L’Histoire à coup d’archet

Menuhin (© Warner Classics)
Menuhin (© Warner Classics)

Le centenaire de la naissance de Yehudi Menuhin raconté en 80 CDs

On a coutume de l’appeler le violon du siècle. A l’occasion du centenaire de la naissance de Yehudi
Menuhin, il apparaît nécessaire de se
replonger dans cette vie incroyable entièrement consacrée à la musique. L’abondante discographie du génie réunie dans cette édition de prestige (80 CDs), lui qui fut une légende de son vivant comme après sa mort, permet de redécouvrir les différentes facettes de
Yehudi Menuhin. Et notamment celle qui lui fit jouer un rôle, certes modeste, mais non négligeable dans l’histoire. C’est toute
l’importance du coffret Yehudi, History recordings, présent dans l’immense réédition de l’œuvre du maestro.

Alors quelle histoire ? Celle de la musique tout d’abord. Comme
Paganini ou Ysaïe avant lui, Yehudi Menuhin, jeune enfant prodige né à New York en 1916 de parents juifs qui donna son premier concert à dix ans et enregistra son premier disque à 12 ans, fut le
dédicataire d’œuvres devenues des classiques du répertoire, de
Walton à Panufnik en passant par Bloch ou Bartok. Ainsi « en 1942, entre deux concerts (…), je rencontrais Bela Bartok à New York. Il me
captiva par son intégrité passionnée, son originalité »
rappelle Menuhin
qui devait commander au compositeur une sonate pour violon solo, créée en 1944.

Elève du célèbre violoniste Adolf Busch, Menuhin rencontra en 1925 George Enesco, ce maître devenu ami. Entre eux naquit une complicité indéfectible qui se traduisit notamment dans ce concerto pour deux violons de Bach donné à Paris en juin 1932 que Menuhin devait d’ailleurs rejouer en novembre 1945 à Moscou, en compagnie d’un autre génie, David Oïstrakh.

Menuhin fut également un ardent défenseur du concerto d’Elgar que le compositeur lui demanda d’enregistrer alors qu’il n’avait que 12 ans. La version présente dans le coffret enregistrée les 14 et 15 juillet 1932 sous la direction du compositeur dans un enregistrement devenu mythique témoigne d’une émotion qui ne quitta jamais le virtuose et surtout d’une maturité incroyable (un quatrième
mouvement d’anthologie) quand on sait qu’il n’a alors que seize ans !

Ce que montre également ce magnifique coffret, c’est le rôle non
négligeable que joua Menuhin sur la scène de la grande histoire.
Ainsi, en 1944 il joua le concerto de Mendelssohn à l’occasion de la
réouverture de l’opéra d’une ville de Paris libérée après avoir interprété la Marseillaise. Il aida également le chef d’orchestre Wilhelm Fürtwangler dans son chemin de croix de la dénazification, ce qui contribua grandement à son retour. Plusieurs enregistrements témoignent de cette complicité notamment ce concerto de Beethoven enregistré au festival de Lucerne en août 1947 où la magie opère
immédiatement entre Menuhin et Fürtwangler alors interdit
d’Allemagne.

Le concert pour le premier anniversaire de la déclaration des droits de l’homme et sa merveilleuse Chaconne de Bach le 10 décembre 1949 témoigna de son engagement indéfectible pour ces derniers (contre l’apartheid, pour la paix au Proche-Orient, etc) et les nombreuses causes qui lui valurent, entre autres, d’être indésirable en URSS. Cette ouverture au monde et aux autres se traduisit également dans son engagement en faveur de la musique contemporaine et de certains de ses représentants tels qu’Harry Somers ou John Williamson ou dans sa volonté de mêler des univers musicaux
différents en compagnie de Stéphane Grappelli ou de Ravi Shankar. Cet humanisme indéfectible et cette quête de l’altérité ne furent
finalement que le prolongement de sa musique qu’il adressa au monde entier, sur tous les continents, peu importe les différences et les épreuves.

Yehudi Menuhin, History recordings,
Warner Classics (18CDs), 2016

Laurent Pfaadt