Les serpents

Texte de Marie NDiaye,mise en scène Jacques  Vincey

C’est devant une maison plantée, nous dit-on, au milieu des champs de maïs, dont la façade est ici représentée par un mur d’enceintes  (scénographie Mathieu Lorry-Dupuy) que se tient Madame Diss, exigeant de pouvoir entrer dans la maison pour réclamer de l’argent à son fils. Vêtue de son tailleur gris très strict, tenant serré contre elle son sac à main, elle a  l’allure d’une femme peu avenante. Ce que confirment les propos désobligeants qu’elle tient à l’épouse de son fils, France, venue lui expliquer qu’elle ne pourra entrer dans la maison , son fils s’y opposant fermement. Elle insiste, se disant acculée financièrement et ne cesse de reprocher à la jeune femme sa tenue négligée alors que celle- ci, se croyant prise en considération, elle, venue de rien, prétend-elle, se prend d’ un élan de reconnaissance et va jusqu’à lui proposer de l’ appeler « maman ». La mégère ne l’entend pas de cette oreille et la repousse durement. Le ton est donné.

C’est avec l’arrivée de la première épouse, Nancy, élégante dans sa tenue en cuir (costumes Olga Karpinsky), venue réclamer la vérité sur la mort de leur fils Jacky, que la cruauté de la mère et du fils va éclater.

L’insistance dont Nancy fait preuve pour savoir ce qui a conduit Jacky à la mort oblige Madame Diss à faire des révélations qu’elle livre au compte-goutte, monnayant chacune par l’exigence d’être payée. Elle extorque ainsi, argent liquide et chèques à  cette mère épouvantée d’apprendre qu’après son départ de la maison, l’enfant a été sans cesse battu, torturé, enfin enfermé dans une cage avec des serpents qui ont eu raison de sa vie.

La figure du monstre se dessine clairement alors que Madame Diss justifie ces abominations, prétendant même que père et fils y trouvaient leur compte, et culpabilisant Nancy, l’accusant d’avoir déserté le foyer et d’avoir ainsi déclenché ces actes vengeurs. Nous assistons à un face à face accablant entrecoupé par les demandes réitérées de rentrer dans la maison et de voir le fils. L’interdit est maintenu à grands cris par France de plus en plus terrifiée qui explique que le père prépare leurs deux enfants pour le feu d’artifice du 14 juillet, les maintenant assis immobiles sur des chaises et qu’il les dévorerait, elle comprise, si elles pénétraient dans la maison.

L’image de l’ogre est donc bien en place. On ne  le voit jamais apparaître mais on entend parfois ses grognements terrifiants, ses borborygmes, ses mugissements qui traversent les murs (son Alexandre Meyer et Frédéric Minière).

Sommes- nous dans l’univers du conte ou dans le fait divers sordide? Le fait est que notre imagination travaille et nourrit un sentiment d’angoisse et de révolte devant l’inacceptable.

Il faut pour aborder cet univers cruel de solides interprètes.

 Jacques Vincey a fait appel à Hélène Alexandridis qui campe avec conviction, d’abord une Madame Diss  redoutable de cynisme, sans scrupule, méprisante, attirée par les apparences , revendiquant une sexualité débridée, droite dans ses bottes puis qui nous la montre, dans la scène finale, échevelée, les habits en désordre, venant implorer le secours de la jeune femme, qu’entre temps, elle a jetée dans les bras de ses vieux amants.

Les deux épouses font figure d’héroïnes, Benedicte Cerruti  est une  Nancy plutôt femme forte, n’hésitant pas à échanger ses habits avec ceux de la nouvelle épouse pour aller affronter celui dont elle sait qu’il a tué leur fils de façon monstrueuse.

Tiphaine Raffier donne l’image d’une jeune femme naïve, soumise qui se débat pour survivre.

Le récit bouleversant de la fabrication des monstres et de leur pouvoir de nuisance.

Par Marie -Françoise Grislin

représentation du 27 avril au TNS, jusqu’au 5 mai