Les espions se font des films

La Cinémathèque française célèbre avec brio les liens entre cinéma et espionnage

Un homme au chapeau mou et lunettes écaillées tenant un journal, une femme avec une poussette, un jeune homme en jogging. Rassurez-vous, vous n’êtes pas dans un square non loin de la Maison-Blanche mais bel et bien dans les couloirs de l’extraordinaire exposition que la Cinémathèque française consacre aux liens entre cinéma et espionnage. Quoique…


Pistolet d’or © Eon production

Il n’a pas fallu longtemps pour nous faire craquer, pour nous retourner tant cette exposition est un condensé de plaisir et de fascination. Top secret explore ainsi les liens quasiment originels entre l’espionnage et le cinéma. Le premier film d’espionnage naît en 1913. Il signe le début d’un genre qui séduira les plus grands (Fritz Lang, Alfred Hitchcock, John Huston ou Sam Mendes notamment). A travers une galerie d’affiches, véritable histoire du cinéma et voyage dans nos souvenirs, le visiteur entre comme à chaque fois dans la fabrication des chefs d’œuvres avec ces trésors qui nous montrent l’envers du décor comme ces lithographies de David Lynch.

L’histoire du 20e siècle a été et reste encore une source inépuisable pour le cinéma. De Mata-Hari de Georges Fitzmaurice à la série Homeland en passant par L’Homme qui en savait trop et Daniel Craig, le visiteur traverse ce 20e siècle qui fut celui des espions. De la Première guerre mondiale aux lanceurs d’alerte en passant par la seconde guerre mondiale et la guerre froide, chacun est appelé à passer tantôt à l’Ouest, tantôt derrière le miroir sans teint. « L’espion est un personnage romanesque par excellence. Entouré de mystères, il est le réceptacle de tous les fantasmes et de toutes les ambiguïtés, tantôt invisible, tantôt torturé » écrivent ainsi Alexandra Midal et Matthieu Orléan, les commissaires de l’exposition dans le magnifique catalogue de cette dernière, véritable dictionnaire amoureux de l’espionnage au cinéma.

Bien évidemment, James Bond est présent en majesté et à au service de l’exposition. Comme un irrésistible appel, son générique plane au-dessus des salles et attire le visiteur. Grâce à de nombreux prêts de la société de production Eon Productions, les fans pourront s’extasier devant le pistolet en or de Francisco Scaramanga ou la combinaison en cuir bordeaux d’Halle Berry dans Meurs un autre jour. D’autres analyseront les codes et passages obligés cinématographiques de la célèbre franchise (bases, scènes de train, sorties de mer, etc).

Hedy Lamarr © cinémathèque française

Le cinéma permet tout y compris le retournement du plus incorruptible des espions en la personne d’un Sean Connery devenu commandant d’un sous-marin soviétique (A la poursuite d’octobre rouge, 1990) et écrivain œuvrant pour le KGB dans La Maison Russie (1990) d’un John Le Carré qui inspira de nombreux films (voir article Espions de papier). Avec Hedy Lamarr, les frontières entre cinéma et réalité finissent par s’estomper puisque l’actrice américaine qui tourna avec King Vidor et Victor Fleming inventa un système sécurisé de communications.

Le grand mérite de cette exposition est bel et bien de lancer en permanence des ponts (aux espions bien sûr !) entre fiction et réalité afin de mesurer leurs influences réciproques. Les objets de la fascinante collection de M – Stéphanie M. comme échappée d’un roman de Ian Fleming mais qui existe réellement ! – donnent une crédibilité au travail des créateurs et permettent de mesurer la vie quotidienne de ces hommes et ces femmes œuvrant dans l’ombre des États. Détecteur de mensonge, parapluie bulgare ou station d’écoute, tout est là. Ils sont complétés par des pièces de musées comme ces faux passeports de la Stasi et surtout cette incroyable machine Enigma, prêtée par le fond DGSE du musée de l’Armée.

L’espion, au cinéma comme dans la vraie vie, évolue. Il n’est plus celui qui défend un état, une idéologie. Mais un homme ou une femme qui agit selon sa propre conscience au service de l’humanité tout entière. Et naturellement le cinéma s’en fit l’écho avec ces nouveaux héros des temps modernes que sont les lanceurs d’alerte (Jason Bourne, Edward Snowden et Chelsea Manning). Nul doute qu’ils continueront à émerveiller les spectateurs en devenir qui, en sortant de cette exposition magnifique, ne manqueront pas de regarder derrière leur épaule pour voir s’ils ne sont pas suivis.

Par Laurent Pfaadt

Top secret : cinéma et espionnage, La Cinémathèque française
jusqu’au 21 mai 2023

Catalogue de l’exposition : Top Secret, cinéma & espionnage, Flammarion, 288 p.

La cinémathèque propose comme d’habitude une vaste programmation en lien avec l’exposition à retrouver notamment ici :

https://www.cinematheque.fr/cycle/le-cinema-d-espionnage-2e-partie-1006.html