Les voleurs de Lumières

EFE/ARCHIVO/Paco Campos

Le nouveau roman
d’Arturo Perez-
Reverte nous
emmène sur les
traces de
l’Encyclopédie.
Grandiose une
fois de plus.

Enfin, les épées
sont à nouveau de
sortie ! Après un
passage par le 19e
siècle dans une
Cadix occupée par les troupes napoléoniennes où l’on maniait
plus aisément le pistolet que la rapière et le 20e siècle sur les
traces d’un artiste de street art où l’arme favorite est une
bombe…de peinture, nous voici dans cette deuxième partie du
18e siècle où l’épée devient certes ornementale mais peut
toujours servir à dénouer quelques situations inextricables. Et en
la matière, il faut dire que notre auteur en est passé maître.

La fameuse formule d’Alexandre Dumas, maître à penser de
Perez-Reverte, « l’histoire est un clou auquel j’accroche mes romans »,
n’a jamais été aussi véridique que dans ce cas. Comme dans tous
les meilleurs romans d’aventures, tout comme commence dans
une bibliothèque, en l’occurrence celle de l’académie royale
espagnole. Perez-Reverte y découvre que les vingt-huit tomes de
l’Encyclopédie qui s’y trouvent ont été ramenés de France alors
que l’œuvre de Diderot et d’Alembert était alors interdite en
Espagne. L’occasion d’explorer ce mystère était trop grand et le
romancier espagnol se précipita dans cette incroyable mission en
compagnie de ses deux héros.

Nous voilà donc parti en cette fin de 18e siècle en compagnie de
Don Hermogenes Molina, bibliothécaire de l’académie royale et
de l’amiral don Pedro Zarate. Les deux hommes sont autant
dissemblables que le sont à l’époque la France et l’Espagne. L’un
est conservateur quand l’autre se veut cartésien et athée.

La mission de nos deux héros n’alla pas sans heurts,
heureusement pour nous lecteurs d’ailleurs. Il leur fallut faire face
à un certain nombre de péripéties où tirer leurs épées leur fut
plus que recommandé notamment face à une bande de bandits. A Paris, personnage à part entière du roman, leurs pérégrinations
les mènent des salons aux bas-fonds de la capitale en passant par
le café Le Procope, quartier général des philosophes. On croise
ainsi avec délice, outre les figures tutélaires de l’Encyclopédie,
Benjamin Franklin, Condorcet, Buffon ou Choderlos de Laclos.

Deux hommes de bien est aussi, au-delà de la narration, une
formidable quête de la culture et de l’esprit contre
l’obscurantisme qui revêt une actualité plus que troublante.
D’ailleurs, l’auteur, ancien journaliste qui a observé durant des
décennies les multiples visages de l’obscurantisme, ne cache pas
que les événements de ces dernières années l’ont poussé à se
lancer dans cette nouvelle aventure littéraire afin, comme nos
philosophes des Lumières, d’éclairer ceux qui lisent encore et
liront ce roman, sur l’importance de défendre toutes les formes
de culture. C’est pour cela qu’il a lui-même participé à cette
aventure en s’immergeant dans la trame du récit et ainsi
permettre aux lecteurs d’effectuer avec lui cet aller-retour
temporel extrêmement salutaire.

On dit souvent que la plume est plus forte que l’épée. Celle de
l’Encyclopédie assurément. Celle de Perez-Reverte très
certainement car sa plume est souvent très effilée. A l’article
Courage de l’Encyclopédie, on pouvait lire ceci sous la plume du
chevalier de Jaucourt à propos du courage d’esprit, « cette
résolution calme, ferme, inébranlable dans les divers accidens de la vie,
(qui) est une des qualités des plus rares. Il est très – aisé d’en sentir les
raisons. En général tous les hommes ont bien plus de crainte, de
pusillanimité dans l’esprit que dans le coeur; & comme le dit Tacite, les
esclaves volontaires font plus de tyrans, que les tyrans ne font
d’esclaves forcés. »
Assurément, cette définition convient bien à
nos deux hommes de bien ainsi qu’à leur créateur.

Arturo Perez-Reverte,
Deux hommes de bien,
Seuil, 2017

Laurent Pfaadt