Nelson Goerner ressuscite les morts

NG © Jean-Baptiste Millot
NG © Jean-Baptiste Millot

Le pianiste argentin redonne vie à des compositeurs
oubliés

S’il demeure nettement moins connu que ses aînés, Martha Argerich et Daniel Barenboïm, Nelson Goerner s’inscrit indubitablement dans cette magnifique lignée de pianistes argentins de grand talent. Et c’est peu dire que d’affirmer que le virtuose de 46 ans est l’un des tous meilleurs. Après ses Chopin et ses Debussy d’anthologie, les différents disques qu’il nous offre aujourd’hui parlent d’eux-mêmes. Virtuosité et sensibilité sont ainsi les maîtres mots de ces nouvelles gravures parues sous le label de l’Institut Frédéric Chopin.

La singularité de Nelson Goerner tient également au fait qu’il ne se contente pas des classiques qui sont, pour les artistes de notre temps, autant de passages obligés sur la route de la notoriété d’une époque où les différences ont tendance à s’estomper. La discrétion de Goerner n’a d’égale que son opiniâtreté à ressusciter des compositeurs aujourd’hui oubliés et à révéler la beauté d’œuvres injustement méprisées par le répertoire.

Le concerto pour piano d’Ignacy Paderewski est emblématique de l’impitoyable sélectivité de l’histoire musicale. Qui se souvient encore de ce pianiste et compositeur acclamé dans le monde entier et qui devint Premier ministre de son pays au lendemain de la Premier guerre mondiale ? Personne ou presque. Et pourtant, son concerto est un véritable hymne à la liberté et à l’héroïsme. La force qui s’en dégage permet au pianiste de briller et d’y développer tout son lyrisme. Goerner y excelle sans tomber dans l’exagération grâce à un toucher subtil où il sait mettre en lumière les couleurs tantôt éclatantes du premier mouvement, tantôt intimes du second. Il est magnifiquement secondé par l’orchestre de la radio polonaise placé sous la direction de Jacek Kaspszyk qui a eu à cœur, dans cet enregistrement de concert, de maintenir jusqu’au bout les équilibres sonores et un souffle qui ne retombe qu’à la dernière note.

Le concerto pour piano n°2 du compositeur italien Giuseppe Martucci est du même acabit. Goerner, une fois de plus impérial, démontre toute l’étendue de son jeu, martelant le premier mouvement avant d’offrir une palette plus nuancée dans le reste de l’œuvre. Son interprétation aérienne fait merveille dans le final où il est cette fois-ci secondé par la Sinfonia Varsovia.

Très à l’aise avec la musique orchestrale, Nelson Goerner prouve également qu’il est un grand musicien de chambre. Jamais, il ne s’impose. Son piano semble écouter les autres pour mieux les accompagner, soulignant ainsi la noblesse de son interprétation. Le résultat est immédiatement perceptible, celui d’une joyeuse aventure faîte de complicités, surtout dans ce magnifique octet du compositeur polonais Josef Krogulski, mort à 27 ans en 1842, où il est accompagné par le très prometteur violoniste kazakh, Erzhan Kulibaev. On a presque l’impression d’être dans un parc de Varsovie en ce début de XIXe siècle, écoutant ces musiciens sous un kiosque.

Ces disques nous montrent ainsi que si la Pologne ne fut pas toujours un Etat, elle demeura au XIXe et XXe siècles avec Chopin,
Paderewski, Szymanowski, Lutoslawski et Penderecki notamment l’une des plus importantes nations musicales du monde.

Paderewski, Martucci, pianos concertos, Nelson Goerner, orchestre de la radio polonaise, Sinfonia Varsovia, Institut Frédéric Chopin, 2015

Nowakowski, piano quintet, Krogulski,piano octet, Nelson Goerner,
Institut Frédéric Chopin, 2015

Laurent Pfaadt