deux,
ces moments imprévus, ces instantanés captés sont de véritables
diamants qui donnent aux récits de Murakami leur profonde
universalité. Le destin fait décidément bien les choses car justement,
le stade de baseball s’appelle un diamant. Et dans le cas des livres de
Murakami, ils sont éternels.

Par Laurent Pfaadt

Haruki Murakami, Première personne du singulier,
Chez Belfond, 160 p.

Haruki Murakami, Emiliano Ponzi, Autopsie d’un chat, souvenirs de mon père
Chez Belfond, 64 p.