Père de l’écrivain Alexandre Dumas (1802-1870), le général Alexandre Thomas Dumas (1762-1806), dont la biographie et l’envergure historique ont été pleinement mises en lumière par l’ouvrage de Tom Reiss Le Comte noir [The Black Count, 2012], est aussi un personnage à part entière de l’œuvre de son fils. Il figure tout d’abord en bonne place dans la vaste autobiographie de Dumas, Mes Mémoires (1852-1854), dont les premiers chapitres sont une évocation pleine d’admiration, de tendresse et de nostalgie de ce père mort prématurément en 1806, et ayant laissé orphelin son fils de seulement quatre ans. La force de cet « Hercule mulâtre », ses exploits en tant que général républicain, pendant les guerres de la Révolution, mais aussi la pente à la rêverie de celui que le narrateur désigne comme un « Créole », sont dépeints dans des pages vibrantes. Mais le général Dumas s’invite aussi dans l’œuvre fictionnelle de son fils. Dans La Rose rouge, version remaniée en 1831 de Blanche de Beaulieu ou la Vendéenne, dont une première mouture date de 1826, le général Dumas est ainsi, aux côtés du général Marceau, un personnage de cette nouvelle historique dont l’action est située pendant la Terreur. On voit également sa silhouette et son souvenir passer dans un roman tel que La San Felice (1864-1865), qui revient sur l’histoire de Naples à la fin du XVIIIe siècle et évoque le tyran des Deux-Siciles, Ferdinand Ier, dit le roi « Nasone », celui-là même dont l’armée, opposée à la France de Napoléon Bonaparte, a capturé le général Dumas alors que celui-ci revenait de l’expédition d’Égypte en 1799 : il restera de longs mois enfermé dans un cachot, où, peut-être empoisonné, il contracte le cancer à l’estomac dont il meurt en 1806. Enfin, de nombreux héros romanesques de Dumas héritent du souvenir idéalisé de ce père adoré et s’inspirent de sa stature : ainsi, le comte de Monte-Cristo, comme d’autres héros surhumain de Dumas (le Salvator des Mohicans de Paris ou le héros éponyme du Chevalier de Sainte-Hermine) est d’une force physique extraordinaire, d’une intelligence fascinatrice, et il poursuit avec acharnement une quête vengeresse. Ce thème de la vengeance, si prégnant dans l’œuvre dumasienne, n’est-il pas façonné par le désir de l’écrivain de prendre sa revanche et celle de son père, écarté par Bonaparte et privé de la gloire mais aussi des revenus financiers auxquels les officiers mis à la retraite avaient droit ?
Julie Anselmini
Professeure des universités en Littérature française
Université de Caen Normandie