Les pêcheurs d’étoiles

H.E. Huda Ibrahim Alkamis-Kanoo © Abu Dhabi festival

L’alchimie du festival d’Abu
Dhabi qui associe différentes
esthétiques et assume sa
vocation de passeur de cultures
a, une nouvelle fois, opéré.

Autrefois, au milieu du désert,
les hommes et les femmes du
Majlis, ce conseil rassemblant
les personnalités les plus
éminentes de la tribu, pour la
plupart des pêcheurs de perles,
scrutaient les étoiles et
devisaient sur l’avenir de leur terre. Aujourd’hui, les gratte-
ciels et musées ont recouvert le sable du désert et leurs héritiers ont capturé ces mêmes étoiles pour les admirer dans de magnifiques écrins tels celui de l’Emirates Palace. Cela a donné le festival d’Abu Dhabi, rendez-vous culturel incontournable de la région. Car les étoiles sont là, par milliers, sur scène ou sur les murs. Elles viennent de Paris, de Moscou, de New York, de Séoul, du Lichtenstein, d’Abu Dhabi ou d’ailleurs. Elles dansent, brillent, nous font rêver, nous émeuvent.

Pendant plus d’un mois, la capitale des Emirats Arabes Unis a ainsi
accueilli une centaine d’évènements regroupant 543 artistes et a
vécu au rythme du festival qui, cette année, a associé la fine fleur de
la musique arabe aux voix magnifiques de Joyce di Donato ou Bryn
Terfel, la puissance du flamenco de Sarah Baras à la grâce des
danseurs du ballet de l’opéra de Paris ou de celui de Corée du Sud,
pays invité de cette édition, la magnificence des œuvres de Rubens à
la beauté de la littérature arabe ou aux meilleurs stand-up. « Le
festival n’est pas juste un évènement et puis tout le monde rentre chez soi.
Non, il s’agit d’un partenariat, d’un échange entre l’émirat, ses artistes et
le monde entier. C’est un partage. Ainsi nous créons des ponts pour mieux
nous connaître »
assure ainsi H.E. Huda I. AlKhamis-Kanoo, directrice
et fondatrice du festival qui fête sa seizième édition et qui d’ailleurs,
comme un symbole, a remis cette année un prix à l’académie
Barenboim-Said de Berlin.

Cette année, la rencontre entre différents univers artistiques a été
marquée par la très belle exposition de la collection Princely du
Lichtenstein, l’une des plus importantes collections privées, qui
dévoilait entre autres des paysages de Jacob von Ruisdael et de
Brueghel le jeune ou quelques magnifiques gravures de Pierre-Paul
Rubens jusque-là inédites dans la région. Côté musique, les deux
représentations de Jewels de George Balanchine par le ballet de
l’opéra de Paris, ont constitué non seulement le point d’orgue de
cette édition mais également l’aboutissement d’un travail de près de
quatre années pour faire venir l’opéra de Paris dans l’émirat qui a
d’ailleurs remis à la directrice du ballet, Aurélie Dupont, l’un des prix
du festival. Il faut dire que la fondatrice du festival a mis toute sa
pugnacité au service d’une ouverture d’esprit revendiquée pour
créer cet échange unique. « Pour moi, c’est un devoir » estime Huda
Alkhamis-Kanoo avant de poursuivre : « Pour nos enfants. » Car si le
festival est une formidable machine à produire des étoiles, il n’en
oublie pas de façonner celles de demain grâce à plusieurs initiatives
comme par exemple celle nouée avec l’académie du film du Bade-
Wurtemberg visant à permettre à de jeunes cinéastes émiratis de
développer leur art.

Pour de nombreux danseurs de l’opéra de Paris, l’expérience était
également nouvelle. Danser ici, en terre d’Islam, a permis aussi, de
l’aveu même de certains danseurs, de mettre à mal quelques a priori
en matière de tolérance et d’ouverture. « Cet échange de confiance
nous confère une responsabilité. J’ai d’ailleurs été frappé par l’extrême
tolérance qui règne ici »
a ainsi assuré Mathieu Ganiot, danseur étoile
qui a brillé dans Diamants, le troisième tableau de Jewels. Et
finalement, comme à chaque fois, la culture a pris le dessus, bien
aidée par un ballet français au sommet de son art. Car les étoiles
étaient sur scène et portaient des diadèmes d’émeraudes, de rubis et
de diamants pour nous présenter les différentes écoles française,
américaine et russe que Balanchine a associé dans ce magnifique
ballet. La soirée a même touché au sublime durant le troisième
tableau lorsqu’un petit ange, un « petit bijou » selon les propres mots
de la maîtresse de ballet, Clotilde Vayer, est descendu du ciel en la
personne de la danseuse étoile Myriam Ould-Braham dont le jeu
proprement évanescent a comblé, sur la polonaise de Tchaïkovski, le
public présent. Et lorsque les étoiles se muent en diamants, leurs
fugaces lumières deviennent immortelles.

Si le rideau est tombé sur cette 16e édition, le festival ne s’arrête pas
pour autant et se poursuit dans le monde entier à travers la
production d’opéras tels qu’Aida avec le Teatro Real de Madrid, la
Bohème avec Berlin, ou via un partenariat noué avec l’école
supérieure de musique Reina Sofia dans une volonté clairement
affichée d’apporter Abu Dhabi au monde. Façon de dire que les
étoiles, à l’image de la grande poétesse émiratie Ousha Bint Khalifa
Al Suwaidi, disparue l’an passé, ne meurent jamais.

Par Laurent Pfaadt

Retrouvez toutes les informations du festival sur 
www.abudhabifestival.ae