Les Enfants de la Volga

Les fleuves portent en eux le destin des hommes. Ils l’attirent, le
bercent, l’orientent et le noient dans leurs lits. La Volga, dans ses
remous tumultueux, décida ainsi de l’histoire de Jakob Bach et de
ces milliers d’Allemands venus s’installer au XVIIIe siècle, sous le
règne de la tsarine Catherine II, sur les bords du fleuve russe.

Jakob Bach, maître d’école dans le village de Gnadenthal près de
Saratov, ne se doutait pas qu’il allait traverser ce fleuve rouge, rouge
comme celui des bolchevicks, comme celui du sang de l’histoire en
acceptant l’invitation à dispenser des leçons à Klara, la fille d’un
certain Grimm. De cette rencontre allait naître une histoire d’amour
et une fille, Anntche.

Présent dans les sélections des prix Médicis et Femina étranger, Les
Enfants de la Volga confirme l’incroyable talent littéraire de Gouzel
Iakhina après son magistral Zouleikha ouvre les yeux (Noir sur Blanc,
2018) traduit dans près de trente langues. Ce nouveau livre
absolument magnifique, véritable barque littéraire embarquée sur
ce fleuve où se croisent les dérives d’une jeune nation et les
naufrages de leurs habitants, navigue en permanence entre rêves et
cauchemars. Les rêves avec le réalisme magique d’une histoire
façonnée par l’auteur comme dans cette scène où Bach se rend dans
la ferme du père de Klara au milieu d’un décor surnaturel. Les
frontières entre conte et réalité s’estompent ainsi à chaque fois que
les personnages traversent le fleuve et quittent leur monde. Sur
l’autre rive, ils y rencontrent fanatisme et désolation.

Des rêves mais aussi des cauchemars avec le viol et la mort de Klara,
cette « vierge des glaces » devenue muse du fleuve et de Jakob. Face à
cette nature bafouée, ce dernier choisit la réclusion verbale, seule
échappatoire à la violence du monde et des hommes. Mais il était
écrit dans ce livre que l’espoir serait amené par des enfants. Celui de
Jakob et de Klara, Anntche. Puis cet orphelin, Vasska, comme porté
par le fleuve. Les enfants de la Volga.

Comme dans son livre précédent, Gouzel Iakhina dessine avec ses
mots, des paysages grandioses tout droit sortis d’un film. On
traverse le fleuve comme on change de monde, comme on passe du
rêve au cauchemar. C’est dans le miroir des eaux tumultueuses de la
Volga que Iakhina a choisi de tremper sa plume mystique et de
dévier, pour Jacob, Anntche et Vasska, le cours de ce fleuve et de
leurs destins que nous n’oublierons pas de sitôt.

Par Laurent Pfaadt

Gouzel Iakhina, Les Enfants de la Volga,
traduit du russe par Maud Mabillard,
Aux éditions Noir sur Blanc, 512 p.