Mausolée de papier

Les éditions des
Syrtes achèvent la
publication de
l’œuvre poétique de
Marina Tsvetaeva

L’une des grandes
voix russes, Marina
Tsvetaeva (1892-
1941), peut
désormais être lue de tous les Français. Trois ans après la
publication de sa Poésie lyrique, les Grands poèmes sont désormais
disponibles et viennent compléter l’œuvre monumentale de celle qui
fut l’amie de Pasternak et de Rilke.

Comme dans sa Poésie lyrique, ces Grands poèmes, du Magicien écrit
en l’honneur du poète Ellis  qu’elle admira jusqu’aux poèmes
inachevés et le très beau Poème sur la famille du tsar permettent
d’apprécier le style si particulier de Tsvetaeva. Les nombreuses
expériences de sa vie personnelle qui connut tumultes et fracas
servent de matière créatrice aux vers de la poétesse. Qu’il s’agisse
de politique, de folklore (Sur le cheval rouge) ou d’amour, tout devient
chez elle poésie. Les poèmes d’amour sont d’ailleurs d’une beauté
stupéfiante, emprunte d’un mysticisme rarement égalé au vingtième
siècle comme dans celui qui est peut-être le plus connu de tous, le
Poème de la fin,
composé en 1924 à Prague et qui enchanta l’auteur
du Docteur Jivago. « Et c’est le quai. Le dernier. C’est tout. Séparés et sans
main. Nous avançons en timides voisins. Du côté de la rivière/Des pleurs.
Je lèche en passant/Le mercure salé qui descend. Le firmament n’a pas
envoyé, à la rencontre/Des larmes l’énorme lune de Salomon »
écrit-elle
pour relater la rupture avec son amant, Konstantin Rodzevitch.

La luminosité de ses mots se manifeste avec encore plus de brillance
dans ses poèmes-contes, forme hybride de composition, qui
rayonnent de couleurs épiques et baroques. Ces œuvres semblent
ainsi faire le lien avec la littérature russe depuis le XVIe siècle. Mais
à chaque fois, derrière le paravent épique, se révèle la véritable
nature du texte qui renvoie à l’existence même de Marina Tsvetaeva.
Ainsi dans la Princesse-amazone (1920), décèle-t-on derrière ces
vers: « Ainsi, une larme après l’autre, un rayon après l’autre/Dans ce
miroir merveilleux – du côté du couchant –/Sans cesse se répète leur
deuxième rencontre »
cet amour inassouvi, ce manque affectif qui
irrigue toute l’œuvre de la poétesse.

Ce livre est également l’occasion de rendre hommage à Véronique
Lossky, l’une de nos plus grandes traductrices, disparue le 17 mars
2018 et qui avait consacré sa vie à Marina Tsvetaeva. A l’image des
serviteurs des rois d’antan qui s’inhumaient dans le tombeau du
défunt afin de les accompagner dans l’au-delà, Véronique Lossky est
entrée avec son héroïne dans ce mausolée de papier après en avoir
terminé la construction. Aujourd’hui, elle converse avec elle. Ne
reste plus, à nous lecteurs, qu’à découvrir l’œuvre immense et
majestueuse de l’une des plus belles voix russes et à méditer ces
derniers vers tirés d’un fragment du Poème sur la famille du tsar :
« Que demandait-elle/Au bord de la fin/Prière pour la Russie/Ta patrie ».

Par Laurent Pfaadt

Marina Tsvetaeva, Grands poèmes,
éditions des Syrtes