L’homme derrière le mythe

© Hergé Moulinsart - 2016
© Hergé Moulinsart – 2016

Hergé à l’honneur d’une
magnifique exposition

On est tous entrés un
jour dans Tintin : dans un
temple inca, en
Amérique, en Chine ou
sur la lune. Pour moi, ce
fut au Tibet à l’occasion
de l’une des plus belles
histoires d’amitié que la
littérature
contemporaine ait créé.
Tintin s’aventure sur les
pentes escarpées de
l’Himalaya à la recherche de son ami Tchang qu’il a sauvé dans le
Lotus Bleu.

Cette histoire est née dans l’esprit d’un homme, celui de Georges
Rémi alias Hergé. Le père de l’un des personnages les plus célèbres
de l’histoire, dont le général de Gaulle disait à juste titre qu’il était
« son unique rival » est aujourd’hui l’objet d’une formidable
exposition au Grand Palais et d’un catalogue fort instructif. Hergé se
voulait journaliste. Il le fut à travers son héros. Entré très jeune au
journal conservateur 20e siècle, Hergé n’a que 22 ans lorsqu’il créé
Tintin dont le succès est immédiat. Et très vite, le personnage et son
créateur ne firent plus qu’un.

L’exposition ainsi que le catalogue mais aussi le film de l’exposition
signé Hugues Nancy, indissociable de l’exposition, permettent de
pénétrer la création en montrant l’élaboration des albums, qu’Hergé
réalisa seul jusqu’au Trésor de Rackham le rouge puis à la tête d’un
studio à la manière d’un grand peintre. Rubens eut Van Dyck, Hergé
a eu Edgar P. Jacobs.

Hergé, c’est d’abord un dessin, celui de la ligne claire constituée de
ce trait unique dont il fut l’inventeur. Coloriste hors pair, l’exposition
présente les magnifiques compositions du Secret de la Licorne ou le
traitement du noir dans On a marché sur la Lune qu’Hergé obtenait au
prix d’une minutie incroyable.

Tous les amoureux de bande-dessinée le savent : une belle plume ne
suffit pas, il faut également avoir une belle langue. Et c’est avec cette
dernière qu’Hergé a construit le mythe de Tintin qui l’a largement
dépassé. Car Hergé fut un formidable scénariste. Son travail dans
XXe siècle où il devait produire chaque semaine une planche avec
une chute en fit le précurseur de nos séries télévisées. Hergé
scénariste, c’est aussi comme toutes les grandes œuvres pour la
jeunesse, l’invention d’une famille avec le capitaine Haddock, le
professeur Tournesol, les Dupont et Dupond. Hergé scénariste, c’est
également des voyages au bout du monde mais également
l’incursion dans le paranormal, le mystère, les sociétés secrètes et la
science-fiction avec le voyage sur la Lune, quinze ans avant Neil
Armstrong. Hergé scénariste c’est enfin la célébration d’un monde
de solidarité et d’amitié qui a transcendé les époques, l’entre-deux-
guerres et le fascisme ridiculisé dans le Sceptre d’Ottokar puis la
seconde guerre mondiale, et d’un idéalisme à toute épreuve. En
1934, Hergé fit la connaissance de Tchang Tcheng-je, étudiant à
l’académie des Beaux-Arts de Bruxelles dont il s’inspira pour en faire
le meilleur ami de Tintin, Chang, qu’il sauva de la noyade dans le
Lotus Bleu
. Rescapé, Chang proposa alors à Tintin de l’aider qui
répliqua : « C’est que je vais peut-être courir de graves dangers ». Le
jeune chinois lui répondit alors : « A deux nous serons plus forts ». Le
trait de génie d’Hergé, au propre comme au figuré, est contenu dans
cette seule phrase. Tintin, c’est à la fois Alexandre Dumas, Jules
Verne et Victor Hugo.

Qu’on le veuille ou non, Hergé demeurera à jamais un grand écrivain.
Son incroyable travail sur la langue française a permis de réhabiliter
des mots oubliés, ces fameuses injures du capitaine Haddock qui,
grâce à lui, ont permis de redécouvrir des pans entiers de notre
histoire ou de la science et de montrer combien notre langue s’est
enrichie au fil des siècles. Mais surtout, comme dans toutes les
grandes œuvres littéraires, ces mots appartiennent à jamais à son
héros.

Depuis près de 90 ans, les œuvres d’Hergé nous accompagnent. Une
fusée rouge et blanche, une statuette à l’oreille cassée présentée
dans cette exposition, des insultes incroyables ou des cigares que
l’on envie de fumer à dix ans. Tintin au Tibet s’achève sur une case
montrant le Yéti regardant les hommes quitter sa montagne. Le
monstre a acquis un semblant d’âme, une humanité. Refermant
l’album, le lecteur âgé de 7  ou de 77 ans en est convaincu : avec
Hergé tout est possible.

Hergé, Grand Palais, Galeries nationales,
jusqu’au 15 janvier 2017

A lire : Hergé, catalogue de l’exposition,
Éditions Moulinsart,
Les éditions Rmn-Grand Palais, 2016, 35 euros.

A voir : Hergé, à l’ombre de Tintin,
film d’Hugues Nancy, Réunion des musées nationaux – Grand Palais, Éditions Moulinsart, Arte France

Laurent Pfaadt