L’humanité du bout du monde

Guelassimov © George Seguin

Andrei Guelassimov signe un
nouveau roman très réussi

Un Gavroche soviétique qui fait les
400 coups dans sa ferme et un
prisonnier japonais qui conte
l’histoire millénaire de son pays
lointain. Voici les deux personnages
principaux du nouveau roman
d’Andrei Guelassimov, l’un des
auteurs les plus en vue de la
nouvelle littérature russe. Deux
personnages que tout sépare au
demeurant et qui pourtant sont
voisins dans cette Sibérie extrême-orientale.

Le jeune Petka, fasciné par la guerre et ses avions qui survolent sa
maison, et le médecin autodidacte Hirotaro Miyanaga enfermé dans
ce camp de prisonniers japonais nous racontent tous les deux cette
guerre oubliée d’Extrême-Orient, loin du continent européen.

Avec son écriture épique, le roman décrit merveilleusement, à
travers ces deux personnages, une guerre fantasmée. Celle-ci se
déroule à la fois dans les yeux d’un enfant mais également en secret
dans les cahiers d’Hirotaro, descendant d’un fameux samouraï. Les
chars T34 y côtoient les shoguns et les samouraïs.

On comprend alors que Petka et Hirotaro agissent pour exister,
pour ne pas être victime de cette aliénation dans laquelle toute
guerre enferme. Les bêtises de Petka sont autant de mains tendues
vers ces grands-parents qui représentent sa seule famille, lui, le «
bâtard » qui n’a pas de père. Les mots d’Hirotaro tracent un chemin
imaginaire vers ses enfants dont il se plaît à imaginer leurs
occupations, leurs vies, dans ce Japon prêt à recevoir l’apocalypse
car la guerre n’est pas encore achevée et les Américains n’ont pas
encore lâché leur bombe atomique sur cette Nagasaki servant de
décor au récit d’Hirotaro. On assiste avec tristesse à cette quête
sans espoir, celle de cet homme qui tente, via son récit, de préserver
un lien avec sa famille vouée à mourir et dont il ignorera la
disparition après l’explosion de la bombe, le 9 août 1945. Chez
Guelassimov, la vie et la mort se croisent en permanence. Vivre
malgré la mort, écrire pour ne pas mourir, vivre pour écrire.

Quête des origines, réflexions sur ce monde à venir que la bombe
atomique viendra bouleverser, les dieux de la steppe parlent de tout
cela avec brio.

Laurent Pfaadt

Andrei Guelassimov,
les dieux de la steppe,
Chez Actes Sud, 2016