L’homme qui murmurait à l’oreille des flics, des mafieux et de…Dieu

scorseseMartin Scorsese est à l’honneur d’une magnifique
rétrospective 

Chacun a en tête une réplique ou une image d’un film de Scorsese. Du « You’re talking to me ? » de Taxi Driver aux lunettes fumées de Paul Newman dans la Couleur de l’argent en passant par les tractions de la balance tatouée dans le dos de Robert de Niro dans les Nerfs à vif, le cinéma de Martin Scorsese nous accompagne depuis toujours.

C’est dire avec quel délice on a plongé dans cette exposition qui retrace, de Who’s That Knocking at My Door en 1967 au Loup de Wall Street en 2014, près d’un demi-siècle de cinéma américain. A travers ces magnifiques photographies en noir et blanc que l’on retrouve également dans l’ouvrage très complet de Tom Shone, les extraits de films qui permettent une interactivité très réussie et les objets authentiques sortis de la pellicule comme les gants de Jake La Motta, c’est un voyage incroyable qui nous ait offert.

Décortiquant le travail minutieux du cinéaste – les story-boards ou les scénarios annotés de la main du réalisateur venus tout droit de sa propre collection de Broadway sont là pour le prouver – l’exposition s’attache à analyser les grandes lignes qui tracent, de film en film, une œuvre singulière : le rôle de la fratrie, la fragilité des rapports homme/femme particulièrement perceptible dans le Temps de l’innocence, ou le rapport à la religion catholique entre crucifixion et rédemption qu’il porta à incandescence dans la Dernière Tentation du Christ après l’avoir évoqué dans Boxcar Bertha, film moins connu avec David Carradine.

Scorsese, c’est aussi une histoire d’amour avec ses acteurs, Robert de Niro, Harvey Keitel et Leonardo di Caprio dont il aura contribué à façonner le marbre hollywoodien. Mais c’est aussi des seconds rôles de génie sans qui ses films n’auraient jamais été des chefs d’œuvres. Personne n’imagine ainsi les Affranchis ou Casino sans Joe Pesci. Ses femmes sont charismatiques et fragiles. Il n’y a qu’à se souvenir de Sharon Stone dans Casino  ou des yeux de braise de Juliette Lewis dans les Nerfs à vif.

L’exposition s’attarde également sur les coulisses de la création. Même les profanes pénétreront avec bonheur dans les arcanes de la magie Scorsese où sa technique est décortiquée, analysée. A travers la suspension des mouvements dans cette scène mythique de la Couleur de l’argent, on perçoit cette fluidité qui caractérise sa réalisation et permet de mieux comprendre à travers ceux qui l’ont influencé (Mélies, Hitchcock, Minnelli, King Vidor, Kazan, Eastwood, Rosselini ou Antonioli) que Martin Scorsese est un passeur de cinéma. Le splendide coffret édité par Arte et consacré à ses voyages dans les cinémas américain et italien permettent ainsi de comprendre les influences du maître dans ses peintures de la société américaine – notamment cette fascination des Américains pour la violence et l’illégalité que l’on retrouve dans les films de gangster – et de son propre rôle en tant que réalisateur. Enfin, n’oublions pas la musique, cette musique qui participe à la magie de son cinéma. Qui n’a pas en tête les notes de Bernard Herrmann dans Taxi Driver ou la mélodie de Georges Delerue dans Casino.

A travers sa vie et son œuvre, Martin Scorsese a apporté sa pierre – et quelle pierre ! – à l’édification du mythe américain. Little Italy et Brooklyn à New York ou Las Vegas ont installé dans l’imaginaire collectif de la planète des lieux emblématiques de la culture américaine qui sont aujourd’hui visités par des millions de personnes. La reconstitution d’une maquette de New York permet ainsi une immersion dans l’univers new-yorkais du cinéaste. Ce mythe américain qu’il a transcendé à l’écran, c’est aussi celui de ces immigrés venus sans rien, ces gens du peuple devenus empereurs du crime ou des affaires, ces self-made men qui ont prouvé que tout est possible en Amérique.

Aborder le cinéma de Scorsese, c’est enfin entrer dans cette New York cosmopolite avec ces communautés qui se côtoient, se respectent et parfois s’entretuent sur la base de valeurs basées sur le respect et la violence.

On ressort de l’exposition avec une envie irrépressible de revoir les films de Scorsese, de partir sur les traces de ses héros à New York et ailleurs. Martin Scorsese, comme avant lui Fritz Lang ou Orson Welles, prouve une nouvelle fois que le cinéma est indispensable à la vie.

Martin Scorsese,
du 14 octobre 2015  au 14 février 2016,
la Cinémathèque Française, Paris 12
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A lire : Tom Shone, Martin Scorsese, Retrospective, Gründ, 2014

A voir : Martin Scorsese, Michael Henry Wilson, Voyages avec Martin Scorsese à travers les cinémas américain et italien,
Arte éditions, 2015 + lien

A écouter : The Cinema of Martin Scorsese, Universal Music, 2015

Laurent Pfaadt