Mémoires d’un antisémite

Une sélection de textes de Charles
Maurras permet de mieux
comprendre la pensée du fondateur
de l’Action française. 

Auteur adulé par Proust ou Malraux
puis exclu de l’Académie française,
démiurge politique ayant infusé dans
les veines du régime de Vichy, une
idéologie ayant conduit la France au
désastre militaire mais surtout moral,
la figure de Charles Maurras n’a cessé
de cliver les débats et continue
d’alimenter controverses comme en
témoigne son exclusion récente des célébrations nationales à
l’occasion du 150e anniversaire de sa naissance.

Disons-le d’emblée, ce livre inégal notamment au niveau des coupes
effectuées est d’une importance fondamentale. Et ce à plus d’un
titre. On passera volontiers sur l’écrivain Maurras dont l’œuvre et la
langue apparaissent aujourd’hui datées. Ses poèmes, son éloge de la
Grèce antique dans Anthinéa n’apportent que peu de choses si ce
n’est la confirmation qu’il y eut plusieurs Maurras.

La partie politique est nettement plus intéressante. Elle permet de
cerner les grands concepts du maurrassisme : le nationalisme
intégral, l’antiparlementarisme – «  une juste loi politique n’est point
une loi régulièrement votée mais une loi qui concorde avec son objet et
qui convient aux circonstances »
-, la glorification de l’autorité qu’il lie à
la liberté – « qu’est-ce donc qu’une liberté ? Un pouvoir » –
l’encouragement de la violence pour s’emparer du pouvoir ou
l’aspect corrupteur de l’argent. Le livre L’avenir de l’intelligence (1905)
reproduit en partie seulement permet de comprendre la genèse de
l’Action française où Maurras le penseur politique y développe son
idée de monarchie laïque qui lui valut d’ailleurs l’excommunication
du pape Pie XI, le 29 décembre 1926 .

« Je suis entré en politique comme on entre en religion » dira celui qui
exerça un magistère moral durant cet entre-deux-guerres
tumultueux. Et qu’on le veuille ou non, il le mit au service de la plus
terrible des idéologies : l’antisémitisme d’Etat qui le conduisit à
lancer à la fin de son procès, le 28 janvier 1945 où il fut condamné à
la dégradation nationale et à la réclusion criminelle à perpétuité :
« c’est la revanche de Dreyfus ! ». L’ouvrage ne minore pas cet aspect et
la partie Maurras journaliste fourmille d’une haine assumée à l’égard
des juifs comme cette lettre ouverte à Abraham Schrameck, alors
ministre de l’intérieur. Tout y passe : la théorie du complot juif, la
responsabilité de ce dernier dans le déclenchement de la guerre,
l’approbation du statut des juifs du 3 octobre 1940, etc.

Il faut lire Maurras pour voir ce que la haine de l’écrit est capable de
faire, d’engendrer et c’est en cela que cet ouvrage est important. Ses
écrits permettent, avec le recul historique nécessaire, de percevoir
sa complicité dans le meurtre et la déportation de milliers de juifs
comme le furent, plus de soixante plus tard, les médias de la haine au
Rwanda. Car Maurras est et restera un antisémite.

Le journaliste Jean-Philippe Buisson qui signe la préface rappelle
qu’on a souvent comparé Maurras à Marx, fondateurs de deux
écoles de pensée et à l’origine de mouvements politiques. Cette
comparaison est erronée car Maurras ne fut pas le martyre d’une
quelconque cause, encore moins un prophète. Pour lui, le jugement
de l’histoire est sans appel. Ce livre est là pour le rappeler.

Par Laurent Pfaadt

Charles Maurras,
l’avenir de l’intelligence et autres textes,
coll. Bouquins, chez Robert Laffont, 1280 p.