Les mains du miracle

L’un des grands
génies du piano à
réécouter

Sviatoslav Richter
fut-il le plus grand pianiste du 20e siècle?
Certains le pensent
assurément. En tout
cas, il fut l’un des plus
grands. Né en 1915
d’un père fusillé en
1941 pour intelligence avec l’ennemi fasciste mais réhabilité en 1962 et connu
bien au-delà des frontières du bloc de l’Est, il est celui dont son
professeur au conservatoire Tchaïkovski, Heinrich Neuhaus, avait
dit qu’il « était le génial élève qu’il avait attendu toute sa vie ».
Récompensé par le Prix Staline en 1950, Richter joua aux funérailles
du dictateur mort le 5 mars 1953, le même jour que Sergueï
Prokofiev dont il avait créé la 7e sonate apprise en seulement
quatre jours. Emil Gilels, autre grand pianiste soviétique, ukrainien
comme lui, avait dit de lui lors d’une tournée aux Etats-Unis où il
était célébré : « attendez d’entendre Richter ! »

Pendant longtemps Richter resta confiné à l’intérieur des frontières
de l’URSS considéré comme un « trésor national ». Autorisé à se
produire hors d’URSS au milieu des années 50, Richter triompha
immédiatement et les enregistrements se multiplièrent sous les
principaux labels occidentaux. Un magnifique coffret permet
aujourd’hui de redécouvrir quelques-uns de ces morceaux de
légende. Il y a ces disques d’anthologie gravés avec les plus grands
chefs comme le triple concerto de Beethoven avec Oistrakh,
Rostropovitch, Karajan et les Berliner Philharmoniker ou ce
deuxième concerto de Brahms avec Maazel et l’orchestre de Paris et
son merveilleux andante, véritable chant d’amour entre le soliste et
l’orchestre, ou enfin le très oublié concerto de Dvorak avec Carlos
Kleiber.

Le style de Richter est tout en sobriété, aristocratique. Il n’est pas le
génial interprète d’un compositeur comme Glenn Gould, Byron
Janis ou Leon Fleischer. Mais il est l’interprète génial de tous les
compositeurs. Au clavier bien tempéré de Bach, il apporte son
romantisme russe. Avec Beethoven et cette magnifique sonate
tempête, il dévoile son côté allemand qui donne à l’interprétation
cette incroyable proximité faite, tantôt de légèreté, tantôt de
mélancolie, à l’image du compositeur. Finalement, au travers de
cette sonate, on touche à l’essence même de Richter. Il n’interprétait
pas des œuvres mais les « richtérisait » transmettant ainsi à
l’auditeur un sentiment de nouveauté, de renouvellement
permanent qui excluait toute mécanique, toute routine. A ce titre,
son meilleur héritier serait aujourd’hui Grigori Sokolov. Le coffret
revient également sur quelques grands moments de musique de
chambre comme ces sonates pour piano et violon de Mozart avec
son fidèle ami Oleg Kagan qui restèrent dans toutes les mémoires et
notamment dans celles des spectateurs de la Grange de Meslay sur
les bords de Loire dont Richter tomba immédiatement amoureux et
dont il fit l’écrin de son génie. Non loin de là, au Château de Marcilly,
Richter enregistra en juillet 1979 avec Andrei Gavrilov,
d’incroyables suites pour pianos de Georg Haendel. Ce dernier se
souvient : «  à ma grande surprise, Slava (Richter) joua d’une manière
très chambriste, en évitant la tentation d’effets théâtraux dans les gigues
comme le font de nombreux pianistes. »
Une fois de plus, il
richtérisait…

A écouter : Sviatoslav Richter,
The complete Warner recordings,
Warner Classics, 2016

Laurent Pfaadt